I - Pédagogie
1 - Connaître la pige
a - Notre constat
Nous avons observé
que le CFJ, comme beaucoup de grandes écoles de journalisme, perpétuait
plus ou moins consciemment des mythes qui nous semblent révolus :
- celui de l'emploi garanti " à la sortie "
- celui du journaliste promis à devenir un futur cadre de la presse
nationale.
Certes, la situation
professionnelle des jeunes diplômés du CFJ est plus enviable
que celle de nombre de leurs homologues issus d'autres écoles. Ceci
pour au moins deux raisons :
- Ils bénéficient d'une formation solide, qui les rend immédiatement
opérationnel sur le terrain.
- Ils jouissent de la bonne réputation de notre établissement
et du fort réseau d'anciens implanté dans les rédactions.
Cependant, les
enquêtes menées par l'Association des anciens révèlent
une précarisation grandissante de nos diplômés. La pige,
les successions de contrats à durée déterminée,
la nécessité de recourir à des travaux annexes (bulletins
de communication, " ménages "
) payés en droits
d'auteur ou " au noir " ne sont plus des exceptions : ce sont les
modes d'exercice les plus répandus dans notre profession.
Ceci engendre colères et déceptions, qui conduisent beaucoup
des jeunes journalistes à envisager d'autres carrières, perçues
comme moins difficiles. Un sentiment d'amertume est souvent ressenti qui s'explique,
selon nous, par le décalage entre les " grands principes "
de notre métier inculqués au CFJ (constituer un contre-pouvoir,
le quatrième pouvoir
) et leur application concrète sur
un marché de plus en plus difficile.
Nous ne souhaitons pas " casser " les mythes pour désespérer
les étudiants, ou créer une génération de journalistes
formatés aux besoin du marchés et oublieux des valeurs qui régissent
l'histoire de notre établissement. Au contraire, nous souhaitons que
s'élabore au CFJ une pédagogie qui leur donne les armes pour
exercer convenablement leur métier, malgré des conditions de
travail de plus en plus âpres.
b - Des cours de pige
Il est indispensable d'avoir une connaissance du statut de pigiste que nous connaîtrons tous dans les mois suivant notre sortie du CFJ. Savoir que ce n'est pas l'"enfer" - même s'il est plus souvent subi que choisi - mais un mode de travail à comprendre et aussi parfois une forme de liberté. Nous proposons d'instaurer en deuxième année des modules obligatoires de connaissance de la pige.
Ces modules devront
porter sur la partie strictement éditoriale (comment proposer des articles,
ce qu'il faut faire et ne pas faire
) mais aussi sur des aspects plus
prosaïques : les grilles de salaires, les cas d'arnaque à éviter.
A cet effet, nous préconisons de faire connaître des associations
(Angle Vif, Profession : pigiste
) ou des collectifs de pigistes (la
25e ligne, Editoile
). Il faut que les étudiants travaillent avec
eux pour apprendre concrètement le métier de pigiste, et être
conseillé sur des difficultés précises, plutôt
que de se retrouver du jour au lendemain sur le marché du travail.
NB : il est important d'inviter toutes les spécialisations - y compris JRI - à ce module qui sera utile à tous. Il est par ailleurs indispensable de ne pas limiter ces cours à la presse écrite, mais de faire intervenir des pigistes en télévision et radio.
c - Appréhender la " vraie vie "
Il serait souhaitable
d'avoir une meilleure connaissance de nos droits, nous qui serons souvent
en butte à la précarisation : que faire en cas de licenciement,
comment fonctionnent le système Assedic, l'ANPE, quelle est la fiscalité,
comment marche la clause de cession, les " carences " etc.
Nous proposons d'inviter par exemple le représentant d'un syndicat,
qui permette d'établir un vade-mecum consultable une fois que les étudiants
se trouveront sur le marché du travail.
