Hidjab, soccer et manipulation
Yolande Geadah, Le Devoir, 14 mars 07
Source: Vigile
Une controverse récente liée aux revendications
religieuses a surgi dans les médias avec le renvoi par un
arbitre d’une joueuse de soccer ontarienne, âgée de 11
ans, à cause de son hidjab. L’arbitre, de confession musulmane,
justifiait le renvoi sur la base d’un règlement interdisant le
port de tout objet (comme des bijoux) pouvant affecter la
sécurité. Les médias et l’opinion publique ainsi
que certains leaders politiques se sont empressés de condamner
l’exclusion par l’arbitre, considérant que l’argument de la
sécurité était un prétexte et citant comme
preuve le fait que d’autres ligues à travers le monde acceptent
les joueuses portant le hidjab. L’Association internationale de
football a refusé de se prononcer sur cette question.
Il ne fait aucun doute que du point de vue du droit individuel, la
jeune joueuse de soccer avait parfaitement le droit de porter le hidjab
sans encourir d’exclusion. Il est vrai aussi que l’argument de la
sécurité paraît questionnable en l’absence de
preuve. Mais le fait que d’autres ligues à travers le monde
n’interdisent pas le port du hidjab ne nous paraît pas suffisant
pour clore le débat.
Le sens de l’uniforme
Ce cas soulève premièrement la question de savoir quel
est le sens de l’uniforme dans le sport d’équipe, coutume fort
répandue à travers le monde. D’un point de vue objectif,
on pourrait soutenir que l’imposition d’un uniforme n’est pas vraiment
nécessaire dans le sport et qu’il suffirait de demander aux
joueurs de porter un vêtement qui n’entrave pas leurs mouvements.
À l’inverse, on pourrait aussi arguer que l’uniforme
imposé dans un sport d’équipe comporte une symbolique
importante à respecter. En effet, la fonction de l’uniforme est
de créer un sentiment d’appartenance, de cohésion et de
neutralité entre tous les membres de l’équipe, ce qui est
de nature à favoriser la collaboration étroite requise
pour réussir dans un tournoi. Selon cette logique,
l’autorisation du port de symboles religieux distinctifs ne
risque-t-elle pas de créer un climat de confusion et de susciter
le ressentiment à l’endroit du privilège accordé,
provoquant ainsi la division au sein du groupe à long terme ?
Cheveux impurs
Deuxièmement, même si on voulait appuyer le droit des
femmes musulmanes de porter le hidjab, ce cas devrait nous amener
à mettre en question le discours religieux qui incite une jeune
fille prépubère à croire qu’il est impur de
montrer ses cheveux en public. Ce discours, devenu dominant avec la
montée de l’intégrisme, incite de jeunes filles mineures
à porter le hidjab et à défier même leurs
parents et tout règlement non favorable issu des institutions
où elles s’insèrent.
C’est là une des stratégies favorites du mouvement
intégriste, qui insiste sur le port du hidjab sous
prétexte d’expression identitaire positive. Mais il insiste
aussi sur l’application rigide d’autres préceptes religieux, tel
la séparation des sexes dans les lieux publics, encourageant les
croyants à mettre en avant des revendications religieuses en ce
sens, comme on a récemment pu le constater. Ces pratiques visent
à remettre en question des règles
séculières au nom des libertés religieuses.
Une autre stratégie consiste à provoquer la victimisation
devant tout refus de céder aux revendications religieuses, ce
qui permet au mouvement intégriste de tirer profit du sentiment
d’injustice et de révolte qu’il suscite chez les croyants et de
rallier du même coup l’opinion publique en faveur des victimes.
Les pays occidentaux n’échappent pas à l’influence de ce
discours et du mouvement qui le prône très activement,
profitant de la mondialisation et des nouvelles technologies de
l’information. Ce discours séduit particulièrement les
jeunes non seulement par l’insistance sur l’affirmation identitaire
religieuse positive mais aussi parce qu’il leur permet de défier
les autorités au nom de la liberté religieuse et de
gagner ainsi du prestige aux yeux de leur communauté.
La manipulation des médias, prompts à monter en
épingle le moindre cas de victimisation, contribue à
renforcer les tendances intégristes, pour l’instant
minoritaires, au détriment des tendances plus
modérées au sein des communautés musulmanes vivant
ici. Elle contribue aussi à susciter un malaise et une
stigmatisation croissante envers les personnes musulmanes, dont la
majorité s’oppose pourtant à l’intégrisme.
Prudence
Un détail intéressant à relever dans le cas de la
joueuse de soccer : le fait que l’arbitre soit lui-même de
confession musulmane interdisait toute accusation de racisme qui,
autrement, n’aurait pas manqué de fuser. Cela devrait nous
inciter à la plus grande prudence dans ce genre de situation,
où les accusations non fondées sont fréquentes, ce
qui a pour effet d’étouffer toute réflexion critique.
Les accusations de racisme à l’endroit de toute opposition
visent à susciter l’adhésion des défenseurs des
droits de la personne et des spécialistes du multiculturalisme,
en appui à ces revendications religieuses. Cette
stratégie très efficace soulève néanmoins
de sérieux enjeux sociaux dans le contexte
québécois, caractérisé par un modèle
de société séculier et pluraliste.
À notre avis, il est toujours possible d’accepter un compromis
dans le domaine du sport ou dans d’autres domaines, selon le contexte.
Dans le cas du sport, cette décision doit revenir aux
associations sportives et non à l’État.
Il importe surtout de cesser de sacraliser les revendications
religieuses ou d’en faire une question de principe et de droits
individuels. Il ne s’agit pas ici de nier la liberté religieuse
de quiconque mais de reconnaître que des compromis sont
nécessaires, de part et d’autre, pour vivre ensemble dans le
respect du droit à la différence mais non de la
différence des droits. Il faut espérer que la Commission
d’étude sur les accommodements liés aux revendications
religieuses, annoncée par le gouvernement Charest, saura mettre
en lumière les enjeux sociaux et politiques sous-jacents au lieu
de s’en tenir à des solutions simplistes dictées par la
rectitude politique.
