Pour une école qualité!

 

Par

Luc Desautels,

enseignant de philosophie

 

 

J'ai terminé récemment la lecture d'un ouvrage écrit par le psychiatre américain William Glasser. Cet auteur est bien connu dans les milieux de l'éducation spécialisée et de la délinquance: sa Théorie du contrôle (ou du choix) et sa Thérapie de la réalité y apportent,depuis les années soixante, une contribution intéressante à la compréhension du comportement humain et à sa modification. La première affirme a) qu'un être humain ne peut jamais vraiment contrôler le comportement d'un autre être humain à part le sien, b) que le comportement est choisi en fonction de la satisfaction anticipée des grands besoins que sont la sécurité, le plaisir, la liberté, le pouvoir et l'amour. Même quand un individu choisit un comportement qui nous paraît déviant, c'est qu'il pense y trouver satisfaction d'un ou de plusieurs de ces besoins ou parce qu'il tente d'éviter ce qui lui paraît contraire à ce monde de qualité. Avec la Thérapie de la réalité, Glasser veut justement provoquer une prise de conscience de ces motifs qui sous-tendent nos choix de comportement: sans user de coercition, il s'agit de placer l'individu face à ses actions et de l'aider à trouver par lui-même une solution à son problème.

 

À la fin des années quatre-vingt, Glasser, influencé par les idées W.Edward Deming sur la qualité dans les entreprises, s'intéressa particulièrement au monde scolaire: comment faire pour que la très grande majorité de nos élèves produisent du travail scolaire de qualité (et pas seulement un minimum pour 'passer' ou pour avoir la paix)? Pour lui, l'essentiel de la réponse réside dans le style de direction de l'école et de la classe: personne ne s'efforce à produire un travail de qualité sous la menace, la contrainte ou pour une récompense sans lien avec ses besoins profonds et sa vraie vie. C'est pourquoi il faut avant tout a) abolir la coercition sous toutes ses formes et déployer tous nos efforts à créer à l'école un climat d'amitié et d'entraide afin que celle-ci soit associée dans l'esprit des jeunes à un lieu de qualité où il fait bon être, b) s'assurer que tout travail qui leur est demandé soit signifiant et utile pour conférer davantage de qualité à leur vie actuelle ou prochaine, c) leur apprendre à évaluer eux-mêmes la qualité de leurs productions afin qu'ils puissent continuellement l'améliorer. Glasser donne de nombreux exemples de ce qu'il juge être la façon appropriée d'agir avec les élèves ou avec tout groupe de travail: assigner des tâches utiles et prendre le temps de bien expliquer pourquoi elles le sont et quel est leur lien avec la vie réelle, convenir avec les élèves des règles qui vont s'appliquer et s'en tenir à un minimum de règles, permettre que les élèves puissent améliorer telle ou telle production qu'ils ont faite, ...

 

Depuis la quinzaine d'années que j'œuvre en éducation, jamais lecture ne m'aura stimulé autant. À mesure que j'avançais de chapitre en chapitre, l'impact se faisait de plus en plus sentir en salle de classe. Voici, à titre d'exemples, quelques expériences que j'ai menées cette année et qui sont inspirées directement des suggestions de Glasser. L'automne dernier, dans ma classe du baccalauréat international (2e année, 10 élèves), j'ai laissé les élèves libres de me soumettre leur dissertation finale le nombre de fois qu'ils le jugeraient bon de le faire afin d'être satisfaits de la qualité de leur texte et de la note que je lui attribuais: tous l'ont repris au moins deux fois, un l'a retouché huit fois et personne n'a obtenu une note inférieure à 12/15. Évidemment, on pourrait alléguer qu'il s'agit là d'une situation privilégiée tant par la taille du groupe que par le type de clientèle. À cette même session j'enseignais aussi à trois groupes réguliers de philosophie (1re année, 30 élèves et plus). En lieu et place d'un examen 'objectif ' sur les erreurs de raisonnement (sophismes) je leur ai demandé de reprendre leur dernière dissertation et de trouver, sur la base de ma correction et de leurs propres observations, sept améliorations à lui apporter: identifier l'amélioration, la justifier par un renvoi au manuel sur l'art de bien raisonner et effectuer la correction. Comparant avec leurs confrères des autres classes, plusieurs m'ont fait remarquer qu'il s'agissait là d'un exercice plus long et plus difficile que de 'passer un test'; pourtant, consultés sur la pertinence de procéder ainsi à l'avenir, la grande majorité le souhaitait et affirmait avoir beaucoup appris de ce retour sur sa propre production.

 

Dernier exemple. Cette session je travaille avec seize élèves de première année du baccalauréat international. Eux aussi ont à rendre une dissertation sur une question de leur choix prise à même une liste suggérée par le programme. On y trouve des questions de ce genre: "Des gens qui parlent des langues différentes vivent-ils dans des mondes différents?" ou "La méthode scientifique telle qu'on la décrit traditionnellement constitue-t-elle un modèle exact de l'activité scientifique ou pourrait-il s'agir d'une déformation?" Admettons que cela peut sembler un peu théorique à un jeune de seize ans et un peu loin de sa vie réelle (même si c'est lui qui l'a choisie) ... Pour rendre plus vraie la réflexion et la production, j'ai proposé que la dissertation prenne la forme d'une lettre adressée à quelqu'un que la question est susceptible d'intéresser et qui aurait donné son accord au préalable: un parent, un ancien prof, un auteur, quelqu'un d'autre que moi et qui lira le texte 'gratuitement' seulement parce que le 'sujet' (l'élève et sa question) l'intéresse. Je fais le pari que pour la plupart des étudiants cela va changer la manière de s'impliquer dans son devoir. Deuxièmement, regroupés en équipe autour des questions semblables, les élèves vont construire un site Web pour communiquer leurs réflexions aux internautes désireux de les visiter et de contribuer à les enrichir. Le pari demeure semblable: sachant que la réflexion est destinée à un large public réel, les élèves veilleront à fournir la qualité la plus grande possible ... À suivre.

 

J'ai donné ces quelques exemples sans prétention; seulement pour témoigner de la fécondité du livre de Glasser. Je souhaiterais pouvoir échanger avec d'autres éducateurs intéressés par une telle approche: l'approfondir à plusieurs et mettre en commun nos bonnes idées.

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