Des femmes musulmanes viennent rencontrer les gens d'Hérouxville

Un compte-rendu de Thérèse-Isabelle Saulnier

NOTE: comme je n'ai pas assisté à tout, que je n'ai pas tout entendu et que je n'ai pas pris de notes, je vous présente ce dont j'ai été témoin. Mais vous verrez que c'est déjà pas mal plus que ce que les nouvelles en ont rapporté.


Le but de ma présence à Hérouxville

Je n'allais pas manquer d'être sur place pour voir de mes yeux comment se déroulerait cette visite d'un groupe de femmes musulmanes à Hérouxville, et de poser quelques questions, si l'occasion m'en était donnée, à au moins l'une d'entre elles. La principale, que j'avais en tête, portait sur la signification de ce qu'on appelle toujours simplement "le voile": pourquoi porter un "foulard" cachant les cheveux? Pourquoi des femmes portent le tchador, qui ne laisse voir que leurs yeux, et pourquoi porter la burka, qui cache absolument tout? Je devais aussi rencontrer M. Bernard Thompson, le webmestre du site internet de la municipalité, que j'avais rejoint la veille. Je m'y suis rendue avec une amie et nous sommes arrivées un peu avant 10h. Cherchant la salle de l'âge d'or où se déroulait la rencontre, nous avons pu constater que le village compte bien plus que deux rues, dans lesquelles, d'ailleurs,  nous nous sommes presque perdues!!! Finalement, nous avons repéré la salle et, en attendant 11h, nous sommes allées déjeuner au petit restaurant (le seul) du village, presque rempli au complet et où ça discutait ferme. A 10h35, nous arrivions à la salle. A l'extérieur, de nombreux cameramen et journalistes attendaient l'arrivée de ces dames, qui sont finalement apparues à 12h05. (Semble-t-il qu'elle se sont perdues en route...)


Rencontre avec Bernard Thompson


André Drouin, dérisoirement
surnommé "l'échevin échevelé"

De M. Thompson, je voulais surtout savoir si l'auteur du code hérouxvillois était bien M. André Drouin. Il m'a confirmé que oui: il l'est, dans sa conception et dans son écriture, de A à Z. M. Drouin est un ingénieur retraité, surtout spécialisé dans les processus administratifs de réalisations de projets. A Tout le monde en parle, il a dit avoir travaillé pour plusieurs multinationales dans plusieurs pays, et avoir vu des femmes se faire lapider.  Il a aussi dit qu'il connaissait plusieurs cultures, que la culture musulmane était une grande culture et qu'il avait plusieurs amis juifs. (Toutes informations qui, soit dit en passant, n'ont pas été relevées par Lepage et Turcotte, ni par les médias.) M. Thompson est un ancien employé de Bell lui aussi à la retraite, ayant travaillé dans plusieurs pays et qui est installé dans les environs d'Hérouxville depuis 4 ans.- En passant, j'ai pu serrer la main de M. Drouin et entendre de lui quelques mots à mon adresse, concernant les modifications que je lui suggère d'apporter au code.


L'arrivée des visiteuses



Mme Boughaba serrant dans ses bras
Mme Luce Drouin


Mesdames Drouin et Boughaba
arborant fièrement le drapeau du Québec

A 12h05 pile, une première voiture arrive. A l'intérieur, trois femmes portant le foulard: deux passagères et une conductrice. Il devait y avoir une deuxième et peut-être une troisième voiture (elles étaient une dizaine au total), mais je n'ai vu que la première. Les cameramen et journalistes se sont littéralement précipités vers elles et ce n'est qu'un quart d'heure plus tard qu'elles ont enfin pénétré dans la salle, aux applaudissements nourris de l'assistance. Elles étaient accompagnées d'au moins deux "gardes du corps" (si je peux les appeler ainsi), des jeunes faisant partie de l'AJLM (Association des jeunes Libanais musulmans). Ceux-ci ont distribué deux feuilles d'information, bilingues, venant du Congrès islamique canadien (CIC) et présentant le but de la visite de ces femmes, "détenant des doctorats dans différents domaines ou des étudiantes doctorantes". Suivent 4 adresses de personnes, toutes du CIC, pour contact.
C'est Mme Luce Drouin, l'épouse du conseiller, qui les a accueillies.


Le but officiel de leur visite
"Le but est d'établir un dialogue, mieux se connaître et se respecter mutuellement. Ce serait également l'occasion de dénoncer ce Code de vie qui porte atteinte à la diversité culturelle québécoise", écrit le CIC dans les feuilles distribuées. On y ajoute que "pour que la rencontre soit conviviale, des gâteaux orientaux et des cadeaux seront présentés aux personnes présentes à cette rencontre."


