Euthanasie

Sommaire

 

Aller simple pour la Suisse

Euthanasie: légale, pas légale?

Soins palliatifs ...


Aller simple pour la Suisse


Des étrangers viennent en Suisse pour mourir. Atteints d'une maladie incurable, ils mettent fin à leurs jours, assistés par Dignitas ou Exit. Les Suisses aussi. Chaque année, ils sont plus d'une centaine à commettre un suicide assisté. Les Romands découvrent cette pratique. La Suisse ira-t-elle jusqu'à dépénaliser l'euthanasie active directe? Au Parlement, le débat est lancé. Essentiel.

Marie Abbet - Le 3 août 2000

Maria Ohmberger veut mourir debout. Sans se cacher, sans avoir honte. Et tant pis s'il faut quitter Elzach, son village de la Forêt-Noire. En septembre dernier, elle traverse la frontière allemande, une dernière fois. Direction la Suisse, terminus Zurich. Le 1er octobre 1999, elle se suicide dans un immeuble proche de Goldbrunnenplatz. L'appartement, loué par Dignitas, est destiné aux étrangers qui souhaitent en finir. Dans l'unique chambre, un mobilier rudimentaire: une table ronde en plastique, quelques chaises dépareillées et un lit électrique, décoré de peintures paysannes. Par la fenêtre, Maria Ohmberger admire le ciel zurichois. Enfin une belle journée d'automne, après des jours de pluie. Elle est prête. A ses côtés, Erika Luley, la bénévole de l'association Dignitas, qui fournit le poison. Le fils de Maria, venu exprès de Russie. Et Sybilla, la cadette, si énergique malgré une sclérose en plaques. Ne manqué que Eberhard, son gendre.

Lui pensait qu'elle tiendrait jusqu'au samedi. Elle ne veut plus attendre. A 61 ans, Maria Ohmberger est un «cloaque». Rongée par le cancer, elle souffre de «pourrir de l'intérieur». Pendant un quart de siècle, elle a cru avoir surmonté un cancer du col de l'utérus. Jusqu'à ce jour de l'année passée, où, suite à une opération bénigne ­ hernie et calculs rénaux ­ les médecins découvrent des métastases. Ils renoncent à enlever l'utérus, une partie de la vessie, à mettre un anus artificiel. Trop tard Sereine, Maria plaisante, déguste un porto. Elle tient à changer ses couches, se maquille, se parfume. Pas question que les pompes funèbres helvétiques soient incommodées par de mauvaises odeurs. Elle enfile une chemise de nuit turquoise, embrasse ses proches. Puis, soutenue par son fils et Erika, le visage tourné vers le mur, elle avale le poison. Debout. Les enfants la déposent sur le lit. Elle a juste le temps de soupirer: «C'est beau de mourir ainsi.» Sur sa joue droite, une larme. Encore cinq minutes et Maria Ohmberger a fini de souffrir.

Une île en Europe

Le 4 mars dernier, dans ce même appartement, un Allemand de 85 ans mettait fin à ses jours. Un destin différent, une même sortie de secours: la Suisse. Dans son pays, chacun doit se débrouiller tout seul. Se jeter sous les roues d'une locomotive ou se lancer du cinquième étage. La loi allemande tolère l'assistance au suicide, à condition que l'on prévienne les premiers secours pour sauver le mourant La loi anglaise, de son côté, a condamné à une peine de prison ferme un citoyen compatissant. Un verdict confirmé ensuite par la Cour européenne des droits de l'homme, à Strasbourg. Idem pour la Suède, l'Espagne ou l'Autriche. En matière d'aide au suicide, la Suisse est un îlot juridique, une exception au cur de l'Europe, au cur du monde. Les associations qui pratiquent cette assistance agissent donc dans la légalité. Elles se fondent sur l'article 115 du Code pénal: l'aide au suicide sans motifs égoïstes n'est pas condamnable.

