La scène : cf. croquis.
Un type d'allure excentrique fait les cents pas. Appelons-le "fou". On entend en fond sonore le speaker CAC 40 de france infos, égrenant son habituel cours de la bourse.
Soudain fou hurle : << Ce monde se lézarde ! il craquelle ! il fissure! ça s'effrite de partout... [il ramasse un mégot et l'allume (symbole de renaissance)]. Suivez-la fumée qui s'élève, le coup de fouet des spectres au milieu de l'univers néolibéral. Un éclair est couvé sous les moignons. Il y a vraiment de la diablerie dans l'air. [réf. aux damnés de la terre et spectre du marxisme] >>
Puis : << Lâchez-tout ! Lâchez votre boulot, vos sales habitudes, votre fric. Votre famille. Semez vos enfants au coin d'un bois. Partez sur les routes... >>
Un garde, en faction, qui l'interrompt : << HOPLA ! Où allez-vous comme ça ?
fou : << Où je vais ? Ou plutôt où aimerais-je aller ?>>
le garde :<< Je vois que nous avons a faire à un original. Gardes! >>.
Deux factionnaires postés devant une guérite acourrent à cet appel impérieux.
<< Oui chef !
<< Couvrez-moi...
Il examine l'excentrique. Sur l'écran géant, rushs mouvement des chômeur ( peut-être devant la nuée bleue, montrant le rapport de force d'abord en faveur des chômeurs puis l'arrivée des cars de CRS. )
Le garde s'écrie : << VOS PAPIERS ! >>
Fou rigole.
Le garde répète : << VOS PAPIERS ! >>
Puis, d'une voix d'automate :
<< Vous n'avez pas votre ticket !
Ceci n'est pas un titre de transport !
Vous êtes en infraction avec la loi binaire.
Vous avez enfreint la législation des transport marchands,
dont le code stipule une violation en cas de non assimilation de la
personne dite humaine avec un bien solvable ou d'échange fiduciaire,
un service rémunéré, ou une marchandise...
Ceci n'est pas un justificatif, c'est une carte de séjour
Comment ? vous êtes français ?
En ce cas, ça doit être un abonnement pour Döner Kebab,
mais en aucun moment... >>
Fond sonore ou en images : à voir
Fou lui tend une carte. Le garde reprend :
<< étudiant au Mac Do ? [ou autre]
et vous n'avez pas vos papiers ?
Mais alors, c'est d'une carte de crédit qu'il va falloir user
Veuillez me suivre
. . .
Fond sonore : " le protocole de pourparlers au Chiapas... "
Fou à l'air rétif.
Vous avez tout intérêt à nous suivre : nous sommes
trois,
nous n'hésiterons pas
nous avons un gourdin en poche
nous n'irons pas de main morte
nous avons une veste en cuir
quand nous ne travaillons pas, nous emmenons notre
femme
au restaurant
nous nous racontons des blagues de cul, pendant le
service
pour tromper l'attente
nous vous attendions, d'ailleurs
cela fait longtemps que nous n'avons plus eu personne à nous
mettre
sous la main
vous nous devez cent francs
ou quatre cent si vous ne payez pas de suite
ou quatre coups de gourdin, pour le Döner
Emmenez-moi ça !
Musique, harangue d'un dictateur en même temps que sur l'écran géant on voit s'adresser aux spectateurs un gros industriel, mais avec le fond sonore de... disons Pinochet [analogie entre capitalisme et autoritarisme, pensée unique (celle du marché), libéralisme et absence de liberté effective].
Les gardes remettent Fou à un personnage en blouse blanche et toque d'infirmier. Celui-ci, une fiche à la main, le martelle de questions :
<< Numéro de sécurité sociale ?
Numéro INSEE ? Numéro du poste de travail ? Dans l'équipe
de foot, quel est votre numéro ? Numéro de groupe sanguin
? Numéro de votre appartement ? Numéros gagnants du loto ?
Numéro de roulette russe ? Numéro ASSEDIC ? Numéro
magique ? Numéro de téléphone, numéro ?...
Fou demeure interdit. Soudain il se met à griffonner. Aussitôt, le personnage à blouse blanche élève la voix :
<< Commencez donc par remplir le fichier par le commencement! Ici, à droite de la case ss.
