CENTRE D'ETUDES SUPERIEURES D'ØSTFOLD
Français des Affaires et Commerce International
Renaud Soufflot de Magny
Une version écourtée de ce texte a été publiée dans Kontakt (revue de la chambre de commerce franco-norvégienne), no 35, janvier-février 1998.
(Rédaction en chef : Etienne Cordez)
Pour la version norvégienne, cliquez ici : 

QUELS ENJEUX POUR LES ENTREPRISES ?

Les nouvelles technologies de l'information ne constituent pas seulement un secteur économique en pleine expansion (générant par exemple la moitié des emplois nouveaux aux Etats-Unis); elles modifient en profondeur les modes de fonctionnement de toutes les entreprises.

En interne, ce n'est pas seulement le développement du télétravail qu'elles annoncent. En permettant une diffusion instantanée et généralisée de l'information, elles rendent plus fluides les circuits de décision. On ne s'étonnera pas que pour la France, pays très hiérarchisé dans lequel la possession de l'information est bien souvent synonyme de pouvoir, la révolution doive d'abord être culturelle. Pour les entreprises norvégiennes, aux organigrammes souvent plus plats et généralement habituées à la recherche du consensus, la mutation est à l'évidence plus aisée.

Internet est aussi un formidable outil d'observation de ses concurrents et -dans une certaine mesure- de veille technologique et il permet de diffuser à l'extérieur ce que l'entreprise souhaite communiquer.

Mais déjà apparaît une nouvelle étape. Le "réseau mondial" ne se contente plus d'être un lieu de diffusion de l'information; il devient un espace commercial à part entière. Pour 1998, le commerce "en ligne" totaliserait au niveau mondial un chiffre d'affaires d'environ 50 milliards de dollars et les spécialistes estiment qu'on devrait atteindre les 1000 milliards de dollars au début du siècle prochain. La dématérialisation des flux d'information comme des flux monétaires facilite ces transactions en en abaissant le coût. Seuls les flux de marchandises demeurent physiques; encore est-ce de moins en moins le cas pour les produits numérisés (articles, logiciels, etc.) qui peuvent être téléchargés.

Certes, la "concurrence pure et parfaite" n'a jamais existé que dans l'esprit des économistes, mais on se rapproche du modèle : information de plus en plus complète sur les marchés des "inputs" comme des "outputs", capacité d'intervenir de façon instantanée à distance, possibilités de contourner les réglementations nationales, etc.

Dans les années qui viennent, Internet jouera sans doute un rôle plus important que l'Organisation mondiale du commerce dans le processus de globalisation... Les défis à relever sont cruciaux pour les Etats : moindres rentrées de TVA, évasion fiscale, difficulté à faire respecter les droits d'auteur et les brevets, espionnage industriel, etc.

L’EXCEPTION HEXAGONALE

En France, les acteurs politiques comme économiques ont longtemps donné le sentiment de se plonger la tête dans le sable plutôt que de se saisir de ces problèmes. Et d'oublier que le développement exponentiel des autoroutes de l'information peut aussi offrir bien des opportunités.

Cette frilosité se manifeste également au niveau de l'équipement des particuliers. Les chiffres sont édifiants, surtout si l'on compare la France, quatrième puissance économique mondiale, aux pays nordiques qui sont les mieux équipés d'Europe. Au total, le parc informatique français par habitant est deux fois moindre que celui de la Norvège. Surtout, les Français, quand ils disposent d'un PC, n'ont guère le réflexe de le relier au réseau mondial. En Norvège, le nombre de connexions à Internet ramené à la population est ... 10 fois supérieur à ce qu'il est en France !

A longueur de colonnes, les journaux français tentent d'expliquer ce retard : conservatisme des élites (n'a-t-on pas vu l'an passé le président de la République découvrir avec étonnement le fonctionnement d'une souris ?), méfiance envers ce qui apparaît comme un instrument de l'hégémonisme culturel des Etats-Unis, et paradoxalement...forte pénétration du Minitel.

15 millions de personnes utilisent ce petit terminal rudimentaire, distribué gratuitement par France Télécom, mais dont les services sont payants. Ne possédant aucune mémoire propre, le Minitel est en quelque sorte l’ancêtre de l’ordinateur de réseau ("Network computer" ou NC) en qui certains voient la seule alternative possible à l’ordinateur personnel ("Personal computer" ou PC). Cette réussite technologique et (sur le marché domestique) commerciale a pu freiner la croissance du Web dans l'hexagone. Un peu comme si les Français, géniaux créateurs de la 2CV, s'étaient endormis sur leurs lauriers et n'avaient pas réalisé que d'autres inventaient la direction assistée et l'ABS...

LES ATOUTS FRANÇAIS

Que France Télécom et les éditeurs de services aient cherché à conserver le plus longtemps possible le marché captif des utilisateurs du "kiosque", générateur de juteuses recettes est somme toute naturel. Que les particuliers comme les entreprises aient dans un premier temps rechigné à investir dans un équipement relativement coûteux, ne leur offrant pas les mêmes services de proximité que le Minitel, ne saurait davantage étonner.

Est-ce à dire que la France est condamnée à rester en queue de peloton ? Et si au contraire, les habitudes prises grâce au Minitel étaient de bonne augure ? Existe-t-il des pays dans lesquels le réflexe de "se connecter" pour trouver un numéro de téléphone, réserver un billet de train ou passer commande à une entreprise de VPC est plus courant ? On ignore souvent que la France est de loin le premier pays d'Europe en termes de commerce électronique.

Le "blocage culturel" est donc tout relatif et devrait s'estomper au fur et à mesure qu'apparaîtront des services en français (les réticences envers l'anglais étant à l'évidence plus importantes qu'en Scandinavie...). Vont dans le même sens la prise de conscience récente de la grande distribution (lancement des "PC à 5000 francs") et le basculement progressif des services du Minitel sur la Toile. En 1997 et pour la première fois, le taux de croissance du parc français d'ordinateurs raccordés à Internet a été légèrement supérieur à celui de l'Europe des 15.

Manquait une volonté politique. Celle-ci a été manifestée avec force par le Premier ministre Lionel Jospin lors du "discours fondateur" qu'il a prononcé le 25 août dernier à Hourtin et qui a été suivi d'annonces concrètes (raccordement de tous les établissements scolaires à Internet d'ici l'an 2000, plan de soutien aux entreprises investissant dans les hautes technologies,...)

En présentant une "vision politique de la société de l'information", les pouvoirs publics ont montré qu'ils avaient compris qu'en la matière, les enjeux économiques vont de pair avec les enjeux sociaux et culturels.


Les opinions exprimées dans cette page ne représentent pas forcément les vues du Centre d'études supérieures d'Østfold et n'engagent que son auteur.
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© Renaud Soufflot de Magny, 1998

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