Dans son bureau de Forch, près de Zurich, Ludwig A. Minelli précise: «Pour l'instant, nous n'avons accompagné à la mort que deux étrangers. Et sur 400 membres, seul huit n'habitent pas en Suisse.» Pas question donc, pour le secrétaire général de Dignitas, de prôner un tourisme létal: «Nous ne faisons pas de publicité. Mais je trouve important de louer un appartement pour ceux qui ne veulent, ou ne peuvent pas, mourir chez eux.» Son espoir? Que l'opinion publique allemande se mobilise pour changer la loi: «Je suis sûr que cela ferait école.» L'avocat Minelli a fondé Dignitas en 1998, après avoir claqué la porte d'Exit Suisse alémanique. En deux ans, cette dernière a perdu 10 000 adhérents, suite à différents scandales qui ont défrayé la chronique. Riche de 51 500 membres, dont 350 à l'étranger, elle reste la plus grande association du genre. Sur le nombre d'étrangers accompagnés chaque année, Elke Baezner, présidente d'Exit alémanique, se montre vague: «C'est rare. Nous n'avons en tout cas pas de lieu réservé à cet effet.»

Quelques mois ont passé depuis la mort de Maria Ohmberger. Sybilla et Eberhard n'ont jamais regretté leur soutien. Difficile d'accompagner sa mère au suicide? «Cela dépend! s'exclame Sybilla. Nous voulions la garder le plus longtemps possible. Nous avons dû apprendre à la laisser partir. Qui souhaiterait vivre dans cet état?» Sybilla a eu le temps de lui dire au revoir, de se faire raconter l'histoire de son grand-père, de sa famille. Elle se souvient avec émotion de la dernière semaine passée en Suisse, chez Erika Luley. «Une femme exceptionnelle.» Elle se souvient des échanges et des fous rires. Sybilla tire aussi son chapeau à la police zurichoise: «Ils se sont montrés exemplaires, compréhensifs. Pas une question de trop, pas une de pas assez.»

Il faut dire que la police connaît la procédure. Pour devenir membre de Dignitas ou d'Exit, nul besoin d'être malade. Pour recevoir le natrium pentobarbital, en revanche, les règles sont strictes. Comme l'explique Ludwig A. Minelli: «Il faut souffrir d'une maladie incurable, être en possession d'un certificat médical prouvant que l'issue est fatale et obtenir une ordonnance pour le médicament.» Une ordonnance que de plus en plus de médecins de famille acceptent de rédiger. A cela s'ajoutent de nombreux entretiens, afin que l'accompagnateur puisse s'assurer du profond désir d'en finir. Le malade doit aussi signer une déclaration de mort volontaire. Libre à lui, ensuite, de ne pas porter à ses lèvres le breuvage mortel.

Morts suisses sur ordonnance

Ce breuvage, plus d'une centaine de Suisses décident aussi, chaque année, de l'avaler. Un chiffre stable, qui ne concerne en fait que la Suisse alémanique. Exit ADMD Suisse romande (Association pour le droit de mourir dans la dignité), 8000 membres, n'a jamais tenu de statistiques. Et pour cause. Pendant des années, elle s'est contentée de fournir à ses membres un «guide d'autodélivrance», sorte de mode d'emploi du suicide en dix leçons. Et de pratiquer un intense lobbying politique. Rien, en revanche, n'était prévu pour les patients: ni suivi, ni soutien, ni présence réconfortante. Mot d'ordre implicite:
«Débrouillez-vous!»

Depuis quatre mois, tout a changé. Le docteur Jérôme Sobel, spécialiste ORL, vient de prendre la présidence de l'organisation. Et il ne mâche pas ses mots: «En fait, il y a eu quelques assistances au suicide. Elles n'ont simplement pas été déclarées. Ces temps sont révolus.» La justice romande n'est pas encore familiarisée avec Exit. Jérôme Sobel préfère donc annoncer au juge d'instruction la date des suicides. «Je sais, c'est un peu comme de signaler qu'on passe au feu vert.» Jérôme Sobel a aussi décidé de mettre sur pied un veritable accompagnement. Aucun doute, la demande existe. En quatre mois à peine, une dizaine de Romands se sont ainsi donné la mort. Et une vingtaine d'autres sont en attente. Pas question, en revanche, d'accepter les étrangers. Pour une raison pragmatique: «Exit Italie voulait nous envoyer ses membres en fin de vie. Ce n'est pas pensable. Nous ne sommes pas une usine.»

