L’Ordre du Christ Mutilé

: L'effacement de l'homme :

Effacer.

La figure humaine est une immondice rongée par la fièvre. Dégoûtante excavation de pourriture encore trop fraîche. Si nous sommes farouchement contre l’Homme, qu’on ne se méprenne pas, ce n’est ni par déception ou dépit, regrettant une époque mythique, un infâme âge d’or rousseauisto-hyperboréen, une pureté perdue, un quelconque Ordre Naturel, illusions plus ridicules qu’aucune autres encore. Ce n’est pas non plus parce que nous avons cru que le monde devait être un endroit paisible et viable, et que la violence humaine sans cesse remettait au lendemain ces belles illusions communautaristes frelatées des divers sous sectes politiques ou religieuses rances qui sévissent partout encore. Qu’on se mette bien d’accord sur les mots : si nous sommes « misanthropes », ce n’est pas à la mode pitoyable de « l’écologie profonde ». Cette antihumanisme idéaliste n’est que l’acte de faiblesse final d’une humanité qui s’illusionnait sur elle-même et sur la « bonté » naturelle d’une espèce aussi ridicule que toutes les autres. L’écologie profonde s’agite nerveusement contre l’Homme au nom d’illusions pires encore : la Nature et l’Egalité des Espèces. Mêlant les thèmes réactionnaires les plus éculés du Paradis perdu, de la biosphère, et les âneries égalitaires post-anarchistes au point de vouloir que le singe bénéficie désormais des droits du sous homme et inversement que le sous homme bénéficie des imminents droits du singe [que l’on ne tardera pas à identifier bientôt comme sous singe] ils présentent la pathologie la plus aisément identifiable du sous nihilisme moderne : le remplacement de l’humanisme par la morale puritaine et totalitaire de l’égalitarisme biologique absolu. Ils sont les figures les plus pures du ressentiment à l’égard de l’humain, les réactifs caractéristiques d’une époque de techne ultra avancée. Le rêve éco-primitiviste participe pleinement de cette décadence post-industrielle et pré-cybernétique: il joue le rôle décisif de la négativité marchande, de la fausse contestation moralitaire. L’antihumanisme écologique n’est que le cache-misère de l’humanisme révolutionnaire déçu et parvenu à son terme. Les forces actives affirmatives de l’ultra-surnihilisme que nous incarnons sont en tous points étrangers à cette histoire de la morale et du salut. Nous sommes la Joie devant la mort contre toute immortalité, contre toute « substance » éternelle. Si nous assumons la mort de la métaphysique, ce n’est pas, bien entendu, parce qu’il n’y a pas de « valeurs supérieures » à la Nature, mais tout simplement parce qu’il n’y a pas de Nature. Et conséquemment, là où n’y pas de Nature, de Substance, il n’y a pas non plus d’Homme. La tache de l’ultra-surnihilisme est – non pas une petite tabula rasa révolutionnaire qui permettrait à la morale néo-antihumano-marchande de s’installer pour une pax aeternam – mais d’achever le mouvement même de la décadence, de pousser le nihilisme jusqu’à son non-terme (son terme in-fini), l’expulser jusqu’à son propre écroulement métaphysique, de ruiner les palais du Rien pour s’achopper à l’abyme religieux du Sacré et de la Mort. Vidées, les figures de Dieu et de toutes ses hypostases décaties le sont depuis longtemps. Morte, la figure de l’Homme. Ce qui vient, c’est au-delà même de toute pensée politique ou philosophique, la Religion de la Mort : c’est-à-dire l’affirmation même du corps du Christ Mutilé, dont la tête pourrie explose en mille morceaux de merde sur l’Univers émietté et pulvérisé. Le Dieu mort que nous avons sacrifié, lame aiguisée sous la gorge, cou coupé sanglant et désormais putréfié, c’est le Christ Acéphale : conscience totalitaire de la Mort comme notre Joie infinie, comme notre destin accompli mais à jamais inachevé. Dans la gloire sans fin et sans nom de notre destruction radicale, dans l’acte inaugural de l’effacement de l’Homme, naît non pas une époque ou une ère, mais une conscience explosive de néant actif, de corps glorieux pourris, de désir infini se détruisant lui-même au fur et à mesure, de Joie féroce, d’atavisme barbare, un recueillement au plus profond des âges, un tassement sur soi de la plus longue mémoire. Cette métamorphose ultra violente de la conscience ne se fera pas sans meurtres, sans catastrophes, sans effondrements et retours en arrière réactifs. Mais d’ores et déjà n’espérant rien, ne voulant rien, n’attendant rien, nous nous contentons de précipiter ce monde dans le feu et de nous brûler les ailes, de nous détruire en détruisant, et d’accomplir en nous-mêmes cette prophétie du vide parfait qui est le dernier acte du nihilisme surpuissant.

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