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CENTRE D'ETUDES
SUPERIEURES D'ØSTFOLD
Français des Affaires et Commerce International Renaud Soufflot de Magny |
VALG 97
LES ELECTIONS LEGISLATIVES EN NORVEGE
Enjeux et acteurs
“Tremblement de terre”, “chaos”, hommes politiques et médias norvégiens ne trouvent pas de mots assez forts pour décrire la situation qui pourrait sortir des urnes le 15 septembre.
A moins de quatre semaines des élections législatives, le paysage politique semble en pleine recomposition : le Parti travailliste au pouvoir pourrait enregistrer un de ses plus mauvais résultats depuis la fin de la guerre; le Parti du progrès, mouvement populiste de Carl I. Hagen (parfois qualifié un peu hâtivement de “Le Pen norvégien”) est crédité de plus de 20 % des voix par les sondages; aucun des trois candidats déclarés au poste de Premier ministre ne semble en mesure de disposer de la majorité nécessaire pour mettre en œuvre une politique cohérente.
La Norvège désigne son Parlement (le Storting)
tous les quatre ans. Chacune des 19 régions élit au scrutin
proportionnel un nombre de députés dépendant de sa
population. Ainsi, la capitale, Oslo, choisit-elle 15 représentants
alors que le Finnmark à l’extrême nord du pays, peu peuplé,
n’en a que quatre. 157 mandats sont ainsi distribués, 8 autres étant
répartis en fonction des scores obtenus sur le plan national par
les différents mouvements politiques, à condition qu’ils
aient obtenus plus de 4 % des suffrages exprimés.
Ce mode de scrutin proportionnel favorise la multiplicité
des partis et les gouvernements minoritaires sont devenus la règle.
Le choix du Premier ministre, tête du pouvoir exécutif (le
roi ne joue qu’un rôle symbolique) est le résultat des tractations
entre les groupes parlementaires et on peut assister à des changements
de titulaires ou à des renversements d’alliance en cours de législature.
Ainsi l’an passé, la “dame de fer” norvégienne, Gro Harlem
Brundtland (travailliste), qui avait dirigé le gouvernement quasiment
sans interruption depuis 1986 a décidé de passer la main
et Thorbjørn Jagland lui a succédé sans que les électeurs
n’aient été le moins du monde consultés.
Beaucoup de Norvégiens qui s’intéressent à la France considèrent nos institutions comme peu démocratiques. Ils jugent assez sévèrement la concentration des pouvoirs et la personnalisation de la vie politique. Le système norvégien, s’il est plus opaque, est indéniablement plus souple. Cette souplesse est d’ailleurs rendue nécessaire par la non-existence de la dissolution : les partis sont en quelque sorte obligés de s’entendre pour que le pays puisse être dirigé.
Au total, le système a jusqu’ici permis une réelle stabilité, du fait notamment de la place prépondérante du Parti travailliste, du charisme de certains de ses leaders (comme Einar Gerhardsen, “père fondateur” de l’Etat providence norvégien ou, plus récemment, Gro Harlem Brundtland) et d’une tradition démocratique décrispée qui fait qu’on considère ici comme normal de collaborer au Parlement avec ses adversaires politiques en vue de trouver des solutions concrètes. Depuis 1945, le poste de chef du gouvernement n’a été occupé que par 11 personnes. Pendant la même période, en France, ce sont pas moins de 34 titulaires qui s’y sont succédés (dont 16 sous la IVe et 15 sous la Ve République).
Mais il semble cette fois-ci qu’on aille vers une plus
grande dispersion des voix rendant très ouvert les jeux de l’après
élection.
LES FORCES EN PRESENCE (21 août 1997) :
La distinction traditionnelle entre partis se réclamant du marxisme et partis “bourgeois” (une expression qui n’a en Norvège rien de péjoratif) n’a plus aujourd’hui grand sens. Si l’on veut à tout prix effectuer des regroupements, c’est plutôt trois ensembles qu’il faut distinguer.
1) Les mouvements socialistes :
A
gauche, le Parti travailliste (AP) occupe une position hégémonique.
Depuis 1927, c’est lui qui arrive en tête à chaque élection
et il a souvent exercé le pouvoir. Très pragmatique, il est
partisan d’une économie mixte accompagnée d’une importante
redistribution sociale.