Leurs noms
Six sont mentionnés sur une troisième feuille qu'on nous a remise:
- Mme Najat Boughaba (docteure en littérature française)
- Mme Leila Farhat (bacc en linguistique)
- Mme Samira Laouni (docteure en HEC)
- Mme Carmen Chouinard (chercheuse dans le domaine des conflits religieux)
- Mme May Haidar (étudiante doctorante en informatique)
- Mme Zeinab Daher (étudiante doctorante en bio-chimie)

Selon Radio-Canada, c'est Mme Boughaba qui présidait la délégation, et c'est effectivement elle qui a fait le plus de déclarations officielles à la presse et qui a pris la parole en premier.


Déroulement de la rencontre



Mme Boughaba a d'abord présenté les femmes
de la délégation musulmane.


Son intervention a porté essentiellement sur la
nécessité de mieux se connaître et, à cette fin,
elle a offert deux livres à la bibliothèque d'Hérouxville,
"Philosophie de l'Islam" et "Les droits des femmes dans l'Islam",
et un à Mme Drouin.



Pendant la 2e intervention, les journalistes, affairés autour du
conseiller municipal André Drouin, étaient si bruyants et dérangeants
que Mme Chouinard (à droite sur la photo) a dû faire une intervention
musclée pour exiger le silence: "A la fin, les entrevues! Pas en même temps!"
Sur la table, le livre rouge est "Les droits des femmes dans l'Islam", et le vert,
"La philosophie de l'Islam", parmi les cadeaux offerts aux gens présents.



Les voici, ces journalistes et cameramen, sans doute beaucoup plus
intéressés par M. Drouin que par ce que ces femmes ont à dire...
Debout, derrière les deux femmes assises, l'un des deux
"gardes du corps", membres de l'AJLM.


Mme Samira Laouni, avec qui j'ai pu m'entretenir
sur la signification du foulard (hidjab), du tchador et de la burka.


Mme Carmen Chouinard, insistant sur l'apport
important des musulmanes et musulmans dans le
développement du Québec et de la langue française.



(Mme Farhat, Haidar ou Daher)



(Mme Farhat, Haidar ou Daher)


Fin de la rencontre, les journalistes se précipitent à nouveau.
Brouhaha, le ton semble monter, nous décidons de partir.


Remarques
  1. Il s'agit d'une délégation d'une dizaine de femmes du Congrès islamique canadien. Je dois dire que je suis assez étonnée qu'on mentionne le nom de certains groupes ou associations sans jamais les présenter: qui sont-ils? que et qui représentent-ils? quelle est leur orientation, quels sont leurs buts? Il me semble qu'il serait important qu'on nous le dise enfin, étant donné qu'il existe tellement de groupes ou associations musulmanes ou islamiques. J'en ai mentionné quelques-unes ici.
  2. Aucune n'avait le visage voilé, comme vous pouvez le voir sur les photos.
  3. Selon Radio-Canada et le CIC lui-même, ces femmes sont venues pour, entre autres, "convaincre les membres du conseil municipal de renoncer au controversé code de vie destiné aux immigrants" (R-C), pour "dénoncer ce Code de vie qui porte atteinte à la diversité culturelle québécoise" (CIC). Or, je n'ai rien entendu là-dessus, rien n'en a été dit, et le maire d'Hérouxville, M. Périgny, a déclaré, devant les caméras, que le Code n'allait pas changer, sauf pour quelques mots, et qu'il était là pour rester.
  4. Etant venues pour "chasser les mythes véhiculés au sujet des musulmans", la plupart des intervenantes ont insisté sur le fait qu'elles étudiaient, conduisaient, et même, que loin d'être soumises à leur mari, c'était plutôt elles qui "portaient les culottes" à la maison!
  5. Radio-Canada, dans son compte-rendu, parle d'une cinquantaine de résidents d'Hérouxville qui se sont rendus dans la salle communautaire, mais parmi eux, il y avait des gens de l'extérieur: de Montréal, de la région de Trois-Rivières et Shawinigan, de même que des Bois-Francs.
  6. Mme Boughaba a indiqué que le Congrès islamique canadien n'avait toujours pas déposé de plainte contre la municipalité et que probablement que cela ne se ferait pas. N'était-il d'ailleurs pas touchant de la voir, aux côtés de M. Drouin disant: "Avons-nous l'air de racistes,  hein, Madame?" lui répondre: "Absolument pas, ce sont (les Hérouxvillois) des gens charmants, gentils...." ! (Reportage LCN)
  7. Dans le reportage de la chaîne LCN, on dit que "ces femmes se sont senties choquées par le code de vie d'Hérouxville, notamment sur la question de la lapidation et du voile". Or, de lapidation et de voile, il ne fut point question, ou à peine. L'une des intervenantes a dit qu'aucune femme, dans leurs familles, n'avait été lapidée, et que le "voile" qu'elles portaient était une simple coiffe, au même titre qu'un chapeau quelconque. Mais comme j'ai pu moi-même interroger là-dessus Mme Laouni, vous pourrez lire, plus bas, ce que j'ai pu en apprendre de plus.

