Balkans: quelle victoire pour l'OTAN ?
A l'heure où les bombardements semblent devoir cesser
sous peu dans les Balkans, après douze semaines de frappes,
peut-on vraiment parler de victoire de l'OTAN ? La question est
légitime aux yeux de ceux qui se méfient, par principe,
de la prégnance des propagandes en temps de guerre. Un
phénomène classique, qui n'épargne nullement
les démocraties, et qu'analyse le site "Gridlock & Load". Les mauvais
esprits se moqueront des commentateurs à géométrie
variable qui ont applaudi l'intervention militaire de l'Alliance
à ses débuts, avant de la condamner lorsque ses
résultats apparaissaient plus qu'incertains, avant de
la féliciter au moment de l'accord du 3 juin...
C'est, en définitive, sur le terrain de l'application
concrète du "plan de paix" que l'on jugera du
bilan de l'action militaire entreprise par l'OTAN. En attendant,
il semble s'agir plus d'une défaite de Slobodan Milosevic
que d'un triomphe de l'Alliance atlantique. La comparaison des
textes de l'accord de Rambouillet et de celui du 3 juin accepté par les Yougoslaves
n'incite pas à conclure à une pure et simple capitulation
de Belgrade. Le plan de paix arraché par les envoyés
européen Martti Ahtisaari et russe Viktor Tchernomyrdine
est autrement plus flou que le document minutieux élaboré
à Rambouillet. Certes, les forces serbes sont, cette fois-ci,
sommées de quitter le Kosovo beaucoup plus rapidement
qu'en mars. Mais deux différences vont dans le sens des
intérêts yougoslaves. Premièrement, la force
militaire internationale de rétablissement de la paix
se déploiera "sous l'égide de l'ONU"
avec une "participation essentielle de l'OTAN". D'après
Rambouillet, c'était directement à l'OTAN qu'il
revenait de "mettre en place" une telle force. Deuxièmement,
il n'est plus fait allusion au référendum d'auto-détermination
du Kosovo en 2002 évoqué en mars. Si Milosevic
a bien dû accepter l'essentiel de l'accord de Rambouillet
- et la mise sous tutelle internationale de fait du Kosovo -
les Occidentaux ont tout de même consenti de réelles
concessions. Sans parler de la mention, explicite cette fois-ci,
de la démilitarisation de l'UCK.
L'accord du 3 juin, fortement impulsé par les Européens,
permet aussi aux Américains de sortir de ce qui risquait
de devenir une impasse. Leurs menaces d'intervention terrestre
auraient été très difficiles à mettre
à exécution, comme l'explique fort bien Michel
Tatu dans le numéro de mai de "Perspectives Stratégiques".
Outre-Atlantique, nombreux sont ceux qui regrettent cependant
les concessions faites par l'OTAN et qui laissent le "criminel
de guerre" Milosevic au pouvoir à Belgrade. Le "Boston Globe" proteste contre
ce qu'il appelle "une paix sans honneur". Plus nuancé,
le "Los Angeles Times" met en garde
ceux qui voient cette intervention comme un modèle pour
une nouvelle génération de guerres humanitaires.
Pointant "les coûts élevés politiques,
financiers et humains" de cette opération (1,4 million
d'expulsés pour les Albanais, 10 milliards de dollars
de dépenses pour l'Amérique), son commentateur
en vient à se demander si le conflit des Balkans ne renforcera
pas la tentation isolationniste aux Etats-Unis.
Eric Dupin, le 8 juin 1999.
Voir aussi:
TROIS REMARQUES SUR LE CONFLIT DU KOSOVO
REFLECHIR AUTREMENT A LA GUERRE DES
BALKANS
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