La manne pétrolière et gazière lui
a permis de mener à bien ses objectifs : en 1996, la croissance
a approché les 5 %, le taux de chômage est tombé en
dessous de 5 % et le pays a affiché un insolent excédent
budgétaire de 6 % du PIB, à faire pâlir de jalousie
bien des pays candidats à l’euro... L’utilisation de ce pactole,
aujourd’hui prudemment épargné en prévision du jour
où les réserves d’hydrocarbures seront taries est d’ailleurs
l’un des enjeux de la campagne actuelle.
S’il est vrai que, malgré la différence
de latitude, c’est bel et bien en France et non en Norvège qu’on
meurt de froid chaque hiver, tout n’est cependant pas rose dans le “velferdsstat”
à la norvégienne. Le secteur médical est dans un état
déplorable (300 000 personnes -sur une population de 4 millions
et demi !- attendent actuellement des soins que les hôpitaux ne sont
pas en mesure de leur dispenser) et certaines personnes âgées
se trouvent en situation précaire.
Surtout, le Parti travailliste souffre du retrait en
novembre dernier de Gro Harlem Brundtland, femme de choc respectée
de ses adversaires et qui fut Premier ministre de façon quasi-continue
depuis 1986. Même l’échec personnel qu’avait constitué
pour Gro le référendum de 1994 par lequel les Norvégiens
refusèrent à nouveau l’adhésion à l’Union européenne
n’avait pas entamé sa popularité.
En comparaison, son successeur, Thorbjørn Jagland,
a semblé faire pâle figure bien que sa politique ne soit guère
différente. Quelques affaires mettant en cause des proches collaborateurs
ont sans nul doute aussi terni l’image des travaillistes.
Aujourd’hui, ceux-ci se présentent comme la seule
force politique responsable et proposent de continuer dans la même
direction, avec toutefois une plus grande préoccupation pour le
social (personnes âgées, santé, formation continue,...)
La
Norvège embourgeoisée ne rêve décidément
plus de révolution et à gauche du parti travailliste, seul
le
Parti des socialistes de gauche (!), SV, peut encore prétendre
faire entendre sa voix. Mais son rôle semble être davantage
d’alerter l’opinion des dérives libérales des travaillistes
que de jouer un rôle actif dans la gestion du pays.
Signalons
aussi pour l’anecdote l’Alliance rouge (RV), mouvement d’extrême
gauche qui pourrait conserver son unique siège à Oslo.
2) La coalition du centre :
Trois partis, dont aucun n’est assuré de dépasser les 10 % se sont coalisés pour proposer une alternative “centriste”.
Il
s’agit d’abord du Parti du centre (SP), héritier du Parti
paysan créé en 1920. Ce mouvement, qui recueille surtout
l’adhésion des zones rurales, les plus hostiles à l’entrée
de la Norvège dans l’UE, avait réussi il y a quatre ans,
en plein débat sur l’adhésion, à envoyer 32 représentants
au Parlement. Le mérite en revenait aussi à Anne Enger Lahnstein,
“la reine du non”, convaincue et intransigeante. Mais aujourd’hui, le débat
européen et les préoccupation écologistes sont passés
au second plan et il semble impossible de renouveler cet exploit.
Le
Parti démocrate-chrétien (KrF) représente lui
aussi à sa façon la Norvège traditionnelle, sûre
de ses valeurs et réalise ses meilleurs scores sur la côte
ouest, encore très imprégnée de culture religieuse.
Contrairement à la plupart de ses homologues européens, le
Parti démocrate-chrétien norvégien se montre relativement
rigide sur certains “sujets de société” (avortement, union
civile, législation sur l’alcool,...) et refuse l’adhésion
à l’UE. Tout en mettant l’accent sur les questions sociales (famille,
personnes âgées,...), le parti ne refuse pas une certaine
libéralisation de l’économie, ce qui le distingue du Parti
du centre. Un de ses leaders, le pasteur Kjell Magne Bondevik, se voit
déjà Premier ministre.
Le
troisième parti de la coalition du centre est aussi le plus ancien
de Norvège. Le sort du Parti libéral (V) n’est pas
sans rappeler celui du Parti radical en France. Clairement situé
à gauche lors de sa création en 1884 (sa dénomination
oficielle en norvégien signifie d’ailleurs “La gauche”), il a joué
un rôle majeur dans l’établissement du parlementarisme. Mais
il s’est vu peu à peu repoussé vers la droite par l’apparition
des mouvements marxistes, Parti travailliste en tête, dont il rejetait
la doctrine économique et a vu son électorat fondre. Au mieux
groupe d’appoint après guerre, le Parti libéral n’a pu envoyer
qu’un élu au Storting en 1993, mais il espère se refaire
cette fois-ci.
