Les génuflexions pardonnables
Yves Bolduc, La Presse, 7 fév 07
Alors que semble se profiler un réel débat public sur la
question des accommodements raisonnables, peut-être est-il
pertinent de nous poser la question de la nature et des limites d’un
tel exercice.
Ce débat a été porté sur la place publique
par les médias. Il s’est installé au cours des derniers
mois, voire des dernières années, au fil des nouvelles
sensationnalistes et des sondages abracadabrants. De la demande
concernant la charia en Ontario aux vitres givrées d’un YMCA, en
passant par l’ambulancier qui souille un espace casher au Jewish
Hospital, jusqu’à Hérouxville, on a tout jeté sur
la place publique comme un tas d’ordures en plein centre-ville de
Montréal.
Pour l’instant, ce sont toujours les médias qui alimentent et
animent ce débat. Ça fait peut-être du bon
info-spectacle. Ça fait gigoter les grenouilles de
bénitiers et s’exciter les intégristes qui on l’habitude
de s’accaparer l’espace médiatique en pareilles occasions.
Ça peut même mettre sur la map de petits prélats de
campagne qui y vont chacun de leurs propres couvres-feu à la
sauce ethnique. Mais est-ce bien sain? Je veux dire: est-ce qu’on doit
continuer encore longtemps d’attiser les tensions et développer
l’intolérance pour de la copie et de la "crotte" d’écoute.
Pour qu’il y ait un réel débat public, qui ne se contente
pas de surfer sur des nouvelles toujours plus sensationnelles, il faut
qu’il y ait un maître du jeu qui sache rester neutre et objectif.
Qui sache garder la tête froide et calmer les hystériques
qui cherchent toujours à s’imposer dans un tel chaos. Il faut
ramener la chose au plan politique. Là où elle doit
être. Nous ne somme plus à l’époque de la
Grèce antique, au temps de la démocratie directe
où les débats avaient un tout autre sens. Nous sommes
à l’ère de la démocratie par représentation
et par médias interposés. Les débats, si bien
soient-ils menés, n’ont pas ici force de loi. Ils ne peuvent
qu’influencer le politique et c’est déjà beaucoup au
moment même où se trament des élections.
Vu le nombre important d’acteurs souhaitant prendre part au
débat, il est temps, pour le gouvernement, de considérer
sérieusement la proposition de Louis Bernard, et d’instituer une
commission d’enquête. Son mandat devrait être d’articuler
une véritable politique interculturelle québécoise
qui se distingue du magma indéfrichable et irresponsable qu’est
le multiculturalisme à la canadienne.
Il ne suffit pas de réécrire la charte des droits, de
créer une nouvelle constitution ou d’envoyer des fax aux
ambassades étrangères, comme le croient certains. Il faut
faire passer le test de la réalité à nos
politiques en matière d’immigration, d’accueil,
d’intégration et de relations interculturelles. Rien de moins.
Nous avons besoin de politiques claires et éclairées. Qui
s’inspirent davantage des "lumières" que d’un obscurantisme
xénophobe et paranoïaque. Une politique adaptée
à un monde qui ne cesse de rapetisser et où les
frontières entre les états-nations deviennent de plus en
plus floues. Il nous faut aussi des stratégies cohérentes
et efficaces qui proposent des moyens réalistes et accessibles
pour faire face à la crise des identités nationales dans
un contexte de globalisation des marchés et de
déplacement inévitable des populations.
Et parlant de moyens, il nous faut en même temps investir les
argents nécessaires pour que les groupes communautaires qui ont
pour mission de favoriser les rapprochements interculturels puissent
jouer pleinement leurs rôles. Ce sont ces groupes qui sont les
mieux placés pour favoriser la cohésion des actions. Il
en existe déjà plusieurs, tant au plan national,
régional que local. Et il en faudrait d’autres pour que dans les
faits, le Québec continue d’être une terre d’accueil sans
y perdre son âme et sa culture. Faudrait juste se donner un plan
de match jouable et des ressources appropriées. Il n’y a rien,
dans ce que je viens d’énumérer, qui soit hors de la
portée d’une réelle volonté politique
d’établir des liens constructifs avec ceux qui partagent notre
destin national. Avec tous ceux qui sont venu ici et qui viendront
encore en plus grand nombre dans les années à venir pour
contribuer à faire du Québec ce qu’il est aujourd’hui et
ce qu’il sera dans 20 ans.
J’en appelle à l’intérêt supérieur du
Québec pour que le gouvernement actuellement en poste, mette en
oeuvre cette commission d’enquête avant de déclarer des
élections. Qu’il se mette immédiatement en mode solution
plutôt que d’éluder le problème sous des
prétextes purement électoralistes. Il n’y a aucune
urgence électorale en ce moment. S’il y a urgence, c’est
ailleurs. Ce gouvernement est démocratiquement élu. Il a
tous les pouvoirs de gérer responsablement et
adéquatement cette situation. C’est son devoir. Qu’il le fasse
maintenant, sans attendre. S’il ne le fait pas, ce sera le devoir des
partis de l’opposition de le forcer à agir ou de proposer des
alternatives viables au cul-de-sac dans lequel nous sommes en train de
nous enfoncer. Mario Dumont a fait son lit sur cette question. Je ne
dis pas que je suis d’accord avec sa position, mais elle a le
mérite d’être claire. Charest et Boisclair doivent faire
de même au lieu de balayer la poussière sous le tapis,
comme on l’a lu hier dans La Presse. S’ils n’avaient pas prévu
faire campagne sur ce thème, qu’ils s’ajustent. Qu’ils nous
montrent qu’ils peuvent gouverner quand les conditions changent. Et
qu’ils ont d’autres préoccupations que juste se faire
élire. Qu’ils savent écouter et changer leurs agendas
quand le feu est pris dans le cabanon, avant qu’il ne prenne à
la maison. Vont pas nous refaire le coup de Bush à la garderie,
tenant son livre de maternelle à l’envers pendant que la
Louisiane coulait à pic. Je nous souhaite un meilleur capitaine.