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Pour Jacques Marquet, sociologue à l'UCL, le mariage homosexuel constitue d'abord une reconnaissance. Qui s'inscrit dans l'évolution actuelle des liens individuels.
ENTRETIEN
La Belgique vient donc de reconnaître le mariage homosexuel. N'existe-t-il pas une certaine contradiction dans le chef des gays et des lesbiennes de vouloir accéder à une institution qu'ils ont souvent décriée?
Dans les années 60-70, la dominante dans les mouvements gays et lesbiens était de critiquer la famille - et notamment le modèle patriarcale - et les institutions. Ce vent contestataire n'était d'ailleurs pas le seul fait de cette communauté. Aujourd'hui, le ton a encore changé, ce qui ne veut pas dire pour autant qu'il existe une homogénéité dans le mouvement gay et lesbien. Au sein de cette population, certains groupes s'opposent toujours au mariage et estiment que d'y accéder participe d'une forme de récupération.
D'une manière générale, le mariage paraît pourtant une institution en perte de vitesse...
Les revendications pour un accès au mariage, à la famille n'ont rien à voir avec celles qui auraient pu exister dans les années'60. En plus de 40 ans, l'institution a connu une transformation considérable, on a assisté à une privatisation du mariage. Les individus se sont appropriés une institution collective pour la transformer en un acte de volonté individuelle qui repose sur le sentiment amoureux. Il était pratiquement immanquable que les couples gay et lesbiens revendiquent l'accès à une institution telle que nous la connaissons aujourd'hui.
Néanmoins, on a le sentiment que cette revendication cache d'autres aspirations...
C'est clair que le mariage homosexuel répond aussi à une forte attente de reconnaissance sociale, à une demande d'égalité. Le mouvement gay et lesbien appréhende le mariage sous le prisme de la discrimination sociale, leur en autoriser l'accès constitue une reconnaissance importante. Le mariage demeure un facteur de `normalisation´, même en perte de vitesse et à une époque où le divorce touche un couple sur trois.
Le législateur a autorisé le mariage homosexuel mais sans les droits de filiation et d'adoption. Peut-on encore parler de mariage?
La loi fige le rapport de force qui existe à un moment donné entre des groupes. Nos représentants ont procédé à une évaluation des rapports de forces en présence et n'ont pas retenu la proposition initiale qui prévoyait la filiation et l'adoption. Mais, je crois qu'il faut s'attendre à ce que dans le futur l'on revienne sur ces deux aspects. Cela étant, le mariage homosexuel - dans sa facture actuelle - s'inscrit parfaitement dans l'évolution sociologique. Depuis une quarantaine d'années, notre société travaille à organiser la tension entre lien parental et lien conjugal. Il est désormais communément admis qu'il vaut mieux un bon divorce qu'un mauvais mariage tout en reconnaissant que les parents ont une responsabilité à vie à l'égard de leurs enfants. Bref, le couple parental ne recouvre plus systématiquement le couple conjugal.
La procréation et les références biologiques qui en découlent constituent néanmoins des valeurs cardinales du mariage...
La question du lien biologique a toujours connu des mouvements de balancier dans nos sociétés. Aujourd'hui, le lien social - celui qui élève - prime sur le biologique. Cependant, en Suède, un donneur de sperme a été condamné en première instance à payer une pension alimentaire...
Le mariage homosexuel constitue-t-il un `danger´ pour la cellule familiale traditionnelle?
Cela fait belle lurette qu'il y a eu des coins dans la cellule familiale traditionnelle. La figure du père détenteur de l'autorité a pris du plomb dans l'aile, la famille de 1960 n'a rien à voir avec celle du XVIIIième siècle. La procréation médicale assistée, la contraception, autant d'innovations technologiques qui ont fait évoluer la famille - car sous une forme ou une autre, elle a toujours existé - en profondeur.
Pensez-vous que le législateur soit en phase avec la société?
C'est certains que le législateur devra veiller aux conséquences de sa loi, qu'il ne s'agisse pas d'un marché de dupe. Des couples homosexuels ont déjà dit qu'ils allaient se marier sans l'annoncer sur leur lieu de travail par peur de subir des discriminations. Le mariage homosexuel ne va pas d'un coup apaiser les craintes et faire sortir certains gays et lesbiennes de leur placard. On ne change pas une société avec un décret, mais ce dernier reste un indice de changement.
© La Libre Belgique 2003
Savoir plus
`Ça ne gâche pas notre joie!´
Porte-parole du mouvement holebi (pour homosexuels, lesbiennes
et bisexuels) en Flandre, Anke Hintjens qualifie le vote, jeudi
à la Chambre, de l'ouverture du mariage aux couples homosexuels,
`de très important´ dans l'histoire du mouvement
homo. `C'est une grande joie: l'ouverture du mariage va signifier
beaucoup pour l'acceptation sociale des couples gays et lesbiens.
On est très très contents que la majorité
arc-en-ciel ait suivi l'idée d'une égalité
des droits´. Raison pour laquelle les holebi's tenaient
au terme `mariage´ ? `Oui, tout à fait. Il y a
eu une discussion pour savoir s'il ne fallait pas plutôt
un partenariat enregistré. Mais nous estimions que c'était
un peu stigmatisant de donner un autre nom qui signifierait autre
chose alors que pour nous, ce n'est pas différent. Nous
préférions dès lors le mot mariage´.
La loi belge ne met pourtant pas sur le même pied mariage
hétérosexuel et mariage homosexuel puisque le second
n'ouvre pas de droits en matière de filiation ou d'adoption.
`On trouve vraiment que c'est dommage´, répond
Anke Hintjens. On regrette qu'à cause d'un veto du MR
on n'ait pas eu le droit à la parentalité. C'est
vraiment regrettable qu'on ait introduit cette discrimination.
Mais ça ne doit pas gâcher notre joie...´.
La communauté homosexuelle se dit confiante de voir s'ouvrir
ce débat-là très bientôt. `Parce
qu'on n'interdit pas aux gays et lesbiennes d'adopter, mais aux
couples homosexuels d'adopter. Les homos célibataires pourront
toujours adopter! On est donc dans une situation illogique. Ça
ne tient pas: il faudra régler cette question.´
Ceux qui s'opposent à l'adoption par des couples homos
ne se rendent pas compte qu'il y a déjà actuellement
des enfants dans les couples gays et lesbiens, dit encore Anke
Hintjens. (An.H.)