Tout en participant à la coalition du centre,
les libéraux ne font pas mystère de leur souhait d’inclure
les conservateurs dans la majorité en cas d’alternance le mois prochain,
ce qui hérisse leurs alliés du Parti du centre.
3) Les partis de droite :
Ce
scrutin s’annonce assez médiocre pour ces derniers.
Le Parti
conservateur (H) se présentait dans les années 80 comme
le pôle autour duquel pouvait s’organiser l’opposition au Parti travailliste
(l’un des siens, Kåre Willoch, fut premier ministre de 1981 à
1986), il se voit aujourd’hui marginalisé. Son discours en faveur
de la déréglementation et de la libéralisation de
l’économie passe assez mal dans un pays où l’égalitarisme
demeure une valeur connotée positivement. D’après un récent
sondage (Gallup/TV2), les électeurs du Parti conservateur ne trouvent
pas que les inégalités soient trop fortes en Norvège,
contrairement à ceux de tous les autres partis. Si l’on en croie
les enquêtes préélectorales, les conservateurs se verraient
pour la première fois doublés par “l’extrême-droite”,
à savoir le Parti du progrès (FrP) de Carl I. Hagen.
Ce
mouvement, créé en 1973 pour protester contre la pression
fiscale, est en fait avant tout populiste et la comparaison souvent faite
avec le Front national est à nuancer. Le terreau sur lequel il prospère
est d’ailleurs sensiblement différent : le chômage est ici
quasi-inexistant et l’immigration ne constitue qu’un problème secondaire,
en raison notamment de la politique assez restrictive menée par
les gouvernements travaillistes.
Carl I. Hagen se présente avant tout comme le
défenseur des gens ordinaires face à l’arrogance de l’établissement.
Qualifiant d’oncle Picsou le gouvernement en place alors que, dit-il “la
Norvège a gagné au loto” (pétrolier), il souhaite
utiliser l’excédent budgétaire pour augmenter les retraites
et rendre plus efficace le système de santé. Volontiers démagogique,
il promet en même temps de réduire les impôts et d’augmenter
les dépenses et insiste sur le volet social d’un programme économiquement
bien ancré à droite.
Il y a certes un côté “les Norvégiens
d’abord” dans son discours (condamnation du “milliard envoyé à
Arafat” qui aurait été mieux utilisé au pays, réticences
envers l’entrée de personnes “culturellement éloignées”,
etc), mais Carl I. Hagen n’utilise pas la mythologie nationale de la même
façon que le FN (d’autant que celle-ci est déjà en
partie récupérée par le Parti du centre) et son discours
est dans la forme comme dans le fond beaucoup plus modéré
que celui de Jean-Marie Le Pen. Il n’y a d’ailleurs pas d’ostracisme à
son égard et les autres partis dénoncent plus l’irréalisme
de son programme économique que l’éventuel danger qu’il pourrait
faire peser sur la démocratie.
Les sondages montrent qu’au cours de l’été,
le Parti du progrès est devenu la deuxième formation politique
du pays avec plus de 20 % des intentions de vote, contre à peine
6 % il y a quatre ans, ce qui constituerait un bouleversement majeur de
l’échiquier politique norvégien.
QUEL PREMIER MINISTRE ? (22 août 1997)
1945-1951 | Einar Gerhardsen | AP | |||
1951-1955 | Oscar Torp | AP | |||
1955-1963 | Einar Gerhardsen | AP | |||
1963 | John Lyng | H | |||
1963-1965 | Einar Gerhardsen | AP | |||
1965-1971 | Per Borten | SP | |||
1971-1972 | Trygve Bratteli | AP | |||
1972-1973 | Lars Korvald | KrF | |||
1973-1976 | Trygve Bratteli | AP | |||
1976-1981 | Odvar Norli | AP | |||
1981 | Gro Harlem Brundtland | AP | |||
1981-1986 | Kåre Willoch | H | |||
1986-1989 | Gro Harlem Brundtland | AP | |||
1989-1990 | Jan P. Syse | H | |||
1990-1996 | Gro Harlem Brundtland | AP | |||
1996-... | Thorbjørn Jagland | AP | |||
[AP : Parti travailliste,
SP : Parti du centre, KrF : Parti démocrate-chrétien, H : Parti conservateur] |
On l’a dit, le choix du Premier ministre, officiellement nommé par le Roi, est en fait aux mains des parlementaires une fois que le Storting est désigné. Aujourd’hui, trois candidats sont officiellement déclarés, mais on ne peut exclure qu’un quatrième larron apparaisse.
