Fédéralisation
Reprenons calmement. La Belgique fédérale se refait à nouveau la façade. Ses colocataires sont parvenus à s'entendre sur le choix des couleurs. À chacun les siennes. Tout serait nickel, si le devis des travaux ne devait pas être approuvé par deux tiers des commanditaires...
ÉCLAIRAGE
L'évolution de notre vaillant Royaume (ô! combien) est jalonnée de réformes qui ont abouti (en 1970, 80, 88-89, 93). Elle est aussi émaillée de pactes morts-nés (ainsi d'Egmont, en 1978, ou de la phase «immédiate» du programme institutionnel du gouvernement Martens II en 80). Au lendemain du désaveu infligé par une majorité de la Volksunie aux derniers accords institutionnels, il est impossible de prédire dans laquelle des deux catégories l'histoire politique devra les cataloguer. Reprenons par le début.
1. De quels accords s'agit-il? Ils sont doubles. Les premiers, du 16 octobre dernier, dits de la Sainte-Perlette, définissaient les principes; les seconds, du 23 janvier, dits de la Saint-Polycarpe, les ont traduits légalement. Ils ont été négociés entre les leaders des différents exécutifs, fédéral et fédérés, flanqués des présidents de la Commission des réformes institutionnelles (Costa ou Ciiri), Moureaux (PS) et Vankrunkelsven (Volkunie); ils sont conclus entre les partis socialistes, libéraux et écologistes de la majorité, auxquels s'ajoute la Volksunie (dont on n'oubliera pas qu'elle participe à la majorité du gouvernement flamand). Leur contenu? Il est double aussi. Il y a un volet «finances» (le refinancement des communautés, en balance avec des éléments d'autonomie fiscale des régions); et un volet «compétences» (le transfert aux régions des lois des communes et des provinces, de l'agriculture, du commerce extérieur, de la coopération au développement).
2. Quel est le problème? Il est, avant tout, arithmétique. Deux projets de loi spéciale ont été déposés, de financement d'une part, de transfert de compétences d'autre part, qui adaptent d'autres lois spéciales. Les lois ainsi qualifiées règlent des questions communautaires particulièrement importantes. C'est la raison pour laquelle elles doivent être votées non à la majorité simple mais à une majorité dite aussi «spéciale» parce qu'elle requiert trois conditions cumulatives: majorité des présents dans chaque groupe linguistique, majorité des votants dans chacun de ces groupes, un total de votes positifs atteignant les deux tiers des suffrages exprimés. C'est ici que la majorité arc-en-ciel s'avère trop étriquée dans les deux assemblées fédérales compétentes: elle peut compter sur 94 députés sur 150 alors qu'il lui en faut 100, et sur 47 sénateurs sur 71 alors qu'il lui en faut 48. Elle doit donc pouvoir compter sur tout ou partie du groupe VU-ID, surtout si elle doit se passer de l'appui des parlementaires FDF (2 députés et 1 sénateur). Tout ceci théoriquement, sans préjudice d'abstentions, malades et autres absents de part et d'autre au moment des votes
3. Les deux tiers sont-ils inaccessibles? Bien des eaux couleront d'ici aux votes (prévus début d'été). Le «niet» d'une majorité du Conseil de la Volksunie n'est ni total (des parlementaires VU et surtout ID, le mouvement accolé au parti, restent déterminés à approuver les deux projets), ni définitif (lire ci-dessous). Le vote d'hier peut d'ailleurs n'être en partie que tactique, pour forcer à des ajouts. Reste que les accords sont virtuellement dans le lac, et on doute que les coalisés se contentent de s'en remettre au hasard pour engranger des réformes auxquelles ils sont très attachés.
4. Que peut faire la majorité? Ne retenir que le projet «financement» et remballer son pendant «compétences» ? Bien des francophones ne demanderaient pas mieux, mais c'est politiquement impensable et la mécanique bicamérale préviendra toute velléité de saucissonner les textes. Appeler l'opposition sociale-chrétienne à la rescousse? Ce n'est à l'ordre du jour ni des invitants ni des invités potentiels et les derniers ne manqueraient pas de vouloir revoir toute la copie. Renégocier entre les auteurs? C'est aujourd'hui exclu mais cet interdit de toucher à l'acquis n'empêcherait pas des ajouts. Ce paraît même être la seule voie possible pour s'attirer les grâces de récalcitrants. On songe à quelques précisions sur la régionalisation de la coopération, et surtout aux mécanismes de protection des néerlandophones à Bruxelles.
5. Mais au fond, quelle importance? Pourquoi devrait-on craindre que fassent naufrage des accords qui n'inspirent pas que des compliments? Les majoritaires pourraient même renoncer sans perdre la face, en se rangeant derrière un avis du Conseil d'État que la constitutionnalité douteuse de plusieurs dispositions annonce négatif Mais un échec pèserait lourd à la Communauté française. Certes, gare aux illusions, le refinancement a été programmé lent et à distance. Mais si les premières marges ne sont espérées au mieux qu'en 2004 (voire 2006), les premiers suppléments viendront en 2002 et 2003 soulager les déficits prévus ces années-là. Faute de quoi l'on risque le retour de l'austérité, des tensions intrafrancophones, d'une base plus excédée encore.
© La Libre Belgique 2001