2 - D'autres approches pédagogiques
a - Entendre d'autres voix
Inviter des "professionnels
de la profession" à venir s'exprimer devant les étudiants,
mais aussi des non-journalistes qui ont réfléchi à ce
métier (Cyril Lemieux, Alain Accardo ou Jacques Le Bohec), des gens
qui ont un discours "politiquement incorrect" sur la profession
(Serge Halimi, Bernard Morrot, Pierre Carles, Denis Sieffert, Philippe Val
).
Ces personnalités feraient part des critiques que nous allons devoir
affronter dans notre milieu professionnel et qui ne sont pas toutes infondées.
Il faut que les étudiants du CFJ aient l'occasion de réfléchir
sur les problèmes éthiques de notre métier.
Consulter également les étudiants sur les personnalités
qu'ils souhaitent rencontrer.
b - Mieux connaître la société et ses problématiques
Beaucoup d'entre nous estiment avoir souffert de nombreuses lacunes sur des problèmes économiques et sociétaux concrets, qu'il est pourtant souhaitable de comprendre pour donner du sens à l'actualité. Nous recommandons d'instaurer en 1ere année un module d'enseignement obligatoire de compréhension de la société.
Ce module pourrait aborder les thèmes suivants, ardus mais souvent indispensables : problème des retraites, syndicats, immigration, Unedic, impôts, travail précaire, politique culturelle française, épargne salariale Ce genre de sujets ardus doivent être expliqués sous l'angle non " magistral ", mais journalistique, par des rédacteurs spécialistes de ces questions (Guillaume Duval, Mathieu Croissandeau, Philippe Bernard ). Il est moins important de faire débattre les étudiants sur ces questions complexes, que de leur faire connaître les divers partis pris publics (ce qu'en pensent les syndicats et le Medef, la droite et la gauche ).
c - Avoir les pieds sur Terre
Nous constatons que l'insuffisante mixité sociale de notre école et le parcours "protégé" de nombre d'étudiants les conduit à mal connaître la vie de millions de Français. Nous suggérons de créer un module magazine qui viserait à dresser le portrait humain d'un quartier, soit de Paris, soit de banlieue, par la connaissance de ses personnalités, de ses associations, de ses problèmes spécifiques ou universels Il ne s'agit pas de s'attarder plus sur le SDF que sur le cadre supérieur, mais précisément de cerner la réalité de nombreux représentants de la société dans toute leur complexité. Il faut du temps et de la perspicacité pour comprendre le lycéen, le staff de policiers, l'association de quartier, la retraitée, le travailleurs immigré, le voisin d'en face qui vote FN
Ces rencontres humaines n'empêchent pas d'adopter une approche plus "intellectuelle", qui donne la parole à un "expert" expliquant tel ou tel fait sociologique et fasse bonne place aux données chiffrées. Ce magazine pourrait être conçu dans l'esprit d'émissions radiophoniques comme "Portraits sensibles" ou "les Pieds sur Terre".
NB : Il serait souhaitable que cette initiative inclue toutes les spécialisations - qui possède chacune une approche spécifique - mais un point commun : le CFJ doit donner ce temps d'approcher la "vraie vie", dont le marché du travail et ses terribles délais nous coupera trop souvent.
d - Bénéficier d'une ouverture internationale
La renommée d'une école se construit souvent sur ses relations à l'international. C'est pourquoi nous suggérons que quelques mois soient passés à l'étranger pour ceux qui le souhaitent. Ces stages permettraient d'améliorer sa connaissance d'un pays et d'une langue, de créer un réseau de relations internationales que l'abolition de la conscription va faire disparaître, mais également de prendre du recul sur les pratiques journalistiques franco-françaises. Ces modules pourraient se dérouler dans des écoles de journalisme francophones, anglophones, germanophones, hispanophones ou italophones. Le principe de l'échange universitaire, peu coûteux, nous semble approprié. Mais ces stages pourraient également se dérouler dans des rédactions étrangères, selon des modalités qui restent à définir. Le réseau international d'anciens pourrait, à cet égard, s'avérer fructueux.
e - Plus de diversité en TBR
Nous proposons de "faire tourner" les professeurs de TBR, afin de faire connaître la diversité des approches d'écriture et éviter les " tics " contractés parfois avec un professeur unique et s'enrichir de regards différents. C'est du reste ce qui se passe dans la réalité du pigiste, qui fait relire sa copie à des yeux divers.
