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La condamnation de Jeanne d'Arc
Contexte historique : la Guerre de Cent Ans
Après avoir présenté ses respects à l’empereur, Henri VI décrit les actions de Jeanne d’Arc et les répercussions que ces dernières ont eu sur le royaume. Après avoir précisé que Jeanne était responsable de nombreux dommages dans le pays, il a décrit son arrestation. Henri VI a aussi expliqué les raisons qui l’ont poussé à remettre Jeanne aux autorités ecclésiastiques à la demande de l’évêque de Beauvais. Par la suite, l’empereur se fait informer de la façon dont s’est déroulé le procès de Jeanne, lié à l’Inquisition. Enfin, le roi termine sa lettre en divulguant à l’empereur le verdict du procès, en foi de quoi Jeanne ayant été déclarée hérétique, fut brûlée. Il conclut finalement sa lettre en précisant la raison d’être de cette dernière : « informer autrui de la mort de cette femme1.»
L’explication de ce document authentique s'est d’abord
faite en précisant le contexte historique de la guerre de Cent Ans,
contexte dans lequel se situe la rédaction de la lettre. Par la
suite, nous avons précisé les moments importants de la vie
de Jeanne d’Arc, quelles sont les actions auxquelles faisait référence
Henri VI, les tractations que le roi tenait sous silence, mais qui ont
mené à son arrestation, son procès et les circonstances
de sa condamnation. Enfin, nous avons présenté les aspects
généraux de la réhabilitation de Jeanne d’Arc qui
ont mené à sa canonisation.
L’épisode de Jeanne d’Arc se déroule
vers la fin de la guerre de Cent Ans. C’est pourquoi nous avons jugé
bon d’élaborer sur les origines et le déroulement de cette
guerre, cela dans le but de favoriser une meilleure compréhension
des événements de la vie de Jeanne d’Arc et des grands personnages
qui l’entouraient à l’époque.
Le point de départ de cette guerre, qui a duré plus de 100 ans et qui a été interrompue par plusieurs trêves, est la prétention au trône de France du roi d’Angleterre Édouard III. Cette prétention au trône, qui représente bien la mentalité féodale des rois anglo-normands, témoigne de leur attachement pour la France.
Cette mésentente entre la France et l’Angleterre prend ses origines aux XIIe et XIIIe siècles ; le conflit qui opposait les Capétiens (France) et les Plantagenêts (Angleterre) au niveau des territoires anglais en France constitue en fait la première guerre de Cent Ans. Depuis, ces deux royaumes se disputaient leurs territoires et la légitimité au trône.
Revenons maintenant aux éléments déclencheurs
de la « deuxième » guerre de Cent Ans. Certes Édouard
III piqua au vif la France de par sa prétention à la couronne,
mais ce geste avait lui-même été provoqué par
la saisie du fief de Guyenne en mai 1337 par Philippe VI. Ce n’est qu’avec
le traité de Brétigny en 1360, dans lequel l’hommage aquitain
semble avoir été supprimé, qu’Édouard III renonça
au trône de France.
Les premiers désastres français (1337-1360)
Le problème de succession au trône ne fut, en fait, qu’un prétexte pour provoquer une guerre. Le conflit se concentrait désormais sur les possessions des Plantagenêts en France et celles de la Flandre, cette dernière étant administrée par le comte de Flandre, Louis de Nevers.
Dès
1337, les comportements de Louis de Nevers trahissaient une attitude anti-anglaise.
Cette façon d’agir choqua Édouard III et il répondit
par un embargo sur les exportations de laine anglaise en Flandre. Cet embargo
plongea la Flandre dans une crise économique, ce qui amena son peuple
(aidé par Artevelde) à la révolte contre son propre
comte. En 1340, les Flamands devenaient les alliés de l’Angleterre.
C’est alors que commencèrent les attaques guerrières. La France fut la première à être touchée le 24 juin dans le port de l’Écluse où sa flotte de Flandre fut décimée. Sur le continent, les Anglais s’imposaient toujours devant leur adversaire. Leur victoire sur Crécy le 26 août 1346 permit à l’Angleterre, au terme d’un an de siège, de s’emparer du port de Calais en août 1347.
La peste allongea la trêve consentie par les
Anglais jusqu’en 1355. La reprise des hostilités fut provoquée
par Édouard III en septembre 1355 à Bordeaux. Il profita
du conflit entre le nouveau roi de France, Jean II le Bon, et Charles le
Mauvais, roi de Navarre. Le Languedoc, la Loire et Poitiers furent respectivement
ravagés. Le roi de France fut fait prisonnier des Anglais, ce qui
provoqua en France une crise économique et sociale, suite à
laquelle elle faillit s’évanouir. Une deuxième trêve
fut établie par l’accord de Brétigny le 8 mai 1360 et confirmée
par les traités de Calais.