Le suicide, Ludwig A. Minelli le confirme, ne saurait être une fin en soi: «Quand nous pouvons offrir une alternative à la mort, nous le faisons.» Riccarda*, 55 ans, peut en témoigner. Depuis trois ans, cette Soleuroise est suivie, toujours à titre bénévole, par une accompagnatrice de Dignitas. Ancienne journaliste, elle est atteinte d'une tumeur au cerveau. Inopérable. «Il y a trois ans, je me suis réveillée muette.» Traitée par radiothérapie, cette mère de deux grands fils a retrouvé l'usage de la parole. «Pour combien de temps? J'ai l'impression de vivre avec une bombe à retardement dans le cerveau.» Elégante, en pantalon et pull noir, elle précise: «Cela me rassure de savoir que suivant la déchéance qui m'attend, j'aurai une sortie de secours.» Avant de murmurer, inquiète: «Pourvu que je puisse encore avaler.»

Le tabou brisé
Réussir à tenir un verre, à avaler. Réussir, au moins, à tourner le robinet d'une perfusion. Des gestes simples, qui, pour certains tournent à l'obsession. Au cauchemar. Dignitas ou Exit peuvent préparer la solution de natrium pentobarbital. Mais le malade doit accomplir seul le geste fatal. Dans le cas contraire, l'assistance au suicide se transforme en euthanasie active directe. En meurtre. Euthanasie, le mot même est tabou. La «mort douce» a des relents sulfureux de violence, de solution finale et de péché mortel.

«On préfère se convaincre que la mort est rapide ou sans douleur. Et pourtant, c'est fin de la vie», s'indigne Franco Cavalli. Le conseiller national socialiste sait de quoi il parle. Quand il ne fait pas de politique, le Tessinois est un oncologue réputé. En septembre, il lancera une initiative parlementaire visant à dépénaliser, dans des cas extrêmes, l'euthanasie. En ajoutant un alinéa à l'article 114 du Code pénal, l'acte resterait illicite, mais non punissable. Une manière, pour Franco Cavalli, de faire pression sur le Conseil fédéral.

Depuis des années, celui-ci essaie de botter en touche cet épineux sujet. En1994 déjà, le conseiller national Victor Ruffy (PS) avait lancé une motion allant dans le même sens, transformée en postulat. Il faut attendre mars 1997 pour qu'un groupe de travail «Assistance au décès» soit enfin mis sur pied. Pendant trois ans, des spécialistes du droit, de la médecine et de l'éthique cogitent, confrontent leurs points de vue. Leurs conclusions prennent le Conseil federal au dépourvu. A une faible majorité, ils se prononcent pour une dépénalisation, dans des cas extrêmes, de l'euthanasie active directe. Même Alberto Bondolfi, docteur en théologie et membre de l'Institut d'éthique sociale de Zurich, vote ce sens. En juillet dernier, le Conseil fédéral pond un rapport, qui prend en compte la position des Eglises réformées et du pape ­ du jamais vu ­ et qui décide en
gros de ne rien décider. Bref, il renvoie la balle à l'Assemblée fédérale, qui peut «discuter du problème». Mais pour la première fois, le Conseil federal reconnaît que «problème» il y a. Le tabou est brisé.

L'éthicien catholique Alberto Bondolfi n'a aucune peine à défendre sa position: «L'article 114, dans sa version actuelle de 1942, n'a été appliqué qu'une seule fois. Je suis convaincu que plus d'un Suisse a été tué à sa demande.» Ajouter un alinéa ne serait donc qu'un effort de sincérité: «On sait que cela existe. Le pourcentage de patients qui réclament l'euthanasie est minime, l'Etat pourrait au moins maîtriser le phénomène.» Modifier le Code pénal permettrait en outré d'éviter une initiative populaire, qui ancrerait l'euthanasie dans la Constitution.