Premier en lice, le Premier ministre sortant travailliste,
Thorbjørn
Jagland. Son parti, même affaibli, devrait rester le premier
du pays et il a fait figure de favori jusqu’à il y a peu. Mais pour
mobiliser des électeurs qui, pensant que tout était joué
d’avance, pensaient pouvoir s’offrir le luxe d’un avertissement sans frais
(abstention ou vote protestataire), M. Jagland a décidé de
dramatiser l’enjeu : si son parti fait moins bien que lors du précédant
scrutin (à savoir 36, 9 % des suffrages exprimés), il jettera
l’éponge. En clair, “moi ou le chaos” : soit les électeurs
nous soutiennent massivement et nous restons, soit ils nous désavouent
et ce sera l’incertitude, les tractations sans fin au Parlement entre des
partis divisés.
Le tempérament norvégien est peu enclin
à l’instabilité et il est probable que le pari permettra
aux travaillistes de récupérer quelques points. Il est toutefois
audacieux : les sondages leur accordent actuellement à peine 30
%.
De plus, tous les membres du gouvernement ne souscrivent
pas aux propos de leur chef et rien n’exclut que si la situation ne se
clarifiait pas dans les semaines suivant le vote et que les partis aujourd’hui
dans l’opposition étaient dans l’impossibilité de se mettre
d’accord sur un nom, les travaillistes se fassent une douce violence et
acceptent de revenir aux affaires. Si ce n’est Thorbjørn Jagland
lui-même, on devrait sans trop de difficulté trouver des volontaires.
Nombreux sont ceux qui attendent leur heure, comme le jeune Ministre des
finances, Jens Stoltenberg.
La seconde candidature, celle de Johan Jakobsen, du Parti du centre, est surtout symbolique. Son retrait de la course pourrait donner lieu à quelque compensation pour sa formation politique, mais nul ne le voit diriger l’exécutif norvégien.
Beaucoup plus sérieuse est la candidature de Kjell
Magne Bondevik. L’actuel président du groupe parlementaire démocrate-chrétien
a par le passé été Ministre des affaires étrangères
dans un gouvernement dirigé par les conservateurs et bien qu’officiellement
allié aux seuls Parti du centre et Parti libéral, il n’a
jusqu’ici que mollement rejeté la possibilité d’une nouvelle
alliance avec les conservateurs, refusant de “commenter des spéculations”.
Ce pasteur de 50 ans sait faire preuve de souplesse et rien ne garantit
que la coalition du centre restera unie après le 15 septembre, surtout
si comme l’annoncent les sondages, ses trois partis ne représentent
qu’un quart de la nouvelle assemblée.
Si le Parti conservateur parvenait à sauver les
meubles, l’idée d’un gouvernement minoritaire composé des
chrétiens-démocrates, des libéraux et des conservateurs
n’aurait rien de surréaliste; le Parti du centre risquerait alors
d’être mis au pied du mur : soutenir cette formule (auquel cas il
pourrait aussi prétendre à une participation au gouvernement)
ou se retrouver isolé.
Si l’hypothèse Bondevik semble être une
des plus solides en cas de départ des travaillistes, elle reviendrait
à accorder la charge suprême à un parti représentant
à peine un électeur sur dix.
D’autres combinaisons sont bien sûr possibles, mais le leader conservateur, Jan Petersen n'est finalement qu'à moitié candidat car il est conscient de son isolement, bien que son parti aspire à “être un pont entre les partis non socialistes”, formule qui laisse entrouverte la porte à une éventuelle collaboration avec la droite populiste.
Même si les sondages devaient se tasser, cette dernière sera sauf surprise la grande gagnante du scrutin, mais Carl I. Hagen a le triomphe modeste et refuse de se voir en Premier ministre. Il sait qu’un gouvernement qu’il dirigerait serait rapidement renversé. D’ailleurs ses propres électeurs ne souhaitent pas le voir occuper un tel poste (4 Fakta/Arbeiderbladet, publié le 22 août).
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