De
la paix de Brétigny au traité de Troyes (1360-1420)
( voir annexe
I)
La venue du nouveau roi de France, Charles V, redonna de l’énergie à la population française. Charles V répara « les désastres, réforma l’administration, rétablit les finances en améliorant la fiscalité2 ». De plus, il fut servi par le premier grand homme de guerre de ce conflit, Du Guescin, ce qui aida énormément ses intérêts. On procéda à la réorganisation de l’armée et on améliora l’artillerie depuis Crécy, où elle apparut pour la première fois.
Le conflit se ranima en 1369 parce que Charles V
continuait d’user de ses droits de suzerain sur la
Guyenne. Après une série de victoires des Français
sur les Anglais (Pontvallain en décembre 1370, La Rochelle en 1372),
l’Angleterre n’avait de la France en 1380 que la Guyenne et Calais. La
guerre fut de nouveau interrompue durant environ 35 ans, la France et l’Angleterre
se trouvant aux prises avec des problèmes internes.
En octobre 1415, Henri V fit subir une des plus grandes
défaites à la noblesse française lors de la bataille
d’Azincourt, en Picardie. La France, alors, au lieu d’unir ses forces contre
l’invasion anglaise en Normandie, retourna à ses guerres civiles.
En mai 1418, les Bourguignons (voir annexe
II) massacrèrent la population de Paris ; assassinats, meurtres
et trahisons furent à l’honneur. Le 21 mai 1420, Charles VI signait
le traité de Troyes. Influencé par sa femme, Isabeau de Bavière,
il renia et déshérita son propre fils, le dauphin Charles
(futur Charles VII) pour laisser à Henri V d’Angleterre le royaume
de France.
Le
redressement français et la fin de la guerre (1420-1453)
(voir annexe
III)
Le traité de Troyes fut annulé par la mort d’Henri V et de Charles VI, en 1422, même si Henri VI3, par la régence du duc de Bedford (son oncle), fut proclamé souverain de France. Durant ce temps, Charles VII4, impuissant devant ses ennemis (Paris, l’Université, le Parlement ainsi que les régions soumises au duc de Bourgogne5), dut se retirer derrière la Loire. Par contre, l’espoir se pointait tranquillement à l’horizon. Par les horreurs de la guerre, les Bourguignons commencèrent à se monter contre les Anglais. Leur alliance devenait de plus en plus fragile. C’est dans cette atmosphère que Jeanne d’Arc devint « le symbole de ce patriotisme populaire6 ». Elle délivra la ville d’Orléans le 8 mai 1429 et, « obéissant à une intuition où se conjuguaient le mysticisme et le réalisme politique7 », elle réussit à faire sacrer Charles VII à Reims en juillet 1429. De cette façon, la légitimité du roi ne pouvait plus être contestée, ce qui changea énormément le déroulement de la guerre. Même la mort de Jeanne d’Arc, le 30 mai 1431, ne réussit pas à défavoriser Charles VII. La réconciliation avec les Bourguignons par la paix d’Arras le 20 septembre 1435 fit cesser les guerres civiles.
Paris fut envahie par l’armée de Charles VII
en 1436. En 1444, une trêve fut conclue avec les Anglais en plus
d’être confirmée par l’alliance entre Henri VI d’Angleterre
et Marguerite d’Anjou (1445), nièce du roi de France. À ce
moment, les Anglais avaient comme possessions françaises le Bordelais,
le Maine, le plus grande partie de la Normandie et Calais. Durant cette
trêve, Charles VII établit une armée permanente ce
qui lui permit de reconquérir la Normandie, Rouen le 20 novembre
1449, Bergerac en 1450, Bordeaux et Bayonne en 1451. Les Anglais avaient
perdu toutes leurs possessions en France mise à part Calais, qu’ils
ont possédée jusqu’en 1558. La guerre se termina en 1453,
mais elle ne fit l’objet d’aucun traité. Ainsi, les rois d’Angleterre
continuèrent de porter le titre de roi de France jusqu’en 1801.
Jeanne d’Arc est en fait le sujet central de la lettre
du roi d’Angleterre, Henri VI. Étant donné le grand plaisir
qu’il eut à faire un portrait de la Pucelle comme étant «
une certaine devineresse mensongère1
», il nous semble donc pertinent de faire la lumière sur sa
vie, depuis son enfance jusqu’à sa mort, en passant par ses réalisations.
L’enfance de Jeanne d’Arc est un élément essentiel à notre explication de document puisqu’elle justifie l’envoi de la lettre d’Henri VI à l’empereur du Saint Empire romain germanique.
