Le message annuel du président de Russie Boris Eltsine à l’Assemblée fédérale.
Cher Egor Semenovitch, Cher Guennadi Nikolaevitch, Messieurs les membres de l’Assemblée fédérale,
Aujourd’hui, conformément à la Constitution, je vous présente mon message annuel. Mais c’est pour la première fois que mon intervention a lieu dans un moment aussi dramatique. L’OTAN continue de frapper la Yougoslavie. Au mépris du Conseil de sécurité de l’ONU, au mépris de sa Charte, contrairement à la raison et au bon sens, des gens y périssent. Les fondements mêmes du droit international sont menacés. Mais la crise dans les Balkans exige de nous non des appréciations émotionnelles, mais des actions responsables et réfléchies. Un nombre croissant de politiques comprennent: la force grossière dans de telles situations ne réglera rien. La Russie a fait son choix. Nous ne permettrons pas de nous entraîner dans le conflit militaire. Ce matin, suivant mon instruction, Evgueni Maximovitch Primakov a pris l’avion pour la Yougoslavie. Vous le savez: au moment de présentation du Message le chef du gouvernement est toujours présent. Mais maintenant, on ne peut pas perdre de temps. Primakov a toutes mes instructions. Je pense que notre parole pèsera lourd dans ce conflit.
Nous nous efforçons de retenir le monde d’une nouvelle scission. Mais notre engagement premier consiste à empêcher les discordes d’apparaître à l’intérieur du pays. Certes, les citoyens de Russie se tourmentent pour la Yougoslavie. Mais ils se tourmentent encore plus pour leur pays. Notre poids dans l’arène mondiale dépend de la façon dont nous réglons nos propres problèmes. Ce qui veut dire qu’il doit y avoir une fermeté au sein du pouvoir. Une entente dans la société. Une stabilité dans l’économie et dans la sphère sociale.
Cependant, les événement de ces derniers temps ont fait brusquement monter la température politique. Des déclarations irresponsables et fébriles sont faites. Les pouvoirs ne cachent pas leur mécontentement les uns des autres. Qui assume la responsabilité de la crise? Qui a relancé l’inflation? Qui a acculé dans l’impasse le secteur réel de l’économie?
S’agissant de la crise actuelle, tous ne se souviennent que du 17 août. Mais le mois d’août avait suivi juillet, un mois chaud, où le gouvernement avait mis au point un programme anti-crise. Et le Fonds monétaire international, se basant sur ce programme, avait pris la décision d’accorder la première tranche de crédit. La Douma d’Etat avait rejeté ce programme. Ni moi, ni gouvernement Kirienko n’avaient pu défendre ce programme. La Douma avait donné un mauvais signe aux investisseurs. Signe qui montrait que le pouvoir n’était pas prêt à assumer la responsabilité pour des solutions difficiles mais uniquement possibles.
Maintenant, le gouvernement Primakov est amené à prendre des mesures au fond pareilles. Seulement, dans des conditions plus graves. Mais je ne tiens ni à accuser ni à justifier qui que ce soit. On n’attend pas cela de nous. Nous sommes le pouvoir, et nous nous devons d’agir.
Le pays fait face à des tâches très complexes. La première consiste à sortir de la crise, en sauvegardant toute la plénitude des libertés politiques et économiques. L’autre tâche, non moins importante, consiste à créer des pouvoirs nouveaux. Et, pour cela, à tenir dans la dignité, conformément à la Constitution et dans les délais prescrits par elle, les élections. Je garantis que ces élections seront honnêtes et propres. On n’arrivera à résoudre ces tâches sans atténuer les tensions sociales. Là, il importe de ne pas tromper les espoirs, de ne pas créer des attentes superflues. Le pouvoir a déjà beaucoup perdu en donnant des promesses de réforme facile et rapide. Nous n’avons pas réussi partout. Nous piétinons à mi-chemin entre l’économie planifiée de commandement et l’économie normale de marché. Nous avons maintenant un modèle hideux, un hybride des deux systèmes. Tous, aujourd’hui, la droite comme la gauche, veulent que la Russie devienne une puissance riche, que son peuple vive dans l’aisance. Par conséquence, il n’est pas d’accord sur l’essentiel.