3 - Maintenir et rétablir des éléments de notre scolarité
L'association des Anciens souhaiterait réaffirmer son attachement à un certain nombre d'éléments que nous estimons indispensables à la bonne marche de notre école. Par le passé, ces éléments ont été remis en cause ou supprimés, à notre grand regret.
a - Des éléments à conserver
- Conserver la mise en place d'un quotidien école en milieu de 1ere année, exercice indispensable à l'apprentissage du métier. Rétablir des horaires de bouclage "normaux" pour permettre que soit effectué un travail de qualité, dont les élèves soient fiers.
- Poursuivre les visites en prison, qui nous semblent une expérience humaine et intellectuelle extrêmement enrichissante.
- Maintenir au moins le même contingent d'heures d'anglais, indispensables à l'exercice de notre profession.
- Maintenir les stage en PQR, première vraie expérience professionnelle pour beaucoup d'entre nous. Essayer d'étendre les stages à la presse hebdomadaire locale, souvent plus dynamique.
- Maintenir des rencontres entre les documentalistes et les étudiants pour conserver des liens forts avec la bibliothèque, dont les élèves méconnaissent trop souvent l'existence et le fonctionnement. Se pourvoir en ouvrages, notamment sur les médias, pour garantir ces lectures indispensables aux étudiants intéressés et peu fortunés.
b - ou à réhabiliter
- Réhabiliter la création d'au moins une maquette par les étudiants eux-mêmes, qui leur permette de stimuler l'imagination, de réfléchir sur le rubricage, le style graphique, le ton, qui constituent l'essence même d'un périodique - bien plus qu'avec une maquette déjà faite.
- Ressusciter le module de création d'un hebdomadaire dans une ville de province, exercice de création collective, de connaissance du terrain et, de l'avis général, extraordinaire expérience humaine.
c - Réaffirmer une ligne de séparation entre des univers incompatibles
Nous souhaitons que le CFJ ne fasse plus travailler les étudiants sur aucun projet qui les associe à une entreprise privée ou publique (hormis bien sûr une entreprise de presse), ou toute structure dépendant de l'Etat (ministère, administrations ). Nous comprenons ce qui a pu motiver des stages dans des services de communication ou des travaux en relation avec l'armée française, mais nous estimons qu'ils ne sont pas plus enrichissants qu'une rencontre avec les personnes intéressées, invitées au CFJ. Par ailleurs, elles font peser sur notre école des soupçons de proximité avec les institutions et les pouvoirs dominants, qui ne peuvent être aucunement bénéfiques à l'image du CFJ et qui dépassent de très loin le gain éventuel que ces expériences peuvent procurer aux étudiants.
4 - Propositions pour trois spécialisations
a - Presse écrite
De l'avis général et depuis des années, les étudiants en spécialisation presse écrite perçoivent la seconde année comme une période de sous-activité, voire d'ennui. " Ils ne savent pas comment nous occuper " est une phrase qui revient sans cesse.
Nous pensons qu'il
faut impérativement " occuper " cet espace vacant. Pourquoi
ne pas renforcer des points d'apprentissage ? Réaliser par exemple
une seconde enquête longue (15 à 20.000 signes), mais cette fois
conçue dans l'idée de les vendre en pige à des périodiques.
Peut-être cela pourrait-il être l'occasion d'aborder des sujets
humainement plus difficiles (comme par exemple notre proposition de magazine
liée à la vie d'un quartier, voir I-2, c, p.6).
Peut-être aussi faut-il envisager les stages à l'étranger
ou en entreprise à ce moment là.
b - Radio
Nous tenons à rappeler tout d'abord qu'il est souhaitable de maintenir les deux types d'équipements, analogique et numérique. Cette coexistence contraint souvent les étudiants à un jonglage qu'on pourrait croire passé de mode, mais qui apparaît finalement plutôt formateur, car proche de ce que certaines rédactions vivent (France Inter par exemple).
