Le mandat du gouvernement Charest
C'est le 8 février 2007 que Jean Charest, Premier Ministre du
Québec, annonce la création d'une commission de
consultation sur "les pratiques d'accommodement reliées aux
différences culturelles". Déjà, il y met trois
balises, qu'il dit non négociables: "La
nation du Québec a des valeurs et des valeurs solides dont,
entre autres,
l’égalité
entre les femmes et les hommes,
la primauté du français, la séparation entre
l’État et la religion. Ces valeurs, elles sont
fondamentales.
Elles sont à prendre avec le Québec. Elles ne peuvent
faire l’objet d’aucun accommodement. Elles ne peuvent être
subordonnées à aucun autre principe." Il y parle aussi
d'un devoir d'intégration de la part du nouvel arrivant:
"Chacun d’eux a la responsabilité de s’intégrer à
notre nation. Cela signifie qu’ils doivent adhérer à nos
valeurs fondamentales. C’est en quelque sorte un contrat entre eux et
leur nouvelle famille." En retour, nous avons, quant à nous, le
devoir de les aider dans cette tâche par des mesures
appropriées.
Le mandat donné à cette Commission est triple:
- "Premièrement, elle devra dresser un portrait
fidèle des pratiques d’accommodements reliées aux
différences culturelles. En d’autres mots, poser la question: De
quoi parle-t-on au juste?"
- "Deuxièmement, la commission
mènera une consultation dans les régions du Québec
pour savoir ce que les Québécois en pensent,
au-delà des
sondages, puis au-delà des réactions spontanées
données à chaud."
- "Troisièmement, la commission
formulera des recommandations au gouvernement afin que les pratiques
d’accommodements soient respectueuses des valeurs communes des
Québécois."
Texte intégral de l'annonce,
par Jean Charest.
Le mandat que s'est donné
la Commission Bouchard-Taylor
Du 8 février à la fin août 2007, Messieurs Bouchard
et Taylor, appuyés par une quinzaine de conseillers, ont bien
réfléchi à ce triple mandat et se sont vus,
disent-ils, confrontés à deux choix: traiter du sujet
"dans un sens large ou dans un sens plus étroit".
- "Le sens plus étroit consistait à s’en tenir
à la dimension proprement juridique de l’accommodement
raisonnable. Cette notion, issue de la jurisprudence associée au
monde du travail, désigne une forme d’arrangement ou
d’assouplissement visant à combattre la discrimination qu’une
norme apparemment neutre peut entraîner dans ses effets (en
général, porter atteinte au droit à
l’égalité d’un citoyen). Dans la langue courante, le sens
du concept a débordé cette définition juridique et
il en est venu à recouvrir toutes les formes d’arrangements
consentis par les gestionnaires des institutions publiques ou
privées à des élèves, des patients, des
clients, des employés, etc. Ce deuxième ensemble de
pratiques, que nous appellerons «ajustements
concertés», diffère de manière essentielle
des accommodements raisonnables au sens strict, en ce sens qu’il
cherche à éviter la voie des tribunaux en lui
préférant la voie citoyenne, fondée sur
l’idéal d’une gestion du vivre-ensemble qui soit la plus
harmonieuse possible. Tout au long des consultations de la Commission,
il sera important de garder cette distinction à l’esprit. Sur le
même sujet, nous ferons usage d’un autre concept, celui
d’harmonisation inter-culturelle, pour désigner l’ensemble des
pratiques d’accommodement raisonnable et d’ajustement concerté."
- "La seconde façon d’aborder le mandat de la Commission
consistait à voir dans le débat sur les
«accommodements raisonnables» le symptôme d’un
problème plus fondamental concernant le modèle
d’intégration socioculturelle qui a cours au Québec
depuis les années 1970. Cette perspective invitait à
revenir sur l’interculturalisme, l’immigration, la laïcité
et la thématique de l’identité québécoise.
C’est cette deuxième voie que la Commission a choisi
d’emprunter, dans le but d’appréhender le problème
à sa source et sous toutes ses facettes, en faisant
également la part d’une médiatisation parfois alarmiste
de la situation." (Document de consultation de la Commission, p.