Aux arguments politiques et juridiques, certains opposent des arguments éthiques, voire religieux. Toute vie est sacrée. Un pasteur neuchâtelois avoue pourtant son désarroi: «Confronté à un cas concret, je donnerais peut-être le poison libérateur.» Pour la première fois, il vient d'assister à un suicide accompagné par Exit Suisse romande: «Je ne cautionne pas cet acte, précise-t-il. Par ma présence, je voulais signifier à ma paroissienne que l'amour de Dieu ne lui était pas enlevé. Il n'y a pas de rédemption par la douleur.» Les prêtres, en revanche, sont aux abonnés absents. Alberto Bondolfi: «Si un milieu a de la peine avec la mort, c'est bien le milieu ecclésiastique. Les prêtresn'arrivent plus à s'identifier avec la vision sacrée d'autrefois, mais ils n'ont pas de scénario de rechange.»

D'autres, à l'instar de Cécile Ernst, rétorquent par des catégories psychiatriques. La Zurichoise, qui a corédigé les directives de l'Association suisse des sciences médicales ­ le code de déontologie des médecins ­ a un avis tranché: «Le désir de suicide intervient dans une crise qui pourrait se résoudre autrement.» L'Etat se doit donc de protéger le malade contre lui-même. Pire, le suicide est une «maladie contagieuse», qui risque de toucher l'ensemble de la société. La psychiatre zurichoise est en outre convaincue que les douleurs physiques sont maîtrisées par les soins palliatifs: «Donc tolérer un meurtre, même sur demande, c'est la porte ouverte à tous les dérapages.» Ces arguments, Jérôme Sobel les balaient d'une main agacée: «C'est la clandestinité qui ouvre la porte à tous les dérapages. Et d'ajouter, cinglant: Ce qui compte, c'est le souhait et la liberté de conscience du patient.»

Aucun Etat, y compris la Hollande, n'a à ce jour dépénalisé l'euthanasie active directe. Le débat aux Chambres fédérales, en septembre prochain, sera donc passionné. D'autant plus passionné que l'euthanasie renvoie chacun à sa propre finitude. Certains veulent mourir debout. Et vous?

*Prénom fictif

 
 
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Euthanasie: légale, pas légale?

Euthanasie active directe: homicide intentionnel dans le but d'abréger les souffrances. Punissable, même si la victime l'avait souhaitée (art. 114 du Code pénal). En septembre, Franco Cavalli lancera une initiative parlementaire visant à dépénaliser le meurtre sur demande dans des cas extrêmes (maladie incurable, souffrances intolérables).

Euthanasie active indirecte: administrer, pour soulager les souffrances, des substances, dont les effets secondaires peuvent réduire la durée de vie. Pas réglée par le Code pénal et admise par l'Académie suisse des sciences médicales (ASSM).

Euthanasie passive: renoncer à mettre en uvre ou interrompre des measures de maintien de la vie. Pas réglée par la loi et admise par l'ASSM.

Assistance au suicide: seul est puni celui qui s'y prête pour des motifs egoists (art. 115 du Code pénal). Dignitas et Exit fournissent à leurs members incurables du natrium pentobarbital, une substance mortelle. Pas admise par l'ASSM.

«Certains disent que je suis l'ange de la mort» - Erika Luley, Dignitas

Port de tête altier, teint bronzé de ceux qui vivent au grand air, Erika Luley traverse la foule. Elancée, lumineuse, sereine. «Certains patients disent que je suis l'ange de la mort.» Elle a aidé des dizaines de malades incurables à se suicider.

Cette Zurichoise, née d'une mère jurassienne, a pris sa vie en main à 34 ans, après un divorce et deux enfants. Elle enchaîne une formation d'infirmière et d'assistante sociale. Pendant quinze ans, elle travaille en psychiatrie et auprès de cancéreux en stade terminal. «Je ne pouvais plus supporter le regard de certains malades. Je me sentais impuissante.» Elle change de travail, dirige un home pour malades mentaux et s'engage dans l'assistance au suicide.