C’est probablement dans le petit village de Domrémy qu’est née Jeanne d’Arc. On rapporte que sa naissance eut lieu le jour de l’Épiphanie, soit le 6 janvier 1412. Jeanne était la fille de Jacques d’Arc et d’Isabeau Vouthon, un couple de laboureurs de ce même village, situé dans la vallée de la Meuse. Domrémy se trouvait en fait aux frontières du duché de Bourgogne et du Saint Empire romain germanique (Sacrum Imperium Nationis Germanicae). Cette proximité est des plus intéressantes puisqu’elle vient sans doute justifier pourquoi le roi Henri VI d’Angleterre adresse sa lettre à l’empereur Sigismond de Luxembourg.
Malgré qu’on lui prête une constitution
très robuste, Jeanne d’Arc a toujours été très
pieuse et faisait preuve d’une grande bonté. Elle connaissait
très bien son « Notre Père », « Je Vous
salue Marie » et « Je crois en Dieu » ; toutefois, elle
ne savait ni lire ni écrire. Elle se plaisait à aller avec
ses compagnes en excursion dans les champs où il leur arrivait de
prier. Lorsqu’elle fut assez âgée, Jeanne aida sa mère
à la maison et cultiva les champs avec ses frères. Enfin,
Jeanne d’Arc était reconnue pour ses confessions et communions fréquentes,
et pour l’aumône aux pauvres qu’elle pratiquait.
Les « Voix » que Jeanne d’Arc entendit lors de son séjour à Neufchâteau furent l’élément déclencheur de sa mission ; elles constituèrent aussi un des moyens pris par ses ennemis (Henri VI et ses juges) pour la faire monter sur le bûcher parce qu’ils la percevaient comme « une superstitieuse femme1 ».
Vers 1425, les habitants de Domrémy durent
quitter pour la première fois leur village en raison de l’arrivée
des troupes bourguignonnes ; ils allèrent se réfugier à
Neufchâteau. Jeanne faisait partie des réfugiés et
c’est alors qu’elle entendit les « Voix » pour la toute première
fois. Ces « Voix » étaient celles de Saint-Michel-l'Archange,
de Sainte-Catherine et Sainte-Marguerite ; selon les dires d’Henri VI dans
sa lettre à l’empereur Sigismond, Jeanne d’Arc aurait également
été témoin de leur apparition et de celle de plusieurs
anges. Ces « Voix » lui ordonnaient de chasser les Anglais
de France et de faire sacrer Charles à Reims. Les « Voix »
lui disaient aussi que cette mission lui était confiée par
Dieu, ce qu’Henri VI trouva très prétentieux de sa part,
et qu’elle se devait de l’accomplir. Aussi, au moment venu, « Elles
» lui diraient qu’il est temps de rencontrer à Vaucouleurs
le capitaine du roi, Robert de Baudricourt. Sainte-Marguerite et Sainte-Catherine
lui avaient dit qu’elle serait repoussée plusieurs fois par ce dernier
mais que par sa persévérance, un jour, il céderait.
Les combats de Jeanne d’Arc pour son royaume furent d’une grande aide pour ce dernier. Par contre, vue par Henri VI, elle devenait une véritable menace ; sa popularité et ses victoires agaçaient les autorités anglaises et ecclésiastiques.
Le moment venu, les « Voix » dirent à
Jeanne qu’était venu le temps de rencontrer le capitaine Baudricourt.
Jeanne tenta à plusieurs reprises d’avoir un entretien avec le capitaine,
mais chaque fois il la renvoyait chez elle en la traitant de folle. Le
12 février 1429, elle fit une nouvelle tentative auprès de
lui et, sous la pression des partisans de Jeanne d’Arc, il se résigna
à la recevoir après qu’elle fût sortit gagnante d’une
séance d’exorcisme. Lors de cette rencontre, Jeanne essaya de le
convaincre de lui fournir une escorte pour rejoindre Charles VII à
Chinon. Ayant accepté, Jeanne, et son escorte
armée prirent 11 jours pour franchir la distance entre Vaucouleurs
et Chinon. Mais Charles VII était très réticent à
la recevoir ; sa réputation, déjà entachée,
pourrait en souffrir. Il accepta tout de même de la recevoir car
Jeanne réussit à le reconnaître malgré le fait
qu’il était dissimulé par ses courtisans. Il faut préciser
qu’elle avait déjà vu son portrait ; il existe donc un doute
sur la manifestation divine qui aurait inspiré Jeanne.
