East Sea

Eldorado... de la Méduse

Le naufrage de l'East Sea sur les côtes varoises a eu l'effet d'un coup de tonnerre dans le ciel européen. L'alerte sonnée, qui s'est avérée inutile, ce week-end, à la vue d'un bateau au large des côtes bataves est révélatrice d'une sourde inquiétude.

Le ministre de l'Intérieur (travailliste) britannique a, samedi, tapé du point sur la table en rappelant qu'il était en droit de renvoyer manu militari vers la France tout Kurde pris en flagrant délit de traversée clandestine. C'est exact, mais pourquoi n'expulse-t-il pas ces émigrés qui viennent se réfugier dans son pays au rythme de 10 % d'augmentation par an ? Parce que l'opinion est craintive. Faudra-t-il désormais battre le tambour dès que l'on aura repéré au loin un vague pavillon battant les couleurs de Panama ou du Cambodge, les plus sujettes à caution dans le monde maritime ? Et après ? Ceux qui débarquent sont désespérés et, nous, nous sommes désemparés.

Ce n'est pas la première fois dans l'histoire que la prospérité tente de se protéger. Du limes romain (illustré encore par le fameux mur d'Adrien dont les restes sont visibles au nord de l'Angleterre) à la muraille de Chine conçue pour repousser les Mongols en passant par la ligne Maginot... l'efficacité n'a jamais été probante. Aujourd'hui, à la frontière mexicaine, les Américains, si hospitaliers tout au long du XIXe siècle et au début du XXe pour accueillir jusqu'à 10 000 émigrés par jour, savent qu'ils ne sont plus protégés par leurs barbelés et le fleuve El Paso... Les Latinos-Américains traversent et retraversent, après avoir été refoulés des dizaines de fois, jusqu'à passer !

Actuellement, 2 % des habitants de la planète, soit le tiers de la population de l'Union européenne, immigrent chaque année, n'hésitant plus à fuir pour un monde qu'ils rêvent. N'est-il pas affligeant d'entendre le témoignage de ce naufragé kurde qui affirme pouvoir travailler chez nous puisque « il sait conduire un tracteur ». Il ne saurait, bien sur, être au courant de ce que sont les agricultures française et européenne. Certes, il faut appliquer les lois mais, si le clivage entre, d'un côté, la grande misère et souvent les pires dictatures et, de l'autre, les démocraties aisées se poursuit, il y aura, refoulés ou pas, des milliers d'East Sea de par les mers et de camions de par les routes. Le stratège chinois Sun Tze en fait un de ses principes de base : « On ne peut rien faire contre le plus grand nombre » !

Les chefs d'État français et allemand, qui rencontrent demain celui de Pologne pour faire le point sur l'adhésion à l'Union européenne des pays d'Europe centrale, se rendent-ils compte que, sous prétexte qu'il est humainement difficile de réprimer, il est inhumain d'encourager ? Une dizaine de pays attendent de nous rejoindre. Il est faux de prétendre qu'ils rattraperont notre niveau de développement en quelques années. Il sera stipulé, car les nouveaux venus ne sauraient être des membres de l'Union de seconde zone, que leur population aura le droit total de circuler sur le continent. Et qui ira contrôler les frontières lituaniennes et bulgares qui sont des passoires ? Pour l'East Sea, il est trop tard, pour le reste c'est différent.

Jean-Louis GOMBEAUD

Lundi 26 Fevrier 2001 - Tous droits réservés - © Nice-Matin

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