Bénévole chez Exit, puis chez Dignitas, Erika Luley a appris à écouter, à se taire: «La prise en charge est prioritaire. Actuellement, je soutiens cinq patients, certains depuis des années.» Tous ne choisiront pas le suicide. Des visages se bousculent dans sa tête. Surtout ces jeunes, qui n'ont pas eu le temps de réaliser leurs rêves. Chaque mort est différente, la procédure reste la même. Vérifier les documents. Certificat du médecin, ordonnance, declaration de suicide, tout doit être en règle. Donner au malade un antivomitif, avant le pentobarbital, dissous dans de l'eau. «Personne ne s'en va facilement. Mais les gens sont prêts, ils souffrent tellement. Je leur dis au revoir, jamais adieu.»
Tenir le procès-verbal. «En trois à cinq minutes, le malade s'endort dans un coma profond. Quelques dizaines de minutes, et c'est la mort.» Composer le 117, attendre l'arrivée de la police et du juge d'instruction, entourer la famille présente, avant de s'éclipser.

Chaque accompagnement la laisse vidée, épuisée. Elle marche alors pendant des heures, déguste un verre de vin. Erika est contre l'avortement, contre l'assistance au suicide de cas psychiatriques. Elle adore la vie, le cinéma, l'opéra, les balades en forêt. Elle profite de chaque instant, de ses amis, de ses enfants, de son petit-fils. A 57 ans, elle s'est confrontée avec sa propre fin. Elle sait déjà qu'elle aura de la peine à lâcher prise: «Devant la mort, nous sommes tous des néophytes.» M. Ab.

«Je ne suis pas un robot auquel on change une pile»
Catherine*, 46 ans

Témoigner. Comme on lancerait une bouteille à la mort. Dire les douleurs et le désir d'en finir. Parler pour les silencieux, les muselés, «pour tous ceux qui se taisent». Catherine y tenait. Elle souffre d'une maladie incurable, qui torture son corps depuis huit ans. Elle va mourir, demain ou dans trois mois. Membre de Dignitas, elle choisira le lieu et l'heure. Quelque part, dans une armoire fermée à double tour, une dose de natrium pentobarbital attend sa décision. Son accompagnatrice Erika Luley ne se dérobera pas. Depuis deux ans, les deux femmes se rencontrent chaque semaine. Erika l'aide à vivre, elle l'aidera aussi à mourir. Le jour venu, elle lui tendra le breuvage, en présence de son mari, de sa maman, de sa fille de 14 ans et de son fils de 16 ans. Le regard bleu de Catherine se durcit: «Je ne permets à personne de dire que je suis lâche.»

Zollikon, une petite commune de la Goldküste. La Zurichoise arrive au rendez-vous au volant de sa jeep. Des cheveux blonds relevés en chignon, une silhouette menue, si fragile. Sur son visage, le souvenir, cruel, d'une beauté évanescente. A 46 ans, Catherine pèse 37 kilos. Cancer des intestins. «Une maladie dont on ne parle pas à table, alors j'ai appris à me taire.» D'une voix calme, elle raconte l'indicible. Ces quinze opérations, jusqu'à la dernière, ratée, qui la laisse agonisante, avec un intestin réduit à quelques centimètres. Et ces médecins impuissants, qui se retranchent derrière un «nous avons fait notre possible». Sur sa joue, une larme, qu'elle ne prend pas la peine d'essuyer. «Et moi, je dois me contenter de cette réponse.» Commence alors ce qu'elle appelle «la deuxième vie», celle des examens humiliants et de la souffrance, de l'anus artificiel, des diarrhées qui mettent les muqueuses à vif, 25 fois par jour et 365 jours par an, des reins qui fonctionnent à peine, des doses de médicaments. Depuis trois mois, elle se nourrit de liquide, de bananes écrasées, de purée.