Au cours d’un entretien particulier, elle réussit à le convaincre de sa mission au moyen d’un « signe » qu’elle refusera toujours de dévoiler lors de son procès. Charles, avant de lui confier une armée, la soumit d’abord à un interrogatoire réalisé par des théologiens de l’université de Poitiers ; c’est à ce moment qu’elle fit ces quatre prédictions : 1-les Anglais lèveront le siège d’Orléans, 2-le roi sera sacré à Reims, 3-Paris sera reprise par Charles VII et 4-le duc d’Orléans sera libéré par les autorités anglaises. À la suite de cet interrogatoire, Jeanne dut ensuite se soumettre à un examen de virginité exigé par Charles. Le résultat de cet examen s’avéra positif : Jeanne était bel et bien vierge et c’est sûrement grâce à cela que « le vulgaire (la surnomma) la Pucelle1 », comme le rapporte Henri VI dans sa lettre. Après avoir également été soumise à une enquête de moralité, le roi l’autorisa enfin à participer aux opérations militaires. Avant de partir pour sa première mission, qui était de lever le siège d’Orléans, elle s’est munie d’une bannière portant l’inscription de Jhesus Maria, d’une armure complète, d’une épée trouvée dans la chapelle de Ste-Catherine-de-Fierbois, d’un écuyer, de deux pages et d’un chapelain. Le fait qu’elle choisit de porter une armure en dérangea plus d’un ; même le roi Henri VI en fit mention lorsqu’il dit qu’elle va « à l’encontre de la décence naturelle [en] adoptant l’habit d’homme1. »
Son entreprise militaire débute donc par la
levée du siège d’Orléans, défendue par Suffolk
et Talbot le 8 mai 1429. Ce premier succès donna confiance aux troupes
de Jeanne d’Arc, et un tel exploit se répéta par les prises
successives de Jargeau, de Meung, Beaugency et Patay, le 18 juin 1429 :
ces victoires eurent des échos dans la population française
et le nom de Jeanne d’Arc était de plus en plus connu. Les succès
se poursuivirent par les prises de Troyes, d’Auxerre et de Châlon,
permettant ainsi l’ouverture de la route de Reims. Ainsi, le 17 juillet
1429, Charles VII y fut sacré selon le cérémonial
traditionnel par l’évêque du même endroit. Cette cérémonie
était importante puisqu’elle confirmait la légitimité
du roi, laquelle avait été mise en doute par sa propre mère,
Isabeau de Bavière. Le 18 septembre 1429, Jeanne fut blessée
à la porte Saint-Honoré en tentant de prendre Paris. D’autres
opérations militaires ont mené à la prise de St-Pierre-le-Moûtier,
mais elles furent suivies par l’échec devant La Charité-sur-Loire
en décembre 1429. Le 24 décembre de cette même année,
Jeanne et sa famille sont anoblis par Charles VII (voir annexe
IV). Durant l’hiver 1429-1430, Jeanne fit des haltes à Bourges
et Sully. C’est sans doutes à cette série d’événements
entre Français et Bourguignons, initiés par Jeanne d’Arc,
auxquels faisait allusion Henri VI lorsqu’il dit que Jeanne est l’auteur
de « massacres humains1
» et qu’elle a infligé « à nos gens plusieurs
défaites1 »
et « apporté en nos royaumes beaucoup de dommages1
».
De sa capture à son arrestation
Cette capture ne surprenait pas Jeanne ; ses « Voix » l’avaient prévenue. Mais sa capture à Compiègne en réjouissait plus d’un, entre autres le duc de Bourgogne qui s’empressa d’annoncer le grand événement aux habitants de St-Quentin (voir annexe V), et le roi Henri VI. Mais ce fut également « […] un immense et implacable hourrah chez les Bourguignons et les Anglais. Le soldat qui avait capturé Jeanne fut joyeux que s’il eût pris un roy. Les Anglais firent de grands cris et resbondissements, car ils ne redoutaient aucun chief de guerre comme ycelle Pucelle8. » Pour sa part, le roi d’Angleterre exprima son soulagement à l’empereur lorsque, plus tard, Jeanne lui fut remise en disant qu’enfin « la divine clémence (…) a mis cette femelle en nos mains et notre puissance1. » D’autre part, il semblerait que Jeanne fut capturée par la faute de deux hommes, Flavy et l’archevêque de Reims, Régnault de Chartres. Jeanne d’Arc ne craignait qu’une chose dans toute son entreprise, c’était la trahison, et voilà qu’elle était captive par la faute de ses « faux frères d’armes8. »
En ce qui concerne Régnault de Chartres, sa haine envers Jeanne pourrait être justifiée par le fait qu’il ne tenta en aucun temps de négocier avec Jean de Luxembourg, le chef bourguignon qui détenait Jeanne. Au lieu d’aider à la libération de la Pucelle, il aurait écrit une lettre aux Rémois pour leur faire part des causes de la capture de Jeanne. Il mentionna également que « […] la prise de la Pucelle (…) ne changeait rien : déjà un jeune berger du Gévaudan venait de se manifester qui en ferait autant qu’elle9. » En résumé, cela signifiait qu’on ne pouvait rien pour la capture de Jeanne, mais qu’il ne fallait pas s’inquiéter ; elle avait déjà un remplaçant. En réalité, le jeune berger du diocèse de Mende était « […] un fol et innocent berger [que] les Anglais saisirent, enfermèrent dans un sac et (…) jetèrent au fond de l’eau10. » Telle était la contribution de l’évêque de Reims.
