L'INDÉPENDANCE DU QUÉBEC
"La bourgeoisie, qui a tout naturellement, au début de tout mouvement national, une position d'hégémonie, qualifie d'action pratique le soutien de toutes les aspirations nationales. Mais la politique du prolétariat dans la question nationale (de même que dans les autres questions) ne soutient la bourgeoisie que dans une direction déterminée, sans jamais coïncider avec la politique de cette dernière. (...) Aussi les prolétaires opposent-ils au praticisme de la bourgeoisie une politique de principe dans la question nationale, n'accordant jamais à la bourgeoisie qu'un soutien conditionel. (...) La bourgeoisie place toujours au premier plan ses propres revendications nationales. Elle les formule de façon catégorique. Pour le prolétariat, elles sont subordonnées aux intérêts de la lutte de classe. Théoriquement, on ne saurait affirmer par avance si c'est la séparation d'une nation ou son égalité en droits avec une autre qui couronnera la révolution démocratique bourgeoise ; pour le prolétariat il importe dans les deux cas d'assurer le développement de sa propre classe ; ce qui importe pour la bourgeoisie, c'est d'entraver ce développement, en faisant passer les objectifs du prolétariat après ceux de "sa" nation. (...) Pour autant que la bourgeoisie d'une nation opprimée lutte contre la nation qui opprime, nous sommes toujours pour, en tout état de cause et plus résolument que quiconque, car nous sommes l'ennemi le plus hardi et le plus conséquent de l'oppression." Lénine, Du droit des nations à disposer d'elle-mêmes, p.23,24,26 et 27.
Pourquoi être pour l'indépendance du Québec lorsque l'on est pas nationaliste, que l'anglais ne nous cause pas vraiment de problème et que l'on perçoit l'État Québécois au même niveau que l'État Canadien? Si vous vous posez cette question, le texte qui suit vous apportera une réponse. Si vous êtes déjà souverainiste ou indépendantiste, mais que vous vous fier au Parti Québécois pour réaliser L'indépendance du Québec, ce texte vous démontrera pourquoi vous êtes dans l'erreur. Le texte qui suit est un petit résumer du manifeste de Gauche Socialiste concernant l'indépendance du Québec, qui a pour titre Une autre option pour le Québec: Pour une alternative indépendantiste, démocratique, écologiste, féministe et socialiste. Je vous souhaite bonne lecture et j'espère que vous allez vous questionnez et réfléchir sur ce sujet.
La réalité de l'oppression nationale du Québec
Le Québec est une nation dominée. Cette réalité que plusieurs voudraient nier se manifeste clairement à tous les niveaux. Sur le plan socio-économique, les Québécoi(se)s ont des revenus inférieurs à la moyenne canadienne, et au Québec même, les francophones se retrouvent derrière presque tous les autres groupes ethniques et nationaux sur le plan des revenus moyens.
L'économie québécoise reste majoritairement dominée par des entreprises et des centres de décisions extérieurs, que ce soient les banques et autres grandes entreprises canadiennes-anglaises ou les multinationales américaines et autres.
Au niveau linguistique et culturel, le français reste une langue de second plan, moins rentable que l'anglais, même au Québec, pour ne rien dire du Canada-anglais. Nous baignons quotidiennement dans un environnement culturel anglophone, sous l'influence du "show-business" américain.
Sur le plan social, les francophones ont encore une espérance de vie plus courte que les anglophones, vivent en moins bonne santé, sont davantage sujets à la pauvreté, ont moins accès à l'éducation supérieure et restent de ce fait moins instruit(e)s que les anglophones, même au Québec.
Sur le plan politique, le Québec est dominé par Ottawa. Son gouvernement élu n'est pas libre de légiférer comme bon lui semble sur les questions vitales pour le Québec. Ses décisions peuvent être renversées par la cour suprême. Ses lois sont soumises à une soi-disante "Charte des droits" promulguée unilatéralement par Ottawa et qui peut servir à rendre inopérante n'importe quelle loi québécoise.