Puis : << Ah... vous savez écrire... En ce cas, passez-le moi
Il continue :
<< Dissident politique ? Marié ? Vivez-vous de piraterie ? Montant des allocations :...
<< ?
<< Il s'agit du nombre d'enfants. Nous devons savoir si vous procréez pour toucher une rente ou faire l'amour. Etes-vous vénal ou anal ?
A nouveau, fond sonore : cours de la bourse
<< ?
<< A moins d'être cardinal, ou de disposer de l'immunité pontificale, vous nous devez une réponse.
- Pourquoi ? La CAF se rebiffe ?
- Vous êtes de ceux qui ne fonctionnent pas comme il faut.
Sur l'écran géant : images Chiapas
Fou : << je n'comprends pas.
- C'est pourtant simple. Voyez-vous, il y a trois catégories de gens : ceux qui fonctionnent. Ceux qui fonctionnent mal. Et ceux qui ne fonctionnent pas comme il faut. Les premiers ne nécessitent aucun traitement spécifique, sinon les habituels barbituriques à la crème télévisuelle, titanic, voiture en service, géraniums au balcon. Ils sont heureux.
Surgit un rebeu de la ZUP, indigné : << Oh baltringue, j'ai pas d'géranium au balcon, moi !
L'infirmier : << vous avez du "nom scientifique du cannabis", c'est pareil.
- du quoi ?
- sachez que j'ai été à l'école jusqu'à 28 ans, pour...
- t'as dû redoubler pas mal de fois...
Irruption des gardes, qui saisissent et matraquent le zonard. Ils le ramènent dans sa banlieu.
Fond sonore : CAC 40, cours de la bourse
L'infirmier : << ces individus auraient dus être dépistés dès l'école primaire... où en étions-nous ?
Musique : slogan club med.
Il continue : << ah oui, au bonheur des masses...
Le téléphone sonne. L'infirmer : << Oui, monsieur le président, oui... un précaire... c'est entendu... il y a justement... >>
Il reprend, en direction de fou : << Seriez-vous prêt à répondre à une équipe de journalistes ? Dites leurs simplement ce que vous m'avez déclaré. Attention, vous n'avez pas le choix. Quant aux réponses, j'ai maintenant tout un dossier vous concernant. Je vous préviens, s'il n'y a pas concordance entre la dernière fois où vous faisiez l'amour et votre retard à l'usine... >>
Arrivent les journalistes qui, se méprennant, s'adressent au manequin qui gît sous les cartons.
Musique du 20h, TF1.
1er journaliste : << Monsieur... ou Madame ?... Qui donc vous a mis dans un état pareil. C'est pour le moins curieux...
2ème jounaliste : << il doit sûrement y avoir une bouteille de vieux pape quelque part...
1er journaliste : << tu crois qu'il parle ?
2ème jounaliste : << il est complètement bourré. Ca fait la fête la nuit, et en journée, ça roupille...
1er journaliste : << encore un illéttré...
Fond sonore : "le CAC 40... cours de la bourse
1er journaliste : << de toute façon, il n'a ni quarante ans, n'est pas en fin de droits, et par dessus le marché il ne cherche pas de boulot. Pas de gosses à nourrir, non plus.
2ème jounaliste : << Vous n'avez pas trois enfants, monsieur ? Votre femme ne vous a pas quitté ?
1er jounaliste : << Appelles Bouygues... il nous faut un chômeur qui demande les 35h. >>
Pendant ce temps fou et "l'infirmier de minuit" ont assisté à toute la scène.
Fond sonore : manif de ralliement au gouvernement [france info qui veut faire des 35h un soutient à la politique gouvernementale].
L'infirmier interpelle les reporters : << Ohé, Messieurs ! Par ici
Les journalistes entament l'interview, mais guère satisfaits, décrètent qu'il doit s'agir d'un gauchiste inoffensif tant qu'il s'en tient au rêve, sinon dangereux. << Ce n'est pas notre homme... >>
Fou, égosillé : << Arrêtez ! vous m'étouffez. >>
Fond sonore : "Rigueur financière. Produire, vendre consommer. Détruire. Produire. Consommer. Soyez réalistes : le redressement budgétaire est la seule issue."
Fou : << Non !! Non ! >> [devrait suggérer un autre redressement, humain]
On l'emmène. Deux gardes l'immobilisent. Il gueule.
Bruitages bizarres (cf K7 Artaud).