Apprendre à mieux se connaître, oui, mais comment?

Sur le site Canoé, on dit que Mme Boughaba a indiqué s'être rendue à Hérouxville afin de "chasser les mythes véhiculés au sujet des musulmans. Cela va enrichir les gens de Hérouxville, et nous aussi", a-t-elle déclaré à des journalistes à l'extérieur de la salle communautaire.  "Nous allons certainement apprendre des choses à leur sujet et il y a certainement des choses que nous aimerions leur apprendre à notre sujet", a ajouté Mme Boughaba.  Les normes de vie adoptées à Hérouxville reposent sur des stéréotypes négatifs et injustes, a-t-elle estimé. - Or, force est de constater qu'il n'y a pas eu de dialogue. Ces femmes se sont présentées de façon fort positive, à tel point qu'on ne pouvait qu'applaudir - ce qui s'est fait à plusieurs reprises, d'ailleurs - à ce qu'elles disaient. Et ce qu'elles disaient, ce qu'elles voulaient nous apprendre,  tous les gens présents le savaient déjà! Et c'est la raison pour laquelle bien des gens ont été déçus de cette visite, évaluant que "les vraies affaires", les véritables cas-problèmes n'avaient même pas été mentionnés ou abordés, et encore moins expliqués. Elles se sont exprimées, mais pas les gens qu'elles sont venues rencontrer. Le "dialogue" a été à sens unique. Donc, nous en savons peut-être un peu plus sur elles, mais en savent-elles un peu plus sur nous, et considèrent-elles toujours que certains points contenus dans les normes hérouxvilloises ne sont que des "stéréotypes négatifs et injustes"? Probablement que seul l'avenir nous le dira!


Ma rencontre avec Samira Laouni sur le "voile"




Pendant que les journalistes et caméramen étaient au fond de la salle, fourmillant comme un essaim d'abeilles autour - sans doute de Mme Boughaba, j'ai apercu une chaise libre devant Mme Laouni et je suis allée m'y asseoir.  Elle parlait avec un homme (qu'on voit sur la photo, à ma droite) qui lui demandait si les femmes musulmanes "voilées" avaient le droit de recevoir un bisou de la part d'un homme, et de lui serrer la main. Réponse: non. Quant à l'explication de cet interdit, aucune: c'est ainsi, - et ça doit, me suis-je dit, être écrit dans le Coran...

Je lui ai alors posé la question sur la signification du hidjab (foulard), du tchador et de la burka: quel en est le sens, la signification, la raison? Pourquoi devoir cacher ses cheveux, voire même ne montrer de soi que les yeux et, avec la burka, rien du tout? Pour le hidjab, elle m'a dit qu'il est écrit, dans le Coran, qu'une femme pieuse doit couvrir ses cheveux. (C'est dans le chapitre "De la lumière", chapitre "des pierres", m'a-t-elle dit.) J'insiste: mais pourquoi une femme pieuse doit-elle cacher ses cheveux? - Pas de réponse, pas d'explication, sauf que c'est écrit dans le Coran.

Quant au tchador et à la burka, elle m'a dit que ces deux vêtements n'avaient aucun rapport avec la religion, que c'était une tradition culturelle, dans certains pays. La burka, en particulier, est spécifique à l'Afghanistan. Ailleurs, on l'appelle le nikab. Encore là, j'insiste: mais pourquoi? Pourquoi faire porter ce vêtement aux femmes? - Je n'ai pas eu de réponse. Il commençait à y avoir une agitation bruyante dans la salle, au point qu'il n'était plus guère possible de discuter. Mais si nous avions pu continuer, je ne pense pas que j'aurais eu une réponse, sauf, probablement, que ce n'est pas d'ordre religieux, donc, changeons de sujet! Nous nous sommes donc quittées là-dessus, après une bonne poignée de main et un bisou sur chaque joue.





Complément: Le compte rendu d'Ariane Lacoursière
La presse, 12 février 07

Note: Mme Lacoursière racontant des moments de cette mémorable journée dont je n'ai pas été témoin, j'ajoute ici son compte rendu.