Mais surtout, Ottawa ne reconnaît pas au Québec le droit de se séparer du Canada. L'ancien premier ministre Trudeau l'a dit clairement: si besoin est, j'utiliserai le glaive. L'armée et la police secrète canadienne considèrent le mouvement national québécois comme le principal "ennemi intérieur" qui menace la "sécurité nationale" du Canada. Ils ne reculeraient devant aucun moyen pour garder le Québec de force dans la confédération.
Bref, le Québec reste une nation dominée, n'en déplaise à tous ceux et celles qui voudraient nous faire croire que cela appartiendrait au passé.
La domination de la bourgeoisie canadienne
La réalité de l'oppression nationale du Québec ne peut donc faire de doute. Elle a été reconnue très largement dans la société québécoise depuis de nombreuses années. Seules les forces qui bénéficient directement ou indirectement de cette oppression peuvent nier sa réalité.
Mais d'où vient l'oppression du Québec? La conception plus courante dans le mouvement national québécois interprète la situation sous l'angle d'un conflit national qui dure depuis des siècles opposant les Anglais aux Français, le Canada au Québec, comme si l'État canadien et les institutions fédérales représentaient les intérêts de la population canadienne-anglaise prise comme un bloc et opposés en bloc aux intérêts du Québec. En fait, l'État canadien s'oppose non seulement au Québec, mais aussi aux mouvements ouvriers, populaires et féministes, au Canada-anglais comme au Québec. La police secrète n'espionne pas seulement les indépendantistes québécois, mais aussi les syndicats canadiens-anglais. L'armée canadienne n'est pas intervenue seulement contre le Québec, mais aussi contre les grèves au Canada-anglais.
En fait, l'État canadien représente et défend non pas la population canadienne-anglaise, mais une infime minorité de cette population, la classe des grands capitalistes, banquiers et financiers à qui ce pays appartient. Huit groupes d'intérêts seulement contrôlent la majorité des actions à la Bourse de Toronto, qui compte pour 73% de la capitalisation boursière au Canada. Ce sont eux qu'Ottawa défend, non seulement contre le Québec, mais aussi contre les masses populaires du Canada-anglais. Ce sont eux qui ont intérêt à maintenir la domination canadienne sur le Québec, en tant que marché captif, réservoir de main-d'oeuvre sous-payée et source de matières premières. Ce sont eux qui bénéficient de l'oppression nationale du Québec, et pas les masses populaires du Canada-anglais.
La complicité de la bourgeoisie québécoise
Les vieux partis politiques au Québec prétendent qu'ils défendent les intérêts de tout(e)s les Québécoi(se)s, aussi bien le Parti Libéral que le Parti Québécois. Mais c'est chose impossible. Le Québec non plus n'est pas un bloc formé d'une seule classe où tout le monde a les mêmes intérêts. La société québécoise est divisée en classes sociales aux intérêts opposés, comme dans tous les pays capitalistes. On ne peut pas défendre en même temps Provigo et la caissière de Provigo, Bombardier et l'ouvrier de Bombardier. Malgré leurs prétentions à défendre tout le monde, les gouvernements québécois se sont toujours rangés avec le patronat contre la classe ouvrière quand les conflits de travail les forçaient à prendre position. Et ce n'est pas un hasard. Les grands partis représentent les intérêts de la bourgeoisie québécoise.
C'est évident dans le cas du Parti Libéral, qui ne s'en cache même pas. C'était moins évident dans le cas du Parti Québécois, qui se déclarait un préjugé favorable aux travailleurs quand il était dans l'opposition. Mais son comportement au pouvoir entre 1976 et 1985 a fait la lumière sur ce point. Les véritables préjugés favorables du PQ allaient à la bourgeoisie québécoise, pas aux travailleurs et travailleuses, ni aux femmes, ni aux jeunes du Québec. Quand le PQ parle de bâtir le Québec, il parle en fait de renforcer la bourgeoisie québécoise.
