Belgique

La Belgique a la responsabilité de réussir
PAR OLIVIER MOUTON ET BOUDEWIJN VANPETEGHEM - Mis en ligne le 18/05/2001

Philippe de Belgique présente ses convictions sur la cohabitation belge, l'avenir européen et la place de Bruxelles

BELGA

RENCONTRE

Un soleil matinal timide brille sur le Palais royal de Bruxelles ce mercredi 16 mai. Habillé en queue de pie, un attaché du prince Philippe ouvre en une danse protocolaire la voie vers l'intérieur du majestueux bâtiment de la maison Belgique. L'instant est solennel. Un rien «vieille France», aussi.

Le majordome du Prince, aux moustaches enroulées, souhaite la bienvenue, dans les deux langues, au coeur du Palais royal. Il faut patienter quelques minutes. Le temps de découvrir, parmi d'autres ouvrages posés sur la table, deux volumes en néerlandais consacrés au Parlement flamand, d'autres concernant la forêt de Soignes, le Palais à travers les timbres postes ou encore la collection complète du «National Geographic». Un signe: cette demeure entend bien être celle de tous les habitants de notre État fédéral, tout en restant ouverte au monde.

Le discours à suivre confirmera le propos. Le prince Philippe a bel et bien une vision à long terme pour ce pays dont il devrait un jour prendre la tête. Pour sa capitale aussi, Bruxelles. Et pour l'Europe. Avec toujours, dans le raisonnement de ce futur père, un intérêt marqué pour la jeunesse.

UNE INTERVIEW? DIFFICILE

Cette audience est le couronnement de l'échange journalistique réalisé entre le «Standaard» et «La Libre Belgique», qui a eu lieu en février et mars. Elle est à la fois le fruit d'un pari et d'une conviction.

Un pari? Suite à ce fructueux échange nouant de nouveaux liens par-delà la frontière linguistique, seule manquait au tableau une interview symbolique. Du roi Albert II, par exemple? Le nom fuse, par hasard. Il semble toutefois peu probable que le Souverain se prête à un tel exercice. Pourquoi pas le prince Philippe, alors? Le prétendant au trône soutient financièrement ces échanges journalistiques via le Fonds portant son nom. Il porte, ce faisant, une conviction: il faut nouer de nouveaux liens entre ces entités fédérées à l'autonomie croissante. Nous sommes au coeur du sujet.

Un contact est pris avec le Palais au début du mois d'avril. Après la surprise des premiers instants, une réunion est fixée quinze jours plus tard avec les conseillers du Prince en matière de communication pour préparer l'entretien. Faire une véritable interview du Prince sur des sujets de fond, en partant de ce cadre idéal que constitue ce Fonds? Difficile, disent-ils. Le Palais royal cherche à devenir de plus en plus transparent, mais cette philosophie s'inscrit dans une vision à long terme. Pas à pas. Impossible de brûler les étapes dans notre pays aux méandres institutionnels complexes. En outre, le prétendant au trône se doit de conserver une certaine réserve sur les sujets de politique intérieure.

Cela n'empêche qu'une rencontre assez libre peut avoir lieu. Sans enregistreur, ni photographe, comme le veut l'usage journalistique pour de tels entretiens. Mais avec un compte rendu à la clé, pour autant qu'il ne soit pas présenté sous la forme d'un «questions-réponses».

L'AMOUR DES LANGUES

Les portes s'ouvrent sur le bureau du prétendant au trône. Sur la table, café et thé sont prêts. L'audience peut débuter, en français et en néerlandais. Dans un premier temps, on sent le prince Philippe un peu mal à l'aise, timide sans doute, mais la glace fond assez vite. Alors, le verbe devient plus fluide. Les convictions et les rêves se transmettent.

En guise de préambule, le prince Philippe témoigne de ce souci de jeter des ponts entre les Communautés. La jeunesse, surtout, figure au coeur de ses priorités. Des échanges sont organisés entre écoles, entre hautes écoles aussi. Bientôt entre universités, souhaite-t-il, histoire d'initier en Belgique une évolution comparable à celle véhiculée par le programme Erasmus au niveau européen. La clé de tout, dans ce Royaume? Le bilinguisme, bien sûr. Le Fonds prince Philippe apporte une petite pierre à l'édifice en soutenant des stages d'apprentissage d'une autre langue nationale, mais un mouvement plus large est nécessaire.