Elle refuse pourtant l'hôpital, les sondes, les machines. «Il n'y a plus rien à opérer. Et je ne suis pas un robot auquel on change une pile.» La maladie, Catherine la compare à un sac à dos. «D'autres sont doués pour le violon, moi pour me battre», constate-t-elle avec un sourire. Elle s'accroche, soulagée de savoir qu'elle pourra poser le sac lorsqu'il sera trop lourd. «Personne n'a le droit de forcer quiconque à vivre dans ces conditions.» Même sa famille a fini par l'admettre. «Une preuve d'amour», reconnaît-elle. Pourtant, la pensée des malades trop faibles pour se suicider la révolte: «Un patient qui veut mourir est jugé dépressif, incapable de discernement. Toute sa vie, on lui parle de responsabilité personnelle et au dernier instant, une loi l'empêche de choisir sa fin. Sa voix se casse: Je me demande comment les médecins osent détourner les yeux avec bonne conscience.»

Dans sa tête, Catherine a déjà pris congé de sa famille. Son cur se serre en pensant à Donna Diva, sa jument. Chaque jour, elle vient poser sa joue contre la robe foncée du fougueux animal. Pensive, elle murmure: «On ne laisserait pas souffrir un cheval.» Un dernier regard, avant de marteler: «Ceux qui affirment que la médecine maîtrise la douleur sont des menteurs.» M. Ab.

*prénom fictif


 
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SOINS PALLIATIFS: AMÉLIORONS L'ASSISTANCE À LA VIE AVANT
L'ASSISTANCE AU DÉCÈS

On peut soulager 95% des douleurs La douleur marque la dernière année de vie de huit cancéreux sur dix. Défenseur d'une qualité de vie jusqu'au bout de la vie, le Pr Charles-Henri Rapin, médecin-chef de la Policlinique de gériatrie des HUG, se bat pour que les hôpitaux progressent des 40% de soulagement offerts actuellement aux 95% possibles!

par Mireille Monnier -14 juillet 1999

«Je me souviens d'un vieux Gruérien, catholique, avec un cancer de la prostate métastatique. Il voulait la piqûre. Je lui ai demandé s'il avait des douleurs, il a dit que non, qu'il voulait la piqûre parce que même un chien y aurait droit. Alors, je lui ai proposé de la morphine et, par la suite, il n'a plus réclamé de piqûre. Il a admis avoir voulu mourir parce qu'il souffrait trop. Mais pourquoi ne l'avez-vous pas dit? lui ai-je demandé. Je l'ai dit! Et on m'a donné quelque chose. Mais, après une heure et demie, quand j'ai rouspété que les douleurs étaient revenues, on m'a juste répondu: vous n'allez pas devenir toxicomane à votre âge.»

Tout le combat du Pr Rapin tient dans cette anecdote. D'abord, il en est sûr et plusieurs études abondent dans son sens, sans la douleur, très rares seraient les demandes d'euthanasie. Or, chez nous, où meurent surtout des gens âgés, la dernière année de vie est marquée par des douleurs dans 70% des cas et même 80% chez les cancéreux. «Hélas, déplore l'apôtre genevois des soins palliatifs, si la médecine est capable aujourd'hui de
soulager 95% de ces douleurs - nous l'avons démontré en soins palliatifs -, dans la réalité de nos hôpitaux et soins à domicile, on n'est qu'à 40% de soulagement à peu près!»

Pourquoi un tel fossé entre le possible et l'existant? D'abord parce que notre société veut oublier la mort. Une preuve? «Quand on a construit le CHUV, on a omis de faire une morgue; il a fallu la rajouter plus tard, sur le parking.

Dans notre modèle de body-building et de Claudia Schiffer, il n'y a pas beaucoup de place pour les vieux qui meurent d'un gros cancer.»

A cause encore de ce modèle que le Pr Rapin appelle «bio-médical-curatif-hospitalier-aigu», la formation générale des soignants ne s'appesantit guère sur la prise en charge des patients en fin de vie. «Le cas de mon Gruérien qu'on refuse de soulager par peur de la toxicomanie est éloquent. Beaucoup de soignants ignorent encore que la morphine, correctement administrée, provoque très peu de dépendance: 4 cas sur 12 000 patients, selon une étude américaine. Contrairement aux idées reçues, elle ne «stone» pas, n'endort pas, ni ne tue les gens; elle est la clé du traitement de la douleur physique.»