Pas de lutte pour l'indépendance sans projet de société
Il y a déjà des conflits sociaux qui se livrent et vont continuer de se livrer entre les différentes classes de la société, pas parce qu'ils sont provoqués par des gens mal intentionnés qui veulent diviser la nation, mais parce qu'il y a des divergences d'intérêts incompatibles entre le Capital et le Travail. Personne n'a le pouvoir de reporter les conflits sociaux après la réalisation de l'indépendance. Ceux ou celles qui tentent d'y parvenir finissent inévitablement par s'opposer aux efforts de la classe ouvrière pour défendre et promouvoir ses intérêts, car ce n'est pas la bourgeoisie qui va se laisser convaincre de renoncer à défendre ses intérêts pour réaliser l'indépendance, cela va sans dire. La bourgeoisie continue à s'opposer à l'indépendance du Québec qu'elle trouve trop dangereuse. C'est pourquoi les forces qui se refusent à mener à bien la lutte contre la domination bourgeoise ne pourront pas mener à bien la lutte pour l'indépendance.
Mobiliser la majorité ouvrière dans un parti de classe
Les médias et l'idéologie bourgeoise cherchent toujours à valoriser les intérêts de la bourgeoisie en les présentant comme l'intérêt général, tout en dévalorisant les intérêts de la classe ouvrière vus comme des intérêts spéciaux d'un groupe particulier. En fait, la bourgeoisie constitue une infime minorité de la population dans un pays comme le Québec, où les différentes couches de la classe ouvrière représentent la grande majorité de la population, qu'il s'agisse des salarié(e)s confiné(e)s à des tâches d'exécution, des travailleur-euses à la retraite, des futur(e)s travailleur-euses aux études, sans oublier les couches populaires démunies qui se trouvent en position encore moins avantageuse. Toutes ensemble, les classes ouvrières et populaires font 80% de la population québécoise et 85% de la population francophone.
Le peuple québécois est un peuple de travailleurs et de travailleuses salariés dans sa grande majorité. Ce sont les forces qu'il faut mobiliser pour faire l'indépendance. Cela ne peut pas se faire en mettant de côté les revendications des travailleur-euses en leur disant d'attendre après l'indépendance. Au contraire, il faut s'appuyer sur ces mobilisations, les élargir toujours plus et les concentrer sur la lutte contre l'État canadien et pour la conquête du pouvoir. Et seule cette force ouvrière mobilisée dans la lutte pourra vaincre la résistance acharnée que l'État canadien opposera certainement aux efforts de libération nationale du Québec.
Il faut donc construire un parti des travailleuses et des travailleurs qui puisse relier intimement la lutte pour les revendications nationales du Québec avec les luttes ouvrières pour les revendications salariales, pour l'emploi et les conditions de travail; les lutes des femmes pour l'égalité réelle et non seulement formelle; les luttes des jeunes pour prendre une place dans la société; les luttes des couches déshéritées de la population pour une vie décente, etc. Il faut un parti qui puisse élargir ces mobilisations et faire converger toutes ces luttes vers un objectif central, le renversement de la domination de classe de la bourgeoisie et l'instauration d'un véritable gouvernement des travailleuses et des travailleurs.
Les centrales syndicales québécoises sont les forces sociales les mieux placées pour lancer un tel parti, conjointement avec les autres mouvements féministes, populaires ou jeunes, car ce sont les plus puissantes organisations de masse du peuple québécois. Mais pour qu'elles puissent jouer ce rôle, il faut en finir avec les politiques actuelles qui soumettent les centrales au PQ ou qui se limitent dans une neutralité partisane hypocrite, car il n'est pas possible d'être neutre. Ceci nécessite de transformer les syndicats pour qu'ils puissent mieux jouer leur rôle et assumer leur responsabilité dans la formation d'un parti des travailleuses et des travailleurs qui lutterait sérieusement pour former un gouvernement des travailleuses et des travailleurs, et pour la libération nationale du Québec.