V)
Les deux commissaires reconnaissent aussi que ce sujet
représente
un défi
occidental: "Le questionnement et les problèmes
liés à la gestion des rapports interculturels ne touchent
pas seulement notre société; ils se manifestent à
l’échelle de l’Occident, et même au-delà. De
nombreuses nations font face aujourd’hui à la réaction de
vieilles identités déstabilisées par l’essor d’une
diversité qui entend se perpétuer. Elles doivent aussi
donner forme à une sensibilité pluraliste qui a pris
racine peu à peu au cours de la seconde moitié du
vingtième siècle. La plupart des nations d’Occident sont
aux prises avec ce même défi: réviser les grands
codes du vivre-ensemble pour aménager les différences
ethnoculturelles dans le respect des droits. Aucune de ces
sociétés ne peut prétendre détenir la
solution miracle; il revient à chacune d’élaborer une
solution, un modèle qui lui convienne, en accord avec son
histoire, ses institutions, ses valeurs et ses contraintes." (ibid, p.
VI)
Remarque: Vous aurez sans doute
noté, ici, le parti-pris, le pré-jugé de nos deux
commissaires: si problème il y a, c'est la faute "de vieilles
identités déstabilisées par l’essor d’une
diversité qui entend se perpétuer", et pas assez
multiculturalistes... - Sans commentaire pour le moment, je vous laisse
réfléchir.
Un élargissement de mandat
justifié, ou non?
Le triple mandat fixé par le gouvernement Charest était
déjà énorme. Le simple fait de dresser la liste
des accommodements en question n'était pas une mince
tâche, d'autant plus qu'il était question d'y inclure
aussi les expériences d’autres sociétés. Or, cette
liste n'est toujours pas faite et, pourtant, elle serait bien
nécessaire! Il est vrai qu'il y a une confusion sur ce qui
s'appelle "accommodements raisonnables", mais on n'y a toujours pas
fait le ménage et, lors des consultations, les accommodements
problématiques sont rarement nommés, ces accommodements
que Joseph Facal a fort justement appelés "certains des
éléphants qui trônent au beau milieu du salon, mais
que personne n’ose nommer". (
réf)
La décision de messieurs Bouchard et Taylor d'élargir
leur mandat a créé, en fait, une confusion encore pire
que la précédente, celle d'associer ces accommodements
problématiques à l'immigration, aux nouveaux arrivants et
arrivantes, alors que ce n'est pas le cas. Bien qu'il y ait un lien,
là n'est pas l'essentiel, puisque plusieurs de ces demandes
impliquent des communautés établies depuis assez
longtemps au Québec et au Canada, dont celle des Juifs
hassidiques et des Sikhs. Beaucoup de ces demandes viennent de
Québécois ou de Canadiens non-immigrants, dont certains
"ultra-orthodoxes" chrétiens ou membres de certaines
églises chrétiennes ayant des rites et des codes
particuliers. Ce qu'on a peu relevé, aussi, c'est que les plus
grandes promotrices du port du voile islamique, partiel ou
intégral, sont souvent des Québécoises canadiennes
françaises converties plus ou moins récemment à
l'islam, ou par des musulmanes d'origine arabe nées ici, et non
récemment arrivées au pays. C'est le cas, entre autres,
de Madame Maryam Tétreault (dont le prénom est adoptif)
et, plus discrètement, de sa soeur Yolande, et de Mademoiselle
Sarah Elgazzar, porte-parole québécoise de l'organisme
CAIR-CAN (Council on
American-Islamic Relations CANada, en français: Conseil Canadien
sur les relations islamo-américaines), qui a
décidé de porter le voile après le 11 septembre
2001 et qu'on a beaucoup entendue au plus fort de la saga des
accommodements.
Cet élargissement de mandat a donc créé des
dérapages, c'est certain. Dérapages vers l'expression
d'idées à connotation xénophobe, c'est vrai (mais
il fallait s'y attendre et, soit dit en passant, dépassent-elles
en nombre le 5% de "racisme" officiellement déclaré (et
réel?) de toute société?), mais aussi le
dérapage vers autre chose que les accommodements reliés
aux différences culturelles et religieuses. Fort heureusement,
la parole donnée actuellement aux citoyennes et citoyens
québécois de toutes origines permet de ramener toute
chose - et le problème des accommodements lui-même -
à sa juste dimension:
- Nous, les Québécois d'origine canadienne
française, fondateurs de ce pays qui s'appelait, à
l'origine, la Nouvelle-France, avons le droit de dire NOUS et, ce
faisant, les autres nous reconnaissent à la fois dans ce que
nous sommes et dans nos grandes qualités d'accueil. Plus la
Commission se rapproche de Montréal, et plus cela se manifeste.