Centré sur cette souffrance qui donne envie de mourir, le combat du gériatre genevois ne vise pas pour autant à prolonger la vie. Pour lui, la mort est une donnée naturelle. «Les soins palliatifs sont là, aussi, pour prévenir l'acharnement thérapeutique qui rend tout le monde malheureux, le patient comme son entourage, et qui coûte cher.»

Entre une mort avant l'heure, à cause de douleurs non soulagées, et une mort après l'heure, pas ou mal préparée par une médecine obstinément curative, les soins palliatifs proposent, par une aide physique, psychologique, sociale et spirituelle, la meilleure qualité de vie possible jusqu'au bout de la vie. Pour le patient et son entourage. Mais, bien sûr, le patient dispose. Ou devrait pouvoir le faire, puisque son consentement «libre et éclairé» à tout traitement ou cessation de traitement, est inscrit dans la loi.

Si nous voulons une fin de vie digne, à l'aube de ce 21e siècle où le vieillissement de la population laisse prévoir une augmentation des cancers de... 50%, il est donc grand temps d'affirmer - et d'assumer - notre rôle de partenaire dans le tandem patient-soignant.

«Il reste beaucoup à faire»

La Suisse a des soins palliatifs, des vrais, depuis vingt ans. D'un côté, des lits ou des établissements réservés aux patients en fin de vie. De l'autre, des équipes mobiles qui se déplacent à domicile ou dans les hôpitaux pour conseiller et soutenir les patients et les soignants.

Le CHUV bénéficie ainsi depuis fin 1996 d'une équipe composée de médecins, psychiatres, assistants sociaux et infirmières. «Nous allons dans tous les services. On nous appelle pour des douleurs ou des questions psychologiques, l'orientation d'un traitement ou le soutien d'une équipe thérapeutique; et on voit aussi des patients en ambulatoire», explique le Dr Claudia Mazzocato, médecin associé à la Division de soins palliatifs du CHUV. «Malheureusement, même si le canton de Vaud dispose de plusieurs centres de soins palliatifs et de soins à domicile motivés, je pense que pas plus de 30% des patients cancéreux ont accès à des soins palliatifs en finde vie.»

Le moyen de faire mieux? La formation continue progresse. De bons cours sont proposés au Centre de soins continus (CESCO) à Genève, pionnier des soins palliatifs, et au CHUV notamment. Toutefois, dans les facultés, les cours de médecine palliative restent généralement facultatifs. Et la place de ces soins dans les budgets de la santé est plutôt du côté des coupes... A croire que nos politiques ne voient pas aussi loin que le bout de leur vie.


En cas de malheur

Et si c'était la maladie d'Alzheimer, par exemple, qui nous attendait? Comment dialoguer avec son médecin, donner son consentement libre et éclairé, quand on n'a plus toute sa tête?

La solution, c'est les directives anticipées. Une sorte de testament biologique où l'on explique le plus précisément possible le type de soins qu'on désire recevoir ou non dans des situations données. Sans oublier de désigner un représentant thérapeutique (ou deux), pour prendre des décisions dans les cas imprévus.

Selon une enquête d'Exit ADMD Suisse romande (Association pour le droit de mourir dans la dignité), la reconnaissance légale de ces directives anticipées est en bonne voie en Suisse romande, même si, pour l'instant, Exit ne juge les dispositions pleinement satisfaisantes que dans les cantons de Genève, de Neuchâtel et du Valais.

Renseignements: Exit ADMD Suisse romande, CP 110, 1211 Genève 17, tél. 022/735 77 60.

Pour en savoir plus

Société suisse de médecine et de soins palliatifs, c/o CHUV
USP, av. de Beaumont 6, 1011 Lausanne.


Cesco (Centre de soins continus), Consultation de la douleur et soins palliatifs, tél. 022/305 71 11.


Journal «InfoKara», Cesco, chemin de la Savonnière 11, 1245 Collonge-Bellerive.


Internet: www.sans-douleur.ch

 


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