L'unification inter-ethnique de la classe ouvrière québécoise
Si la classe ouvrière du Québec est en grande majorité québécoise francophone, les groupes ethniques lui fournissent pourtant des contingents nombreux, en particulier dans les secteurs les plus exploités. Pourtant, ces groupes sont trop souvent devenus la chair à canon des forces bourgeoises impérialistes dans leur lutte anti-québécoise. Radio-CFCF, The Gazette et autres instruments capitalistes d'intoxication de masse présentent faussement comme raciste toute espèce de revendication nationale ou linguistique de la majorité francophone. Ils moussent abondamment les attitudes racistes qui existent bel et bien dans la société québécoise... comme si le racisme n'existait pas du côté anglophone.
Mais la responsabilité effective de cette situation réside dans le caractère bourgeois, anti-ouvrier de la direction actuelle du mouvement national québécois. Comment demander aux couches ouvrières des communautés ethniques d'appuyer un mouvement qui ne leur apporte rien comme travailleur-euses et qui leur fait porter le poids des revendications linguistiques du Québec... sans même toucher aux véritables privilèges du groupe dominant? Le nationalisme bourgeois conservateur coupe la majorité québécoise des minorités ethniques et pousse ses dernières du côté des forces fédéralistes. Là aussi, le développement d'un pôle ouvrier socialiste est indispensable pour briser les divisions ethniques, en mobilisant les masses ouvrières et populaires de façon unitaire en défense de leurs revendications, en combattant le racisme sur le terrain et en faisant partager dans les divers groupes ethniques les revendications sociales et nationales légitimes de la classe ouvrière québécoise.
Pour une stratégie d'alliance ouvrière
Il ne faut pas s'y tromper: l'indépendance du Québec poserait un danger mortel pour la classe dominante du Canada. C'est croire au miracle de s'imaginer qu'elle va renoncer à sa domination par respect démocratique pour un référendum ou une consultation électorale. L'armée canadienne n'est pas là pour rien. L'État fédéral ne respectera le droit à l'auto-détermination du Québec que contraint et forcé.
C'est pourquoi il est vital pour le mouvement ouvrier et national québécois de chercher un soutien du côté des syndicats et des autres mouvements sociaux au Canada-anglais sur la base du respect du droit à l'autodétermination. Certes, il est vrai que les directions établies dans les centrales syndicales, au NPD-Canada et dans d'autres organismes ont plutôt tendance à s'aligner avec Ottawa contre le Québec; certes, il est vrai que les préjugées anti-québécois sont encore très répandus dans la population. Mais il aussi vrai qu'il existe un sentiment démocratique dans la population canadienne-anglaise et qu'il existe des courants ouvriers, féministes, populaires qui sont déjà sensibilisés à cette question.
En fait, la classe ouvrière canadienne-anglaise a aussi intérêt de son propre point de vue à ce que le Québec puisse exercer librement son droit à l'autodétermination. Marx disait déjà qu'un peuple qui en opprime un autre ne saurait être libre, et cela vaut aussi dans le contexte du Canada. Si la classe ouvrière canadienne s'allie à sa bourgeoisie et à son État dominant contre le Québec, elle s'interdit par le fait même toute possibilité d'alliance avec la classe ouvrière du Québec, sans laquelle elle est condamnée à rester soumise à la bourgeoisie canadienne. Si elle s'alliait au contraire à la classe ouvrière québécoise dans la défense de son droit à l'auto-détermination contre Ottawa, elle porterait un coup dur à la bourgeoisie canadienne et ouvrirait la voie à sa propre lutte pour le pouvoir.
Il faut donc développer une stratégie d'alliance ouvrière pancanadienne, pas à la manière des fédéralistes de gauche qui préconisent la renonciation à la lutte de libération nationale sous prétexte d'unité, mais sur la base d'une lutte conséquente contre les institutions répressives de l'État canadien, permettant au Québec d'exercer son droit à l'autodétermination; une alliance fondée sur des rapports égalitaires entre classes ouvrières des différentes nations et non pas sur des rapports de subordination; une alliance fondée sur la lutte pour renverser l'État canadien, non sur l'unité dans la soumission à Ottawa.