Edgar Jansen

par

André Decotter

 

IL Y A EU cinquante ans le 27 janvier dernier qu'est mort Edgar Janson. Cet anniversaire a passé inaperçu comme passe inaperçu l'anniversaire de la mort de tous ceux dont la vie a été un exemple d'effacement et de modestie. Janson est celui de nos écrivains dont on parle le moins. Peut-être, justement, en raison de la discrétion dans laquelle sa vie s'est écoulée; peut-être, aussi, parce qu'il a peu produit en librairie et que la plupart de ses écrits, éparpillés dans les revues et journaux auxquels il collaborait, sont peu conus aujourd'hui.

Toujours est-il que, autant que les autres écrivains de son temps, il avait le don de s'exprimer dans une langue claire, précise, apprise chez les grands auteurs du XIXe siècle à qui allaient ses préférences. Il avait, en outre, un don d'observateur aigu et une sensibilité profonde qui donnaient à ses écrits un caractère émouvant en même temps qu'un ton de vérité qui en font des pages de choix.

Mais quel genre d'homme était Edgar Janson? Voici comment nous le dépeint un chroniqueur de la revue L'ESSOR dans son édition au 15 février 1927 : "Sa voix chaude nous disait le réconfort et la jouissance intellectuelle que procure le culte des belles lettres et de tout ce qui est beau en général. Car il était, plus que tout autre, un épris d'art dans toutes ses manifestations. Statues, livres, tableaux, exécutions musicales faisaient ses délices."

Un esthète, en somme, mais un esthète que rien de ce qui est humain ne laissait indifférent. Il entra au Cercle Littéraire de Port-Louis, haut lieu de culture des hommes de son temps, en 1924 et le jour de sa réception il prononça un discours qui fut considéré comme un morceau d'art oratoire de haute qualité. Il était, alors, journaliste au RADICAL après avoir été le collaborateur d'autres journaux où il publiait des chroniques sous des pseudonymes divers. L'année précédente, il avait été le lauréat du concours annuel du Cercle Littéraire, et le jury qui comptait parmi ses membres trois éminents écrivains, Léoville L'Homme, Henri Robert et Clément Charoux, devait rendre un hommage particulier à son talent et souligner le fait que, journaliste militant, il appartenait au groupe des écrivains les plus appréciés du pays.

Le cercle littéraire avait choisi, cette année-là comme sujet de son concours Un type de Mauricienne et Janson avait fait le portrait d'une de ces vieilles nénènes qui, à force de dévouement et de fidélité, finissent par s'intégrer à la famille comme s'intégra à la famille de Madame de la Tour la négresse Marie de Paul et Virginie. Il dépeint la vieille femme 'créole' en traits tellement attendris qu'on ne peut s'enpêcher, dans la contemplation de cette peinture, de sentir fondre en soi de merveilleux souvenirs d'une enfance retrouvée.

Il y a, dans le style de Janson, le souci de la sensibilité et de l'élégance tout à fait dans la tradition de ses maîtres. Ce besoin de recherche se retrouve, d'ailleurs, dans la plupart de ses écrits, chroniques et poèmes. Son style est celui d'un homme dans la pleine maturité de l'âge - Janson vint très tard aux lettres - et l'on comprend à la lumiêre de la vie traversée d'épreuves qui fut la sienne, que le sens de l'humanisme se soit développé chez lui en un sixième sens indispensable à une saine optique du monde qui l'entourait. Il ne pouvait pas ne pas trouver dans le spectacle quotidien la réponse à ce qui sollicitait en lui l'éveil d'une vocation qui, pour être tardive, n'en fut pas, moins riche de découvertes et de satisfactions. Ainsi, n'hésita-t-il pas, à l'âge de soixante-deux ans, à se mesurer à de plus jeunes que lui dans une compétition littéraire qui était, alors le test suprême pour consacrer le talent de nos écrivains. Rivet, qui a prononcé son éloge funèbre en termes magnifiques, rappelait qu'il "daigna même être heureux et fier de l'hommage (fait) à son mérite lorsqu'il sortit vainqueur du concours."

J'ai parlé de la sensibilité et de l'élégance de son style. Relisons Le marchand de moutailles, par exemple, ou Notre vieux Port-Louis:

 

"Le Vieux Port-Louis, si pittoresque, qui résistait à

l'envahissement des faubourgs, je l'ai connu, j'y ai

passé mon enfance. Je ne m'interdis pas de l'aimer.

J'aime son soleil, son marché, ses places, dont quel-

ques-unes évoquent l'histoire, sa vieille cathédrale si

pleine d'ombres du passé, son clocher qui chante les

dimanches, de sa voix sonore, l'appel aux fidèles; son

Champ de Mars qui est pour l'étranger une surprise

ravissante, orné à l'est de collines et de montages, et

d'où la vue s'étend jusqu'à la mer, son cimetière où

reposent tant de générations et où, au milieu de la

solitude des tombes, nous vivons par la pensée avec

ceux que nous avons vénérés et aimés."

 

J'ai transcrit ces extraits pour le plaisir de les transcrire et pour montrer aussi combien sa manière d'écrire avait su s'imprégner de cet esprit classique dont il était épris. Janson trouvait, dans la clarté du style, le don suprême de s'exprimer. Il l'avait appris chez les prosateurs et les poètes français du XIXe.

Il est dommage que son oeuvre ne soit pas plus abondante, car il était, incontestablement, un bon écrivain, un de ceux qui font honneur au métier d'écrire lequel réclame de ceux qui le pratique non seulement de fréquentes prises de conscience mais une fermeté d'écriture faite, avant tout, de sincérité et de probité.

Je n'ai pas connu Janson. J'étais trop jeune alors. Mais je me souviens qu'il m'arrivait, lorsque mon père rentrait de son travail, de me précipiter pour lui prendre LE RADICAL dont il était un lecteur assidu. Certaines chroniques alimentaient ma jeune passion pour les lettres. C'étaient, ai-je besoin de le dire, celles de Janson.

 

(L'EXPRESS, 2 juin 1997)

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