GRANDE SÉDUCTION À HÉROUXVILLE  - Huit femmes musulmanes expliquent leur réalité

Quelques minutes avant de quitter Montréal, hier matin, les huit femmes du Congrès islamique canadien qui s’apprêtaient à visiter Hérouxville parvenaient mal à cacher leur inquiétude. Quel accueil allaient leur réserver les habitants de cette petite municipalité? Leurs voiles colorés allaient-ils choquer la population? "Je crois que tout ira bien. Ces gens ont l’air chaleureux, mais ils manquent d’information. C’est pour ça que nous allons les voir. Pour nous faire connaître. Ça va bien aller", disait Mouna Diab, 21 ans. "Ça va être une grande journée. On va briser des tabous et on va enfin pouvoir passer à autre chose", a lancé Haydar Moussa, l’un des trois hommes membres de l’Association des jeunes Libanais musulmans de Montréal qui accompagnaient la délégation de femmes.
Malgré ces discours optimistes, la nervosité était visible dans les regards de plusieurs. Discrètement, l’une des femmes a même été malade avant de partir. Ce malaise passé, les huit femmes, les trois hommes et la représentante de La Presse sont montés à bord de trois voitures et ont quitté la métropole. En roulant vers Hérouxville, les discussions allaient bon train. "J’avoue que le code de vie m’a blessée. J’ai décidé d’aller à Hérouxville pour parler de notre réalité aux citoyens. Je ne crois pas que nous parviendrons à leur faire changer d’idée complètement à notre sujet. Mais on va au moins les faire réfléchir. Et ça, c’est déjà bon!" affirmait Mme Diab en replaçant discrètement son voile.
C’est à l’instigation du Dr Najat Moustafa que le groupe de femmes a décidé de rendre visite aux habitants de Hérouxville. Cette municipalité de la Mauricie s’est rendue célèbre il y a deux semaines en adoptant des normes de vie qui interdisent notamment la lapidation. Plus le cortège approchait de sa destination, plus la tension montait. Le stress a toutefois grimpé en flèche quand le groupe a réalisé qu’il s’était égaré. "Oh ! Mon Dieu! On va arriver en retard! Il faut les appeler pour les avertir!» s’est écrié le Dr Moustafa.
Avec une heure de retard, la délégation est finalement arrivée à Hérouxville. Le conseiller municipal André Drouin, sa femme, Luce Drouin, une cinquantaine de citoyens, le maire de Hérouxville, Martin Périgny, et le maire de la municipalité voisine de Saint-Rock-de-Mékinac, Claude Dumont, étaient présents. "Nous sommes ici pour lutter contre les démons qui tentent de semer la zizanie entre les Québécois!" a lancé Dr Moustafa en sortant de la voiture. "Bienvenue. C’est le début d’une grande amitié. Hérouxville est une terre d’accueil", a répondu Luce Drouin.
À l’intérieur de la salle de l’âge d’or de Hérouxville, quelques musulmanes ont prononcé des discours tout en distribuant des cadeaux et des baklavas. Les échanges privés ont ensuite commencé. "Je me sens tellement intimidée!" a confié la Libanaise Elsy Fneich à Yves Bellemare, qui l’interrogeait doucement. Si la plupart des discussions se sont déroulées calmement, le ton a parfois monté. "Pourquoi voulez-vous nous interdire de manger du porc? Les Québécois, on mange du porc!" a demandé Louise Trudel. "Mais on ne vous interdit pas de manger du porc. On ne veut juste pas être obligés d’en manger", a répondu Samina Laouni. Saisissant un micro, un Montréalais venu semer la zizanie a crié: "Comment avez-vous eu l’audace de venir ici?" Choqué, le conseiller André Drouin a pressé l’intrus de se taire et en a profité pour donner ses impressions. "Je suis très content que ces femmes soient ici. Je ne suis pas raciste. Même que je les trouve belles avec leur voile. Je vais en acheter un à ma femme", a-t-il dit. Claude Veillet, qui habite Hérouxville depuis deux ans, est du même avis. "Je trouve que leur voile, c’est sobre et beau. Elles ressemblent à nos anciennes religieuses! Elles sont vraiment très belles. Ça tombe bien, je suis célibataire et j’ai de l’argent. Je pourrais peut-être en marier une..."
Au fil des discussions, les esprits se sont quelque peu calmés. Plusieurs citoyens ont quitté la salle ravis de leur expérience. "Finalement, je suis bien contente de vous avoir parlé", a même confié Mme Trudel à Mme Laouni. Radieuse, celle-ci s’est réjouie de leur échange. "On a parlé fort parfois, je l’avoue! Mais vous voyez qu’en se parlant, on arrive à bien des choses!" a-t-elle conclu.
Ce soir, le conseil municipal de Hérouxville se réunira en assemblée extraordinaire pour décider de l’avenir de ses normes de vie. "Nous allons en discuter. Certains mots vont peut-être changer", avance André Drouin. Une petite victoire pour la délégation de femmes musulmanes venues en mission à Hérouxville.







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