Mais quelles étaient vraiment les avenues possibles pour Jeanne, une fois prisonnière du duc de Bourgogne? Hormis les évasions qu’elle tenta, Jeanne pouvait demeurer indéfiniment prisonnière du duc de Bourgogne, être vendue à Bedford suite à une série de négociations, ou rendue à la France par traité ou rançon. Il est évident que tout le monde s’attendait à ce que Charles VII libéra celle qui lui avait rendu son trône ; pourtant aucune trace de documents prouvant une action quelconque de Charles VII pour la sauver n’a été trouvée.
Délaissée par ses alliés, Jeanne, prisonnière de Jean de Luxembourg, fut d’abord captive au château de Clairvoix, puis au château de Beaulieu en Vermandois, d’où elle échoua une évasion. Elle fut ensuite transférée à Beauvoir où elle tenta à nouveau de s’évader en sautant d’une tour et, cette fois, on interpréta ce geste comme une tentative de suicide. Vers la fin du mois d’octobre 1430, Jeanne d’Arc changea à nouveau de lieu de détention ; elle se trouva désormais au château d’Arras, dans le duché de Bourgogne.
Mais avant de poursuivre, il serait intéressant de connaître les tractations auxquelles se livraient les parties impliquées alors qu’on s’amusait à tranférer Jeanne d’un château à l’autre.
Dès que le doyen de la Faculté de Droit de l’université de Paris, Éverard, appris que Jeanne était prisonnière de Jean de Luxembourg, il s’empressa de convaincre le vice-inquisiteur de France qu’il fallait lui intenter un procès. En fait, Éverard demanda à Martin Billori, le vice-inquisiteur, d’écrire une lettre au duc de Bourgogne pour que Jeanne soit remise aux Anglais, puis aux autorités ecclésiastiques. Billori écrivit donc une lettre (voir annexe VI) au duc de Bourgogne pour que ce dernier convainque Jean de Luxembourg de livrer Jeanne au roi Henri VI. Mais de Luxembourg y voyait un obstacle ; Billori n’offrait pas de rançon pour Jeanne. Vers la même période, l’évêque de Beauvais, Pierre Cauchon, réclamait parallèlement au duc de Bourgogne l’ouverture d’un procès inquisitorial pour Jeanne. Vint le mois de juin et Pierre Cauchon n’avait toujours pas de réponses de la part du duc de Bourgogne. Il discuta alors de rançon avec Bedford et rencontra personnellement le duc de Bourgogne pour le convaincre que « la femme dicte la Pucelle est recherchée pour ses idolâtries et autres matières touchant nostre saincte foy, ses scandales à réparer, les dommages innumérables qui ont suivi11. » De plus, il fallait remettre Jeanne à Henri VI parce que « c’est [le] roi d’Angleterre qui la délivrera à l’Église, suivant le besoin. Elle appartiendra au roy d’Angleterre qui se prêtera de tout son pouvoir à ce qu’elle soit jugée en matière de foi12.» Bedford offrit donc à Jean de Luxembourg une rançon équivalente à celle donnée pour un roi : dix mille livres tournois. La remise de cette rançon eut lieu le 24 octobre 1430 et Jeanne fut emmenée au château de Crotoy, en terrain anglais.
Entre temps, l’évêque de Beauvais avait été « choisi » pour présider le procès de Jeanne en tant qu’inquisiteur. Mais un problème se pointait à l’horizon pour Pierre Cauchon ; il n’ avait pas juridiction à Rouen. Pour y remédier, il s’adressa au chapitre pour l’obtenir ; cela se fit en peu de temps.
La remise de Jeanne aux autorités ecclésiastiques
constituait la dernière étape avant le début de son
procès. Le roi Henri VI remplit donc son engagement, et il le confirma
dans une lettre destinée à Pierre Cauchon : « Henri,
par la grâce de Dieu, roy de France et d’Angleterre octroie que toutes
et quantes fois que bon semblerait au Révérend Père
en Dieu, Évêque de Beauvais, icelle Jeanne lui fût baillée
et délivrée réellement et de fait par ses gens et
officiers qui l’ont en leur garde, pour icelle interroger et examiner et
faire son procès, selon Dieu, la raison, les droits divins et les
saints canons13. »
Vers la mi-décembre, Jeanne fut finalement transférée
au château du Bouvreuil, à Rouen où les gens attendaient
« […] une femme qui se fait appeler Jeanne la Pucelle, laissant l’abbit
et vesture de sexe féminin, s’est contre la loy divine, comme chose
abominable à Dieu, réprouvée et défendue de
toute loy, vestue, habillée et armée en estat d’habit d’homme14.