Mais cet équipement ainsi que la salle de rédaction sont installés dans un sous-sol exigu, bas de plafond et non-climatisé. Ceci n'est pas un point anecdotique. Dans certaines circonstances, ces considérations logistiques posent de nombreux problèmes qui nuisent indéniablement à la qualité des conditions de travail et à l'ambiance d'apprentissage : surpopulation (quand il faut cohabiter avec certains stages CPJ et/ou la promo précédente), chaleur moite, voire pénurie d'équipement. Sans compter le sentiment désagréable, certaines semaines de desk, de n'avoir vu la lumière du jour qu'à la faveur de la pause déjeuner...
c - Télévision
Il nous semble important de former des journalistes biqualifiés rédacteur/JRI. Cela nous apparaît une nécessité au regard des mutations du secteur audiovisuel et qui exige de plus en plus une double-compétence. Libre aux étudiants, en fin de seconde année, de choisir un stage " JRI " ou " Rédacteur ". Cela nécessiterait bien entendu d´étendre la durée de la spécialisation télé sur une année scolaire complète.
Par ailleurs, en comparaison avec toutes les autres spécialisations, la formation au " news " prédomine largement en section télé. L'horizon audiovisuel n'a pourtant cessé de s'élargir. Pour une meilleure adéquation avec le marché de l'emploi autant que par souci pédagogique, nous préconisons d'ouvrir davantage les portes à un journalisme télévisuel polymorphe :
- Diversifier les
intervenants : JRI et rédacteurs de magazines. Sans la prétention
de pouvoir maîtriser parfaitement l'écriture (commentaire et
image) magazine, créer plusieurs cessions d'initiation aux reportages
à moyen et long cours.
Exemples d'intervenants : Envoyé spécial, 7 à 8, Pièces
à conviction, Zone interdite, Capital, E=M6, Strip-Tease, case reportage
d'Arte, agences TV (Capa, Sunset, Galaxie Presse), sociétés
de production mais aussi collaborateurs de magazines spécialisés
comme sur France 5 ou les chaînes du câble.
- D'autre part, dans la plupart des rédactions, il existe des journalistes qui travaillent à la fois pour les journaux et les magazines. Ils seront à même de décrire les nuances entre les différents formats. Tous ces intervenants seront d'autant plus utiles qu'ils pourront encadrer des projets de type " magazine ".
- Il parait nécessaire d'organiser des visionnages/débats autours de reportages comme on le fait souvent autour d'une édition quotidienne de TF1 ou F2.
- Enfin, nous pensons qu'il serait souhaitable d'inviter un documentariste.
Quelques propositions
de réalisation :
- Conserver le magazine JRI (nécessaire expérience pour les
biqualifiés)
- Produire un autre magazine en binôme Rédacteur JRI
- Monter une émission spéciale autour d'un thème d'actualité
avec divers reportages (durée à définir, pas forcément
très longs), ITVs enregistrées et débat avec invités
en plateau
- Faire au mois une tentative de reportage sans commentaire (JRI comme rédacteurs
peuvent s'y frotter)
- Organiser une semaine de reportages régionaux, type France 3 Ile-de-France.
(Même si la réalité du CFJ s'en approche déjà
souvent)
- Lorsque les rédacteurs seront formés à l'image (il
est assez facile d'utiliser les DV), faire l'expérience d'inverser
les rôles avec les JRI.
-Et d'une manière générale, favoriser les expériences
professionnelle avec des sociétés de production ou des chaînes
de TV.
En dernier lieu,
il nous semble impératif de tenir le matériel audiovisuel du
CFJ à la disposition des étudiants les soirs et week-end, ce
qui n'a pas toujours été évident. Des doubles de clés
doivent aussi leur être fournis pour accéder aux salles équipées
en montage virtuel (montage auquel ils sont normalement formés).