La parole aux Québécois
André Pratte, La Presse, 7 fév 07
La proposition la plus sensée relative au débat sur les
accommodements raisonnables est venue hier de l’ancien haut
fonctionnaire et ex-candidat à la direction du Parti
québécois, Louis Bernard. Dans un texte publié
dans nos pages, M. Bernard suggère au gouvernement de
confier à une commission d’enquête le mandat de
définir, à l’issue d’une consultation publique, "les
principes directeurs pouvant servir de balises dans la
définition des accommodements qui sont souhaitables et de ceux
qui ne le sont pas". C’est la voie à suivre. Contrairement
à ce que souhaiteraient certains politiciens, le premier
ministre Charest en tête, ce débat ne s’éteindra
pas tout seul. L’inquiétude est à la fois trop
répandue et trop profonde. Il ne faut surtout pas commettre
l’erreur de la résumer aux élucubrations d’un conseiller
municipal de Hérouxville. Comme nous l’avons déjà
souligné, dans les pays où les politiciens
modérés ont cherché à garder le couvercle
sur cette marmite, en France notamment, ils ont laissé la voie
libre aux extrémistes qui eux n’avaient aucun scrupule à
attiser l’intolérance.
Le débat aura donc lieu, qu’on le veuille ou non. Il s’agit de
savoir s’il se poursuivra au fil des sursauts de l’actualité, de
conseil municipal à conseil municipal en passant par le plateau
de Tout le monde en parle, ou
bien s’il aura lieu de manière sereine et structurée,
avec l’objectif de trouver une solution. D’où l’idée
d’une commission d’étude qui permettrait, explique M. Bernard,
d’"organiser la discussion". Cette commission devrait tenir des
audiences publiques d’un bout à l’autre de la province et
recenser les pratiques actuellement en cours au Québec et
ailleurs dans le monde. Son travail permettrait aux
Québécois de diverses origines et opinions de s’exprimer;
il ferait aussi oeuvre pédagogique, dans un débat
où la confusion et l’ignorance règnent. Finalement, la
commission devrait chercher à exprimer dans son rapport le
consensus le plus large possible (1) sur les obligations que
prescrivent à la majorité la tolérance et le
respect des droits humains et (2) sur les devoirs qu’imposent aux
minorités l’intégration et le respect de la culture
d’accueil.
Le chef du Parti québécois, André Boisclair, a
suggéré que le premier ministre convoque les
gestionnaires de l’État québécois pour leur
rappeler les principes en cause. Cette idée a du mérite.
Le problème, c’est que le premier ministre risque de ne pas
savoir quoi dire à ses hauts fonctionnaires. Les balises, en
effet, sont loin d’être claires. Le chef de l’ADQ, Mario Dumont,
voudrait, quant à lui, que les principes de base en
matière d’accommodement soient inscrits dans une constitution
québécoise. Soit, mais quels principes? D’où
l’utilité d’une commission d’étude.
M. Bernard parle de travaux qui dureraient "au moins deux ans, afin de
lui permettre de bien faire son travail". C’est beaucoup trop long. La
commission Clair, qui s’est penchée en 2000 sur le sujet
éminemment complexe de l’organisation des soins de santé,
n’a pris que six mois à accoucher de son rapport. C’est
l’horizon que devrait envisager le gouvernement. Il faut certes prendre
le temps de faire le débat à fond. Mais il faut aussi que
la discussion aboutisse rapidement à des résultats
concrets. Sans quoi la population aura l’impression qu’on cherche
à noyer le poisson.