(On aurait cru le contraire, pourtant, selon le discours officiel et
politiquement correct de nos politiciens et de nos médias...!)
- Les accommodements problématiques (sur lesquels il
faudrait tout de même finir par se concentrer!) touchent, en
fait, deux grandes questions: celle du Québec français et
de la place de la religion dans notre société. Une
troisième doit aussi être examinée et
étudiée à la lumière de certains
accommodements: celle du principe inviolable et non négociable,
comme l'a dit lui-même Jean Charest, de l'égalité
hommes-femmes. La canalisation vers ces trois thèmes est
désormais réalisée (au 20 oct. 07).
- Enfin, on a pris aussi conscience de la nécessité
de favoriser pleinement l'intégration des nouveaux arrivants et
arrivantes, spécialement par leur francisation et l'exercice
d'un emploi. S'il y a un "accommodement" que nous, nous devons faire, c'est bien
celui-là.
Remarque: Il est à noter que,
curieusement, on revient ainsi au mandat initial tel que fixé
par le gouvernement Charest! (Je
suis presque morte de rire!)
Liste de certains accommodements
problématiques:
- Certains vêtements féminins, dont le foulard
islamique (hidjab), le niqab et la burqa, concernant toute une
représentation des rapports hommes-femmes et de la femme
elle-même, et tout spécialement du corps féminin
devant être caché en tout ou en partie;
- Concernant le niqab, la question du vote voilé et de la
photo sur les cartes d'identité (dont le permis de conduire);
- Cacher le corps féminin aux regards des garçons
(vitres du WMCA d'Outremont) et des hommes;
- Ne pas avoir affaire à une femme qui exerce telle ou telle
fonction (policière, vérificatrice, directrice
d'école...);
- Pouvoir réclamer et obtenir des lieux et activités
non mixtes (piscines, classes, cours prénatals ou autres);
- Des demandes d'excision ou d'infibulation de fillettes, faites
auprès de médecins; (même s'il n'y aurait eu qu'une
seule demande, c'en est une de trop, et il y en a eu.)
- Des demandes d'exemption de certains cours (science, mais surtout
sexualité et éducation physique), pour raison
d'incompatibilité avec des croyances religieuses ou morales;
- Des jugements de cour, concernant des abus à
l'égard de filles mineures, atténués "pour cause
de traditions culturelles"; (voir le mémoire de Yao Assogba: cas
de sodomie d'un père sur sa fille, et de
proxénétisme juvénile);
- Des dérogations au Droit canadien ou
québécois (comme la demande d'application de la charia,
en Ontario);
- La perpétuation de la coutume de la tutelle des
pères, frères, oncles et maris sur les femmes;
- Des demandes d'autorisation à la polygamie, parce que le
Coran (ou tout autre livre sacré) le permet;
- Des dérogations au code vestimentaire de certaines
institutions (dont: le foulard islamique à l'école, dans
les sports, le turban à la GRC - et même,
éventuellement, à la SQ);
- Des demandes de congés payés pour motifs religieux;
- L'exclusion du porc dans les menus des cafétérias,
et tout ce qu'on peut entrer dans la catégorie des "exigences
alimentaires pour raisons religieuses ou culturelles";
- Des dérogations aux règles et règlements de
certaines institutions (dont le port d'une arme, le kirpan, à
l'école);
- Des demandes d'un lieu de prière dans des endroits publics
(dont des écoles, et peut-être même des lieux de
travail);
- L'utilisation des toilettes publiques pour les ablutions
rituelles (lavement de pieds, en particulier);
- La remise en question (souvent, doit-on dire, venue de
Québécois francophones ou de Canadiens "pure laine"...)
des décorations de Noël pour raison
d'incompatibilité avec des croyances religieuses, de même
que du crucifix trônant au Salon bleu de l'Assemblée
nationale et de la prière inaugurant une réunion d'un
conseil municipal;
- L'installation de souccahs et d'érouvs, chez les Juifs
hassidiques.
Thérèse-Isabelle Saulnier, 20 octobre 2007
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