Le moyen principal de parvenir à cet objectif est la compétitivité de la Russie, son prestige sur les marchés mondiaux. Donc toutes les démarches des pouvoirs doivent être appréciées du point de vue suivant: si ces démarches consolident, ou non, la capacité de pays de rivaliser avec d’autres Etats. La compétitivité, voilà la limite au-deçà de laquelle nous pouvons abandonner toutes les discussions, tous les désaccords. Il est insensé de faire du plan un épouvantail et du monétarisme, une panacée. Avec eux, on peut assainir le marché. Ou bien écraser l’initiative économique. Tout dépend de la façon dont on s'en sert. Par exemple, un plan imposé de haut est tout simplement pernicieux pour les régions. Une nouvelle centralisation ne fera que détruire les institutions économiques fragiles. Or le gouvernement est appelé à élargir, à élargir encore plus l’autonomie régionale. Rappelons-nous que pendant la crise d’août nos territoires s’étaient comportés de façon différente. Là, où les tensions avaient été atténuées par des mesures de marché, et non exclusivement administratives, on avait pu s'en sortir. Je suis absolument sûr que nous ne relèveront pas l’économie de la Russie que grâce aux efforts du centre. Là, il s’ouvre le terrain prometteur pour une entente avec les régions. Il existe une perspective constructive pour travailler avec les gouverneurs, avec l’auto-administration locale.
Les six mois qui se sont écoulés depuis est un délai considérable. Et la grande réalisation de ces mois est que notre dégringolade a été arrêtée. Evidemment, le mérite en revient à Evgueni Maximovitch Primakov. Maintenant, l’effort du gouvernement, surtout dans son bloc économique et financier, doit accéder à une étape foncièrement nouvelle. Six mois seulement restent avant les élections. Le temps qu’on ne devra pas utiliser que pour boucher les brèches. Il est urgent de confirmer les nouvelles priorités, dont la principale est la compétitivité économique de la Russie.
Ce sont les gens qui constituent le gage principal du succès. Nous nous devons de faire en sorte que leur énergies et leurs initiatives reviennent à l’économie.
C’est là notre pays, et c’est là où vivront nos enfants. Les gens ne doivent pas se sentir étrangers sur leur propre sol. Ils doivent être certains de la force de la loi, de la fermeté des règles économiques.
Tout cela est d’une importance capitale pour la nouvelle couche de la population russe, les hommes aisés qui veulent vivre comme des citoyens libres d’un pays libre.
C’est là, peut-être, notre essentielle ressource pour l’avenir.
Je me garderai d’évoquer les méthodes concrètes de solution des problèmes économiques. J’ai déjà exposé ma directive économique dans le message. C’est la base pour le travail du gouvernement.
Messieurs les membres de l’Assemblée fédérale,
Dès le début du prochain millénaire la Russie doit se situer au niveau des grandes puissances mondiales, édifier ses rapports avec elles sur le respect d’elle-même et sur le partenariat.
Si nous ratons à nouveau notre chance, personne ne sera en droit d’invoquer les difficultés de maturation. Et la porte de l’avenir se fermera pour toujours.
Non seulement les partisans mais aussi les adversaires endurcis des reformes s'en rendent parfaitement compte. Ils proposent leur propres recettes. N’empêche que leur discours soit nouveau. L’essentiel, c’est que leur pensée reste la même.
En économie, ils nous appellent à des plans directeurs. Dans la presse, à la censure. En politique extérieure, au retour de la "guerre froide", au refus de s’intégrer dans économie mondiale. Ils appellent à ce que les dirigeants régionaux soient nommés par le Centre.
Au fond, c’est un programme de revanche.
Il n’a qu’une alternative à cela: le corps politique russe doit être renouvelé. Et nous le ferons uniquement par le biais des élections générales. Nous ne permettrons pas de voler au peuple son droit essentiel, celui au choix.
Le balancier des préférences, dans une société démocratique, est en constant mouvement, de gauche à droite, et vice-versa.
Voici ma position: nous avons besoin de droite comme de gauche. Sans une opposition, toute société saine est impensable.
Mais il ne faut pas admettre que celle-ci agisse en dehors du cadre légal. Que l’opposition bascule le balancier au point qu’il atteint amplitudes dangereuses.
La faute est au pouvoir que c’est justement aujourd’hui que l’extrémisme lève la tête. Vous êtes au courant à quel point est faible notre base juridique, à quel point il est difficile de qualifier les sorties des voyous politiques.
Il existe un autre problème. Dès aujourd’hui, dans les élections régionales, le pouvoir se heurte à des manifestations purement criminelles. Aux sales procédés électoraux. A la concussion et à la tromperie non dissimulée des électeurs. Ce qui fait que les élections se transforment en farce.