»
Henri VI remit le sort de Jeanne d’Arc entre les
mains de la juridiction ecclésiastique comme il le dit
si bien dans sa lettre « nous avons aussitôt ladite femme au
jugement de la sainte mère l’Église1.
» Le grand rôle de l’Église lors du procès de
Jeanne d’Arc ne fut pas sans raison. Étant donné «
qu’on la réputait avoir commis des crimes graves et scandaleux aux
préjudices de la foi orthodoxe et de la religion chrétienne1
», écrivit Henri VI, l’Église devait nécessairement
s’imposer. De plus, il précise que « l’évêque
du diocèse où elle fut prise1
» fera partie des juges. Dès le 9 janvier 1431, l’évêque
du diocèse de Beauvais, Pierre Cauchon, entreprit la constitution
du tribunal de Jeanne d’Arc. Il prit la peine de s’entourer d’amis et de
faire en sorte que tout le tribunal soit plutôt défavorable
à l’endroit de l’accusée. Comme Henri VI le mentionne dans
sa lettre, Cauchon s’adjoignit le vicaire de l’inquisiteur de la perversité
hérétique de France à Rouen, le dominicain Jean le
Maître. L’évêque de Beauvais et ce dominicain furent
ses deux seuls juges. Il y eut aussi plusieurs conseillers et assesseurs,
comme par exemple Gilles de Duremort, abbé de Fécamp, conseiller
du petit roi anglais, Nicolas Le Roux, abbé de Jumièges,
Pierre Miget, prieur de Longueville-Giffard, pour ne nommer que ceux-ci.
Henri VI pris la peine, lors de la rédaction de sa lettre, de bien
préciser les multiples personnes qui prirent part à la condamnation
de Jeanne d’Arc. Toutes les cartes du jeu se retrouvait contre la Pucelle.
Les dés étaient jetés; il ne restait plus qu’à
suivre le plan déjà tant préparé par Pierre
Cauchon et ses amis. Jeanne était désormais prévenue
de ses délits contre la foi.
Pierre Cauchon et ses acolytes n’avaient pas de chef d’accusation à porter contre Jeanne, mais il fallait l’inculper à tout prix. « Ce que ces habiles gens, point gênés par leur conscience, pourront faire sortir d’un mot, d’un geste, d’un silence, est incalculable15. » Le premier interrogatoire de Jeanne se divisa en six séances. Il y eut une suspension d’une semaine où Jean Cauchon tint conseil durant six jours dans sa propre maison. Il y eut un deuxième interrogatoire suivi à son tour d’une étude des conclusions toujours dans la maison de l’évêque de Beauvais. Tout ceci se déroula entre le 21 février et le 25 mars 1431.
Durant ce temps, Jeanne fut enfermée dans un château de Rouen (Bouvreuil) vers le 9 janvier 1431. Ses ennemis avaient tellement peur qu’elle ne s’évade qu’ils firent bâtir une solide cage et l’y enfermèrent, liée à la fois par les mains, le col et les pieds. Par chance, cette horrible condition fut de courte durée puisque vers le 21 février, le tribunal la remit à trois hommes dignes de confiance : Jean Gris, Jean Berwoit et Guillaume Talbot. Ils devaient s’assurer qu’elle soit fidèlementgardée prisonnière et que personne ne puisse s’entretenir avec elle ; ils jurèrent tous les trois sur la Bible. En plus des trois nobles comme gardiens, Jeanne eut cinq soldats qui durent la surveiller jour et nuit.