Encore un râle de fou : << démocracie... >>
L'infirmier tient maintenant une perçeuse en main, qu'il braque sur la tête de fou. << Coupez ! >> crie-t-il aux journalistes.
La lumière s'éteint.
Fond sonore : "Les nains de jardin cette année sont encore plus resplendissants... "
Gong (cf. K7)
" Vous délirez, Monsieur... "
"L'infirmier de minuit distribue le cyanure..." (Thiéfaine)
Les bourgeois attablés continuent de manger tranquillement.
CAC 40, cours de la bourse
Fin de la pièce.
Rem : il n'apparaît peut-être pas clairement qu'il faudrait jeter des ponts entre les luttes, mais le fait de faire allusion aux chômeurs, aux sans papiers, aux jeunes des cités, aux zapatistes, aux masses endormies, tout cela martellé par un intransigeant cours de la bouse qui monte, l'emprise des financiers et industriels, qui détiennent aussi les groupes de presse et vous assomment de leurs informations dortoires ou de nature à louer leurs projets (tout va pour le mieux, même pour vous, il faut de la rigueur, la réalité, c'est l'économie, on ne dispute pas la politique des investisseurs...) montre quand même que le monde, même s'il ne se rebelle pas, est loin d'être heureux. Peut-être n'arrive-t-il pas à mettre un nom sur ce qui l'oppresse - manque de lucidité, de conscience politique, car la tactique des dirigeants est suffisamment insidieuse. J'aimerais ne pas avoir à dire: << unissez-vous ! >>, pour que cela vienne tout seul, autant comme une "évidence" que comme une issue du combat. Fight together! Résistons !
La blouse blanche représente le "soin mental" (après la répression: rééducation, programmation de la cervelle comme d'un fichier informatique) ; quant au questionnaire, c'est le symbole de tout organe de contrôle (police, ASSEDICS, contrôleur bus, tram, train, formulaires en tout genre... ). A partir du moment où fou est appréhendé par les forces de l'ordre et remis à la flicaille tous genres confondus , on ne lui laissera plus en placer une. C'est comme si l'on répondait à sa place (réf. aux journalistes qui vous font dire ce qu'ils aimeraient entendre... )
Comment faire comprendre aux gens que pendant que les infos parlent de dow jones et vous servent leur soupe de comptables, il se passe des choses ailleurs, en opposition avec tout ces chiffres que l'on veut rendre incontournables ainsi que le modèle qu'ils servent ? Car l'idéologie néolibérale est un putain de modèle totalitaire qui nous bassine de sa pensée de marché - << voilà comment il faut être... >> - et nous envoie ses chiens de garde lorsque cette pensée est mise en doute par une autre. Le néolibéralisme n'admet d'alternative que si elle lui est profitable. La libre expression ne vaut que si l'on courtise ses maîtres, comme tous ces intellos-journalistes-économistes... à la mords-moi-le noeud qui prisent leurs faveurs. On verra cela dans le film de 26min qui suit. Une enquête d'autant plus pertinente qu'elle est impertinente, réalisée par Pierre Carles.
Conscient que toutes mes notes entre crochet ou parenthèses ne sont que vulgarisation pour toi, une dernière remarque, puisqu'il faut bien parler : ne pourrait-on glisser, lorsque les deux journalistes interrogent le sdf avachi, un : << mais comment allez-vous faire pour vous relever ? >>, suggérant par là que seule l'union avec les autres laissés pour comptes, proscrits et baisés du néolibéralisme ( qui finalement sont beaucoup plus nombreux que leurs préjudiciaires(), puisque la grande majorité, même si elle l'ignore, se fait exploiter par une minorité aux revenus pharaoniques) redonnera forme humaine au monde. Finalement, la masse, c'est peut-être tout ce qui n'est pas l'oligarchie dirigeante...
Encore un point : on pourrait peut-être faire mention de l'environnement, des irréversibles dégâts causés à l'écosystème.
Un dernier alinéa : le silence. Taire une chose en dit long sur
ce qui est caché. Ne pourrait-on trouver une citation de ce genre
qui montre que l'actualité ne se fait pas par les directeurs de chaînes
ou d'AFP, mais partout dans le monde à tout instant, même si
elle est occulté, avant d'enchaîner sur le film censuré
à propos de la censure. La lutte continue!