Evoquant la question linguistique, sensible dans notre pays, le Prince tient à préciser avec véhémence: «Ce Palais royal n'est pas une maison francophone.» Ou encore: «Le néerlandais est ma langue, tout autant que le français.» Il trouve injuste que certains puissent penser le contraire. Cela vaut tout autant pour son épouse. La princesse Mathilde, précise-t-il, a ce même souci de cultiver le bilinguisme. Ceux qui prétendent le contraire ne peuvent dès lors être que des ennemis d'une certaine réalité belge. «Une langue est une manière de regarder le monde, d'aller vers l'autre et de percevoir sa sensibilité», ajoute le Prince. Qui considère aussi l'humour dans une autre langue comme un élément décisif pour la connaissance de celle-ci.

La Belgique constitue, à cet égard, un tremplin vers l'Europe. Au croisement des deux principales cultures continentales, elle offre une chance unique d'ouverture au monde. Le néerlandais permet en effet d'appréhender plus facilement le monde germanique. Le français permet d'en faire de même avec le monde latin. Le Prince lui-même parle le français bien sûr, le néerlandais parfaitement, l'anglais sans problème. Il a aussi de très bonnes notions d'allemand, d'espagnol et d'italien.

LA RESPONSABILITÉ BELGE

Cette philosophie d'ouverture et de tolérance sous-tend tout le discours du prince Philippe. De son oncle, le roi Baudouin, il a d'ailleurs reçu cela en héritage, avec deux missions principales: la promotion de l'image de la Belgique et la construction de ponts entre Communautés.

Continent en miniature, notre pays est un symbole. Il peut être, à certains égards, un modèle de cohabitation pour d'autres régions du monde comme les Balkans, la Russie ou le Proche-Orient. Notre futur Roi est particulièrement soucieux de cette image à l'étranger. «La Belgique a une responsabilité dans le monde», dit-il. «Nous devons réussir.» Pour cela, il compte avant tout sur les gens «de bonne volonté». Il n'en manque pas, précise-t-il. C'est heureux. Pour bâtir un fédéralisme adulte, il reste beaucoup de travail à accomplir.

Propulsé en 1993 à la présidence d'honneur de l'Office belge du commerce extérieur, le prince Philippe ne conçoit dès lors pas cette tâche comme la seule promotion de la société anonyme Belgique. Il y a aussi, à travers ces voyages, le souci de donner l'image d'un pays vivant en harmonie, doté d'une qualité de vie exceptionnelle. Lors de ces récents voyages aux Etats-Unis, en Thaïlande ou à Hong-Kong, telle est l'image qu'il a voulu faire passer.

Les conseillers du Prince ne souhaitent pas qu'il se prononce directement sur ce sujet polémique qu'est la régionalisation du commerce extérieur, prévue par les accords institutionnels du Lambermont. Le Prince esquisse toutefois une réponse nette: «Ce qui compte, c'est la finalité: promouvoir le pays. Pas les moyens d'y arriver.» On en revient toujours à cette nécessité de mettre ensemble les gens qui ont une vision positive. Pour avancer dans la bonne direction. Autonomie et collaboration.

UNE EUROPE HUMANISTE

En décembre, le Palais de Laeken sera au centre des regards du monde entier. Lors d'un Sommet européen crucial, les Quinze élaboreront leur projet pour un avenir marqué par l'élargissement. Une déclaration fort attendue devrait en résulter. Le Fonds prince Philippe participera lui aussi à cette nouvelle aventure. A sa manière. En misant sur la jeunesse.

L'opération «Expédition jeunesse» permet ainsi à une centaine de jeunes Belges ayant entre 17 et 25 ans de débattre de leur projet pour l'Union européenne de demain. Quatre personnalités politiques d'envergure les encadrent dans cette mission: l'ancien Premier ministre Jean-Luc Dehaene (CVP), l'ancien commissaire européen Karel Van Miert (SP), le ministre des Affaires étrangères Louis Michel (PRL) et le commissaire européen Philippe Busquin (PS). Le fruit de ces jeunes réflexions? Un document commun qui, nourri de remarques venues de jeunes des quatorze autres pays de l'Union, sera remis aux chefs d'Etat en décembre.

Le prince Philippe suivra de près ce travail. Si la Belgique est un tremplin vers l'Europe, il considère l'Europe comme un tremplin vers le monde en voie de globalisation. Mais pas n'importe quel tremplin. A ses yeux, l'Europe peut devenir une sorte d'Etats-Unis, mais avec d'autres accents. Ce doit être un centre de tolérance, d'humanisme, de multiculturalisme. Un pôle d'attraction, en somme. Et un stimulant pour un monde meilleur. Mais surtout pas une nouvelle puissance hégémonique. Le temps des empires est révolu.