Du 18 mars au 25 mars, les juges de la Pucelle établirent les conclusions des interrogatoires. Le 18 mars, Pierre Cauchon convoqua pour une seconde fois ses assesseurs (une douzaine cette fois). L’évêque-juge leur lut ses propositions. Le problème était que l’interrogatoire venait de se terminer 24 heures plus tôt. Comment avait-il pu retirer en si peu de temps des propositions? Toutefois, les assesseurs de Jeanne devaient se retrouver le samedi 24 mars pour lui lire leurs dépositions. Celle-ci ne fit aucun commentaire mis à part l’oubli de mention du nom de sa propre mère. Le lendemain, le 25 mars, on offrit à Jeanne de délaisser ses vêtements d’homme afin d’assister à la messe de Pâques. Cette permission était un énorme piège, et Jeanne l’évita. « La mettre dans l’impossibilité de quitter l’habit d’homme et lui faire un crime capital de le garder, n’était-ce pas le comble de l’habileté16? » C’est par son refus de quitter l’habit d’homme (puisqu’elle craignait le viol plus que tout) et de ne pas assister à la messe de Pâques que ses ennemis eurent des éléments supplémentaires pour l’inculper. Du 26 au 28 mars, D’Estivet, un de ses assesseurs, écrivit les 70 articles qui lui reprochaient le port de vêtements d’homme, sa tentative de suicide, ses visions (que seule la sorcellerie pouvait être responsable), son refus de soumission à l’Église militante et plusieurs griefs mineurs. C’est avec ces articles que docteurs et maîtres de l’université de Paris, comme l’écrit Henri VI, que le 14 mai 1431, les fameux 12 articles furent déposés. « Ces subtilités, ce pédantisme qui va jusqu’à nommer les trois diables qui jouèrent saint Michel, sainte Catherine et sainte Marguerite, cette haine ici pateline, là violente, épanchée en un flot de latin douteux, ce déchaînement de meute grondante et mordante contre une petite fille, une petite paysanne, simple, héroïque, couronnée de victoires évidemment divines, toute pure et toute pieuse ; ce volcan en éruption pour tuer une colombe ne peuvent faire rire; ils feraient bien plutôt pleurer sur les folies où la passion sait entraîner la misérable humanité. C’est ici le lieu d’appliquer plus spécialement le verdict qu’Ysambart de la Pierre rendait sur tout le procès : il y eut qui rendirent leur sentence par espoir de quelques faveurs ; d’autres par haine et par esprit de vengeance ; d’autres parce qu’ils avaient été payés ; quelques uns par peur17. » Voici ce qui résume très bien l’énorme complot érigé contre Jeanne d’Arc.
Le 24 mai, au cimetière de St-Ouen, Jeanne
d’Arc abjura devant public. Comme Henri VI l’écrit dans sa lettre,
elle « reconnut ouvertement et confessa pleinement1
.» Pourtant, lorsqu’elle signa par une croix le papier où
elle abjure ses fautes, elle souriait, préférant la prison
de l’Église à ses geôliers anglais. Elle avait dû
choisir entre reprendre l’habit de femme, signer le papier et monter sur
le bûcher. Elle fut tellement déçue et trahie lorsqu’on
la ramena à son ancienne prison. Maintenant habillée en femme,
elle était à la merci des Anglais. On la battit, l’insulta,
la viola. Craignant à nouveau de se faire violenter, elle reprit
l’habit d’homme le 27 mai ; c’est qu’elle acquisça à ce que
ses ennemis voulaient. Elle venait enfin de tomber dans leur piège.
Comme le précise Henri VI, en plus d’être « supersitieuse,
devineresse, idolâtre, invocatrice de démons, blasphématrice
envers Dieu, les saints et les saintes, schismatique et fort errante en
la foi de Jésus-Christ1
», elle fut déclarée hérétique et relapse.
Il n’y avait plus d’espoir pour Jeanne. Elle fut condamnée au bûcher
le 30 mai 1431, sur la place du Vieux Marché de Rouen. Telle était
sa foi en Dieu, telle était sa majesté d’âme. Voici
les dernières paroles de Jeanne d’Arc : « Jésus! Jésus!
Jésus! Je ne suis ni hérétique, ni une schismatique.
Oh saints du paradis! Saint Michel! Sainte Catherine! Sainte Marguerite!
Mes Voix furent de Dieu. Tout ce que j’ai fait fut de l’ordre de Dieu.
Mes révélations étaient de Dieu. Jésus!…18
» Jeanne d’Arc, dit la Pucelle, venait de mourir.
Une « sainte » jeune fille venait d’être
sacrifiée car elle était devenue un danger politique ; on
la craignait parce qu’elle avait combattu contre des hommes et on était
jaloux de ses succès. Son corps avait été brûlé
mais, semble-t-il, son cœur demeura rouge, couleur du sang. Le bourreau
prit peur et jeta ses restes dans la Seine.
De l’hérésie à la canonisation
Après la mort de Jeanne, trois enquêtes
se sont échelonnées sur une période de 25 ans, ayant
pour but d’étudier la façon dont s’est déroulé
procès. La première enquête eut lieu le 15 février
1450 ; elle fut instituée à la demande de Charles VII, mais
l’enquête n’eut pas de suite. Pour plaire à
la cour française, une seconde enquête similaire fut ouverte
par le cardinal d’Estouteville en 1452 ; elle connut le même sort
que la précédente. Puis en 1455, la mère de Jeanne
demanda l’ouverture de la troisième enquête qui fut gérée
par l’autorité inquisitoriale et transformée en un nouveau
procès. Le nouvel inquisiteur de France, Jean Brehal, fut en faveur
de Jeanne et rendit un verdict qui allait dans le même sens que ses
convictions. Ainsi, dans la grande salle du palais de l’archevêque
Jean Juvénal des Ursins, le 7 juillet 1456 à Reims, les commissaires
pontificaux « […] déclarèrent le procès de condamnation
de Jeanne et la sentence entachés de vol, de calomnie, d’iniquité,
de contradiction, d’erreur manifeste en fait et en droit y compris l’abjuration,
les exécutions et toutes leurs conséquences et, par suite,
nuls, invalide, sans valeur et sans autorité19.
