Les
accommodants
Josée Boileau, Le Devoir, lundi 5 février 2007
(jboileau@ledevoir.ca)
La saga des "accommodements", véritable toile de
Pénélope retissée chaque jour dans les
médias, est porteuse d’une triste vérité: que les
Québécois s’illusionnent sur eux-mêmes! Peu importe
ce que l’on clame, ce n’est pas l’égalité qui
mène. Qu’un homme décrète: pas de dame dans la
voiture!; qu’une femme dise: pas de messieurs dans mon cours!, le
permis de discriminer est donné, sans état d’âme.
Si tous les humains du Québec étaient égaux entre
eux, si tous les Québécois le percevaient ainsi, les
réponses aux demandes d’exceptions sauteraient aux yeux. Un
homme refuse qu’une femme lui fasse passer un examen de conduite? C’est
tout aussi inacceptable que si un Blanc rejetait un évaluateur
noir ou si un musulman refusait d’être évalué par
un juif. Et personne n’aurait l’idée de céder sous
prétexte d’"une politique axée sur le service à la
clientèle" ou de la disponibilité du personnel, ou que
pas un évaluateur noir ou juif ne s’est encore plaint. En soi,
le principe serait entendu, ... Enfin, on l’espère. Parce qu’au
rythme où vont les révélations d’arrangements
insensés, on ne sait plus trop à quoi s’en tenir!
Après tout, quand les affaires se mêlent au poids d’un
puissant voisin et à l’obsession sécuritaire, on a aussi
vu qu’une entreprise québécoise était parfaitement
capable de retirer certaines tâches à des employés
seulement parce qu’ils ont la double citoyenneté...
De même, on s’est tellement fait seriner que le Québec
était une société matriarcale et le royaume (ou
l’enfer selon certains!) de l’égalité des sexes, qu’il y
a de quoi être troublé de voir que les femmes puissent si
facilement être renvoyées "sur la banquette
arrière", comme le titrait La Presse qui a fait connaître
"l’accommodement" accordé aux Hassidims par la
Société de l’assurance automobile du Québec
(SAAQ). Le pire, c’est que ce cas ne survient pas dans un vide social,
mais en plein coeur d’un débat qui enflamme tout le
Québec. Pourtant, des représentants d’une
société d’État arrivent, avec une incroyable
candeur, à justifier l’injustifiable! Comme si l’écho du
monde ne s’était pas rendu à eux. Et comme si, pour
reprendre l’excuse donnée par la SAAQ, le réflexe
d’humanité, qui fait que l’on accorde à une femme
autrefois agressée le droit d’avoir une évaluatrice,
pouvait être mis sur le même pied que les exigences
religieuses intégristes.
Il serait malhonnête toutefois de ne s’en prendre qu’à la
SAAQ: trop d’incidents qui isolent les hommes et les femmes sont
récemment survenus pour ne pas voir là un dangereux
réflexe de société. On jase, on jase, mais, dans
la vraie vie, le Québécois est bien accommodant. Il
faudrait d’ailleurs le signaler au Canada anglais qui, bien assis sur
son multiculturalisme bon teint, condamne nos débats actuels.
Qu’il se rassure: les Québécois ont beau citer la
laïcité à la française, au quotidien,
Montréal est aussi conciliant envers les coutumes et
préceptes des uns et des autres que Vancouver ou Toronto!
Au fond, peut-être faut-il imiter Hérouxville, l’hyberbole
en moins, mais les principes tout aussi clairs! Car ce qui devrait
aller sans dire ne suffit plus. Comme les écoles ont leur code
de vie pour que les élèves respectent un minimum de
bienséance; comme certaines entreprises doivent, pour contrer
les poursuites, souligner qu’elles servent le café chaud ou que
l’on n’entre pas dans une sécheuse; alors, il faudrait rappeler
le b.a.-ba de la vie entre égaux à tout ce qui occupe un
poste de direction au Québec.
André Boisclair est sur la bonne voie, lui qui propose un "code
de référence" pour les administrateurs publics. C’est une
idée intéressante, mais quelle misère que l’on en
soit rendus là !
Courriel envoyé à
Mme Boileau
Bravo, Mme Boileau, pour cet éditorial qui remet les pendules
à l'heure et qui parle du "vrai fond des choses". Le principe
d'égalité entre tous et toutes, et ce, de quelque race,
sexe, âge, orientation sexuelle, origine qu'on soit, nous y
tenons et c'est en son nom que nous - incluant les membres de la
municipalité d'Hérouxville, ainsi que la grande
majorité des membres des diverses communautés culturelles
- disons NON à certains comportemennts ou pratiques qui vont
à l'encontre de ce principe. Nous voulons, par nos Chartes,
détruire les barrières à la discrimination, et non
en ajouter ou en réinstaurer, comme le font certaines demandes
de certains membres de certaines communautés culturelles ou
religieuses. Qu'on en soit rendus à l'obligation de fixer un
code de référence s'explique, justement, par le fait que
ce que vous appelez "la vie entre égaux" est menacée dans
certains cas, que l'on ne doit donc pas tolérer, ni accepter.