UN RÊVE POUR BRUXELLES

Prolixe, le prince Philippe insiste sans cesse sur ces trois cercles: Belgique, Europe, monde. Il n'oublie pas sa ville. «J'ai un rêve pour Bruxelles», s'enthousiasme-t-il. Capitale administrative de l'Europe, Bruxelles pourrait devenir un lieu de rencontre des cultures, un centre où se retrouveraient des intellectuels de toute l'Union. De là, l'idéalisme européen pourrait prendre un nouveau départ, moins technocratique.

Il faut rêver, semble se dire sans cesse le prince Philippe. «Mais j'ai assez parlé» Alors, il prend la peine d'écouter encore ses interlocuteurs, s'inquiète de savoir comment l'on perçoit les projets soutenus par ce Fonds qu'il a initié et pose encore quelques questions au sujet de notre échange. Le ton est détendu. Le Prince, visiblement libéré, sert lui-même une tasse de café. Puis, l'entretien prend fin. Il aura duré deux heures, pas moins.

© La Libre Belgique 2001


Lili l'Européenne, symbole insuffisant pour les facilités
O. M.- Mis en ligne le 13/06/2001

La déléguée du Conseil de l'Europe a rencontré le Premier ministre. Message: il n'y aura pas de Convention-cadre

La Suisse Lili Nabholz-Haidegger, déléguée du Conseil de l'Europe, a entamé mercredi, lors d'une visite d'un jour à Bruxelles, une délicate mission sur le terrain communautaire belgo-belge, trois ans à peine après celle de son compatriote Dumeni Columberg. «Mon rapport sera plus vaste que celui de M. Columberg», dit-elle. «J'évoquerai en effet l'ensemble des minorités de votre pays tandis qu'il s'était limité aux francophones de la périphérie bruxelloise.» Après avoir rencontré le matin des élus francophones de la périphérie, elle a dialogué en fin de journée avec les deux vice-Premiers ministres chargés des Réformes institutionnelles, Louis Michel (PRL) et Johan Vande Lanotte (SP), ainsi qu'avec le Premier ministre, Guy Verhofstadt. Séparément.

Le problème, reconnaît-elle, est «plus complexe» que ce qu'elle escomptait. «Je suis consciente que ces questions touchent dans une large mesure aux sentiments des gens», ajoute cette Zurichoise. C'est un euphémisme. La venue de cette envoyée survient à un moment clé. La Chambre devrait en effet entériner d'ici une dizaine de jours la régionalisation des lois communale et provinciale. Et le week-end dernier, des incidents ont soudain remis les Fourons au centre du paysage politique.

«Je ne peux me prononcer pour l'instant sur ces questions difficiles», précise Lili Nabholz-Haidegger. «Il me faut tout d'abord entendre les deux parties pour avoir une image complète. Mais je peux vous assurer que je rédigerai mon rapport avec le regard le plus neutre possible.» Avant d'entamer ses pourparlers, elle s'est toutefois avancée en déclinant sa question centrale: «J'aimerais quand même savoir pourquoi les Flamands refusent de ratifier la Convention-cadre pour la protection des minorités.»

Cette question, la déléguée du Conseil de l'Europe aura l'occasion de la poser directement aux autorités régionales flamandes au début du mois de septembre. À ce moment, elle reviendra une semaine dans notre pays pour y visiter également les communes concernées. Paul Van Grembergen, ministre flamand des Affaires intérieures, a déjà annoncé la couleur: «Nous allons préparer sa visite de façon minutieuse.» L'argumentation flamande est toutefois connue: il n'y a de minorité qu'au niveau national. Les francophones habitant en Flandre ne sont donc pas une minorité selon les termes du Conseil de l'Europe.

La Convention-cadre pour la protection des minorités pourrait-elle revenir sur la table plus vite qu'il n'y paraît? Pour obtenir une majorité des deux tiers susceptible de voter à la Chambre la régionalisation de la loi communale, le Premier ministre Guy Verhofstadt va peut-être devoir faire les yeux doux aux partis francophones. Le FDF et le PSC, tous deux dans l'oeil du cyclone, mettent en avant - comme préalable - la ratification de ce texte très général, mais dont les implications institutionnelles pourraient ne pas être minces. «Nous souhaitons une ratification de ce texte sans la moindre réserve», insiste Christian Van Eyken, bourgmestre de Linkebeek et seul député francophone au Parlement flamand. «Cela signifierait l'élargissement des protections aux francophones de toute la périphérie.»

Nous n'en sommes pas là. Pendant une demi-heure, le Premier ministre a expliqué à Mme Nabholz-Haidegger le contexte belgo-belge. Surtout, il lui a signifié à quel point les craintes flamandes sont immenses à l'égard de l'adoption de la Convention-cadre. Un refus qui trouve, notamment, ses racines dans l'arrogance passée des francophones.

© La Libre Belgique 2001

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