Chasse au requin. (Raymond Abdulnour)

Sous l'instigation d'Enrico Pacchiarotti, en ce temps là directeur régional de la compagnie aérienne Alitalia, et avec l'aide du Conseil National du Tourisme libanais, nous avions organisé la visite du journaliste/photographe italien Roberto Dei et son accompagnateur, Romano Perotto, ex champion de chasse sous-marine d'Italie. Durant leur séjour au Liban ils effectuèrent plusieurs plongées que Roberto Dei relata dans deux parutions du magazine italien Mondo Sommerso ( Mondo Sommerso Anno XV.N2 Febraio : Libano il paese dei fenici - pagine 52. and Mondo Sommerso Anno XV.6 Giugno 1973:Il sottomarino e lo squalo - pagine 74.)

Au cours d'une plongée à l'île aux lapins, au large de Tripoli, en remontant vers la surface après une incursion à moins cinquante mètres, nous sommes tombés sur un squale d'à peu près trois mètres. Nos amis italiens, étonnés d'en rencontrer en méditerranée, nous demandèrent d'organiser une chasse au requin.

C'est Mahmoud Khalifé, jeune pécheur d'éponge professionnel, qui devait nous indiquer un endroit fréquenté par des requins. Il nous racontait que les pécheurs qui pêchaient à la dynamite se voyaient souvent entourés de requins pendant qu'ils ramassaient le poisson mort. Les squales semblaient avoir développé un réflexe conditionné. Ils associaient déflagration et poisson à se mettre sous la dent. Quelques jours plus tard nous nous rendions à Khaizaran, dans le sud du pays. L'équipe se composait de Roberto Dei et Zareh Amadouny (photographes) Romano Perotto (chasseur) et moi même (accompagnateur). Arrivés au domicile des Khalifé, nous rencontrons le père de Mahmoud, pécheur d'éponge lui aussi et "dynamitero" occasionnel. Il nous raconta comment il avait été attaqué par un requin pendant qu'il ramassait le poisson qu'il venait de pécher. Il nous montra les marques de morsures qu'il avait sur l'arrière de sa cuisse. Cette histoire ne me rassurait guère. Comme j'avais bien fait, de troquer mon scaphandre peint en blanc contre un autre de couleur bleue. Ne disait-on pas que le blanc attire le requin? J'avais même pris la précaution de porter des chaussettes noires. Je craignais que le bout de chair claire entre ma combinaison et mes palmes ne soit trop exposé. Je regrettais déjà de m'être laissé entraîner dans cette aventure. Après avoir quitté Khaizarane nous nous rendons dans le port de Sarafand. De là nous embarquons sur un bateau de pêche que Mahmoud dirigea, cap au nord, jusqu'à la localité de "Tell el Brak".Il mouilla à 500 mètres du rivage. Romano s'enquit de la nature du fond et de la profondeur à cet endroit. D'après notre guide, à 200 mètres à la ronde, le fond était plat et la profondeur moyenne était de 30 mètres. Il s'agissait d'appliquer la même technique que pour la chasse au thon. Le requin, comme le thon, n'ayant pas de vessie, était vulnérable dès lors qu'on le freinait dans son déplacement. Si on arrivait à les ferrer, et à les freiner avec un ballon, ils se fatiguaient jusqu'à l'étouffement par manque d'oxygène. A cette fin Romano avait préparé un harpon relié par un fil à un ballon "Mares". Le ballon avait un diamètre de 30 centimètres, et le fil avait d'une foi et demie la profondeur du lieu. Le harpon était propulsé par un puissant fusil pneumatique sans toutefois y être relié. L'absence de tombant proche ou de grand rocher était un atout, le ballon ne risquait pas d'être entraîné en profondeur où il aurait diminué sensiblement de volume, et n'aurait plus opposé de résistance . Le Quant a moi, Romano m'avait confié un fusil pneumatique avec un harpon muni d'une pointe explosive, que nous appelions dans notre jargon une "Lupara" . De plus il m'avait remis une cartouche de chevrotine à six plombs, habituellement employée pour tirer le sanglier, en me recommandant de ne pas armer la "Lupara" car il ne faisait pas confiance au mécanisme de son fusil. Plus tard je compris le pourquoi de cette mise en scène.

Une fois l'équipe prête, et après avoir repéré un banc de poisson, Mahmoud lança un bâton de dynamite par-dessus bord. Nous nous mettons tous les quatre à l'eau et descendons jusqu'au fond. La visibilité était d'une douzaine de mètres. Quelques poissons morts gisaient sur le sable. Au bout de cinq minutes ne voyant rien alentour nous décidons de regagner la surface.

Après être remonté d'une dizaine de mètres, j'aperçois un requin qui s'approche de l'endroit que nous venions juste de quitter. Je me retourne pour prévenir mes camarades et j'amorce une descente. Le requin méfiant s'éloigne immédiatement. De retour dans la barque ,nous tenons un conciliabule. Première remarque , il n'y avait que trois ou quatre poissons morts au fond, ce qui n'était peut-être pas suffisant pour appâter les requins. Autre remarque , tant que nous étions au fond le requin, bien qu'attiré par la déflagration, ne s'était pas manifesté. Il ne s'approcha que lorsque nous étions remontés d'une dizaine de mètres. Il fallait donc que Mahmoud, avant de balancer sa charge, se mette à l'eau pour mieux repérer les poissons qui serviraient d'appât. Il fallait que nous restions à mi-profondeur jusqu'à l'arrivée éventuelle d'un requin. Aussitôt dit, aussitôt fait. Nous voilà sous la barque. Cette fois le fond était jonché d'une dizaine de poissons morts, quelques-uns flottaient entre deux eaux.