Nous couperons court à la pratique pareille. J’espère obtenir du soutien auprès des gouverneurs, du Conseil de la Fédération, de la Douma d’Etat.
Dans toutes les régions, nous tiendrons des élections dignes.
Du haut de cette tribune, je déclare avec fermeté: aux élections de décembre, il n’y aura pas de "préférés". Il n'y aura ni de privilèges ni d’avantages. Il n’y aura pas de parti du pouvoir.
L’Etat et la société ne sont nullement menacés tant que la Constitution est respecté et que les élections se tiennent selon son calendrier.
Nous croyons en la sagesse du peuple de Russie et nous nous fions pleinement à son choix.
Je suis convaincu que des hommes honnêtes et non compromis viendront à la nouvelle Douma, non des patriotes professionnels mais des professionnels patriotiques.
Au seuil des élections, les discussions autour de la Constitution se sont de nouveau exacerbées.
Nous avons exposé notre position lors de la mise au point de la récente déclaration des pouvoirs. En pleine course électorale, il est dangereux de "toucher" à la Constitution.
Il est inadmissible de remanier la Constitution dans le dos de ceux qui viendront remplacer la Douma actuelle. Ils auront leur idées à eux, leurs propres raisons politiques. Accordons-leur la possibilité de décider eux-mêmes de l’opportunité des modifications à apporter à la Constitution. Et de décider, lesquelles.
Certes, il faut préparer le sol pour ce travail. Aussi tiendrons-nous des consultations avec la Douma et le Conseil de la Fédération.
Dans le cadre du travail sur la Constitution, nous débattrons des avantages et des inconvénients d’un gouvernement de majorité parlementaire. Ceci étant, nous tiendrons compte des expériences du cabinet en place, lequel, on le sait, est soutenu par la Douma.
Je suis partisan de ce que toutes les branches du pouvoir coopèrent plus étroitement.
Aujourd’hui, par exemple, au terme de la séance, à l’initiative de Guennadi Nikolaevitch Seleznev, nous tiendrons, avec les présidents des deux Chambres, une rencontre de travail. Il va de soi, nous nous pencherons sur le Kosovo également. Mais, essentiel, nous examinerons la façon dont nous pourrions mettre en oeuvre ce qui figurera dans le message, ainsi que la situation courante dans notre économie et en politique.
Messieurs les membres de l’Assemblée fédérale,
Chers invités, Ce n’est pas un hasard si le message est intitulé "La Russie à la charnière des deux époques".
Ce tournant n’est pas une simple succession de millénaires. C’est, dans toute la force du terme, un carrefour historique.
La nouvelle Russie n’est devenue possible que grâce à un choix de ses citoyens. Et ce ne sont eux qui auront à décider s’il faut avancer sur ce chemin difficile ou faire marche arrière.
Nous n’oublions jamais que notre pouvoir est issu de la volonté du peuple et doit servir ses intérêts. Mais nous avons oublié qu’en période de campagne électorale, il y avait eu un slogan appelant à lutter contre toutes sortes de privilèges. Nous avons oublié, ces derniers temps, cette promesse que nous avions pourtant donnée aux électeurs. Il faut que toutes les branches du pouvoir, y compris le président, reviennent sur cette question pour y mettre toute la lumière.
S’appuyant sur la Constitution, chacun, en Russie, est en droit d’exiger que lui-même, ainsi que ses droits légaux, soient respectés. Chacun est en droit, en se rendant aux urnes, de donner sa voix aux candidats responsables. Et de donner son avis sur leur probité et leurs facultés professionnelles.
Le peuple est en droit de contrôler le pouvoir et de lui tenir la bride haute par tous les moyens légaux.
Nombreux sont ceux qui croient que la Russie, affaiblie, n’a pas assez de forces pour régler ses propres problèmes. Et que, vu ceci, l’on pourrait ne pas compter avec elle.
Ils sont dans l’erreur. Aucune difficulté passagère n’est en mesure de reléguer la Russie au rang des puissances de second ordre.
Les difficultés ne briseront pas la nation, elles ne feront que la consolider. Elles aguerriront sa volonté et réconforteront son moral.
Le troisième millénaire est déjà à la porte! Avec lui, la Russie commencera à vivre dans une Nouvelle époque! Et je crois que cette époque sera celle de la Russie!
Moscou, le 30 Mars 1999