» Ce verdict fut annoncé dans les principales villes du royaume
et il visait à rétablir la réputation de Jeanne.
Jusqu’à la fin du XVe siècle, à la cour et dans la haute hiérarchie ecclésiastique, on passa l’épisode « Jeanne d’Arc » sous silence ; on attribua « […] à Dieu seul et à son intérêt pour la monarchie française les événements provoqués par l’action de Jeanne19. » Vers 1436, il y eut l’épisode de la fausse Jeanne qui avait été reconnue par les vrais frères de Jeanne, mais elle fut démasquée vers 1440 par le Parlement de Paris ; son nom était Jeanne du Lis. Enfin, quatre ans après la mort de la vrai Jeanne, une pièce de théâtre du nom de « Mistère du siège d’Orléans » fut jouée dans cette même ville en son honneur.
Au XVIe siècle, le courant humaniste ignora Jeanne ; on la considérait alors comme la création d’un groupe politique avisé et cynique. Aussi, à cette époque, elle fut considérée parmi les femmes les plus vertueuses. Enfin, dans le contexte des guerres religieuses, Jeanne fut perçue comme la patronne des catholiques extrémistes.
Le XVIIe siècle fut également une époque négative pour Jeanne d’Arc. Les idéologies classiques n’appréciaient guère le caractère « gothique » de la Pucelle et les libertins la voyaient comme une subtilité politique.
Le XVIIIe siècle, le siècle des Lumières, a toutefois une opinion dichotomique sur Jeanne. D’abord, Voltaire chercha à la ridiculiser dans l’épopée héroï-comique La Pucelle (1738) et Beaumarchais fut de même dans ses Lettres sérieuses et badines (1740). L’Encyclopédie, quant à elle, ne « voyait qu’en Jeanne une malheureuse idiote manœuvrée par des fripons19 », alors que Montesquieu la considérait comme une pieuse fourberie. La littérature catholique propose toutefois une toute autre conception de Jeanne. Quoiqu’elle puisse avoir un parti pris, cette dernière louangeait la Pucelle, contrairement à ses semblables du XVe siècle. Aussi, par les auteurs Robert Southey et Schiller, Jeanne était devenue une héroïne romantique. Enfin, le mythe de Jeanne devenait de plus en plus populaire avec la montée du patriotisme moderne.
Au XIXe siècle, après la guerre de 1870, Jeanne fut surnommée la « bonne Lorraine » parce qu’elle était également originaire de cet endroit. Elle incarnait désormais l’espérance et la revanche des Français.
Finalement, au début du XXe siècle,
Jeanne était pratiquement un culte pour les monarchistes, les républicains,
les catholiques et les laïcs. C’est grâce aux passions nationalistes
qui ont précédées la Première Guerre mondiale
que Jeanne a été béatifiée en 1909. Enfin,
l’honneur ultime lui est octroyé en 1920 ; elle est canonisée
par le pape Benoit XV, puis déclarée patronne de la France.
En résumé, l’arrivée de Jeanne
d’Arc a grandement influencé le déroulement de la guerre
de Cent Ans, particulièrement vers sa fin. En effet, Jeanne a permis
au roi Charles VII de retrouver sa couronne et, grâce à elle,
les Anglais se virent infliger plusieurs défaites. Elle a toujours
cru en sa mission divine ; elle ne l’a jamais reniée, même
au moment de sa condamnation. Le contexte dans lequel elle dut manœuvrer
ne jouait pas en sa faveur ; il était « réticent par
distance sociale et culturelle (du côté français) et
hostile à cause des formes militaires et politiques de son action
(du côté anglais)20
». Ainsi, comme l’a rapporté Henri VI dans sa lettre, Jeanne
fut condamnée au bûcher car on la croyait dangereuse pour
la population. Pourquoi le roi Charles VII n’est-il pas intervenu pour
sauver Jeanne alors qu’elle avait tant fait pour lui ? Voilà une
question à laquelle les historiens ne peuvent pas encore répondre.
Droits d'auteurs réservés à Catherine Sigouin et
Mélanie Théroux
Mise en page faite par Charles Clermont
Copyright © 5 mars 1998
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