Au bout d'un court moment nous voyons apparaître cinq squales . Je tentais fébrilement de m'en approcher. A chaque essai, le requin choisi s'éloignait pour disparaître dans le bleu. Il ne restait plus qu'un seul squale. Le requin essayait vainement d'attraper un poisson posé sur le sable à 25 cm d'un rocher. Trop occupé il ne remarqua pas mon approche. J'étais déjà à 3 mètres, bras tendu, pointant mon arbalète, simulant une attaque. Jusqu'à ce jour je ne sais toujours pas d'où me vint ce courage.

C'était de l'inconscience.Mon arme était inutilisable et je ne pouvais que faire fuir notre proie par mon action. Zareh me raconta plus tard qu'il se tenait au dessus de moi et qu'il ne comprenait pas pourquoi je tardais à tirer. Le requin, qui finit par remarquer ma présence, s'éloigna à regret.Il se dirigea tranquillement vers ma droite comme s'il avait l'intention de faire un tour pour revenir sur son poisson.A cet instant je ressenti un choc sur mon épaule droite. C'était Romano qui me poussait. Il me dépassa,en palmant frénétiquement, et tira sans grande conviction. En une fraction de seconde le requin disparut de notre vue emportant avec lui le fil et le ballon. J'étais persuadé que nous ne les reverrions plus. Nous sommes alors remontés à la surface.Mahmoud nous indiquait du doigt une direction. A ma stupéfaction, le ballon flottait immobile à une vingtaine de mètres.Nous nous sommes accrochés à la barque qui nous traîna jusqu'au ballon. Romano qui s'était débarrassé de son fusil repris la "Lupara" et la cartouche qu'il m'avait confié. Tout excité j'étais le premier à redescendre le long du fil.Le requin d'une taille d'à peu prés deux mètres était couché sur son côté gauche, la flèche l'avait pénétré par la première branchie droites et l'avait transpercé. Je fis l'erreur de prendre la flèche en main. Le requin fit un bond, je lâchais prise, il s'éloigna. Je rattrapais le fil, mon poids le freina et il s'arrêta. Je reçu un second choc sur l'épaule. C'était Romano, cette fois furieux, qui me faisait signe de me tenir tranquille.

Ayant peur que le squale n'arrache la flèche, il décida d'employer la "Lupara". Il plaça la cartouche dans le dispositif du harpon, arma son arbalète, visa calmement à droite de l'aileron dorsal et tira.

Son intention était d'achever le squale en gardant intact le côté gauche pour faire des photos. J'entendis une déflagration, le requin ne bougea même pas.La chevrotine n'avait visiblement fait aucun dégât. Ce n'était pas étonnant, ces requins avaient une peau si dure qu'elle était utilisée comme abrasif en mécanique de précision.Après cette tentative infructueuse il ne restait plus qu'à fatiguer le squale.Romano entama alors un vrai ballet aquatique en prenant garde de ne pas s'emmêler dans le fil. Il commença par tester les réactions de la bête en appliquant une pression sur le fil. Puis il prit la flèche par son extrémité et patiemment sa main remonta tout le long de la flèche.

Je croyais voir un toréador à l'oeuvre.Le requin allait dans toutes les directions mais de plus en plus péniblement.Roberto et Zareh qui s'étaient rapprochés en profitaient pour prendre de magnifiques photos. Nous devions constamment nous écarter car fatalement l'un d'entre nous se trouvait sur la route du tandem requin / chasseur. Je devenais nerveux et n'ayant plus rien à faire je décidais de prévenir mes compagnons et de regagner la surface. Dans la barque je trompais mon impatience en racontant à Mahmoud ce que j'avais vu. Il n'en croyait pas ces oreilles. Au bout d'une vingtaine de minutes mes trois camarades firent surface à leur tour. Je ne me rappelle plus exactement comment le requin fut hissé à bord. Dans la barque il paraissait plus inquiétant que sous l'eau. Cette foi Mahmoud n'en croyait pas ces yeux. Pendant le trajet du retour j'ai posé ma main avec précaution sur la peau de la bête. Dans un sens la peau était douce comme du velours. Dans l'autre sens j'eus l'impression de me frotter à une lime à bois. J'ai approché alors mon doigt de l'oeil du requin. Il eut un soubresaut. J'étais décidément trop curieux.

Les badauds du port de Sarafand nous firent un accueil triomphal.

Mr. Ian K. Ferguson , du Shark Trust , a qui je me suis adressé , m'a confirmé qu'il s'agissait d'une espèce connue en mediterranée , le Requin Borde ou Blacktip Shark (Charcharinus limbatus).

A 800 mètres de Ras Beyrouth, Walid Noshie a photographié un requin taureau (smalltooth sandtiger shark) qui fréquente la region à un moment de l`été.

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