Entrevues de Dominique Poirier

(Radio-Canada, section "Dominique Poirier en direct", 1 fév 07)

1er article: La SAAQ happée dans le débat

Le débat sur les "accommodements raisonnables" consentis aux minorités religieuses du Québec fait toujours rage. Et c'est maintenant au tour de la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ) d'être montrée du doigt. Jeudi, La Presse a révélé que les évaluatrices de la SAAQ doivent céder le pas à leurs collègues masculins lorsque des juifs hassidim passent les examens de conduite. Cet "accommodement raisonnable" a été institué à la demande de cette communauté juive orthodoxe.

Il s'agit d' "une politique axée sur le service à la clientèle" et non une question de religion, assure la porte-parole de la SAAQ, Audrey Chaput. Mais le président du Congrès juif canadien - section Québec, Jeffrey Boro, reconnaît lui-même que cet accommodement est d'ordre religieux et qu'il viole le principe d'égalité entre hommes et femmes. Le directeur de la SAAQ pour les régions de Montréal et de la Montérégie, Jean-Marc Roussel, réplique que d'autres clients bénéficient de ce type d'accommodements s'ils ont une raison valable pour le faire. Par exemple, une dame qui avait été violentée par deux hommes a déjà demandé et obtenu d'être évaluée par une femme, a-t-il indiqué.

2e article: Examen de conduite: la SAAQ accommode les hassidim qui veulent être évalués par un homme

Des évaluatrices de la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ) chargées de faire passer des examens de conduite doivent céder leur place à un collègue masculin si un juif hassidique le demande. La SAAQ affirme que cet accommodement n'est pas d'ordre religieux, mais que c'est plutôt une question de bon service à la clientèle. Dominique Poirier en discute avec Gaétan Girard, président par intérim du Syndicat de la fonction publique du Québec, puis avec Jeffrey Boro, président du Congrès juif canadien pour la région du Québec, et Michèle Asselin, présidente de la Fédération des femmes du Québec.


Entrevue avec Gaétan Girard, président par intérim du Syndicat de la fonction publique du Québec

M. Girard dit que c'est surprenant et que c'est là un genre de situations difficilement acceptable. Laisser passer, "c'est ne pas faire face à la musique face à certains groupes". C'est justifier l'injustifiable vs l'égalité des hommes et des femmes. Il y a des formes d'accommodements raisonnables et justifiables (correspondant à des exceptions), mais pas celle-là. Laisser les gens choisir leur évaluateur? Une obligation doit être égale pour tout le monde. Il n'y a pas eu beaucoup de plaintes de la part des examinatrices, mais beaucoup de membres du personnel occasionnel ne réclament pas leurs droits. (Poirier: il n'y a donc pas de balises.) - Les règles devraient être clarifiées, il faut se situer collectivement face à de telles demandes. On retourne 50 ans en arrière. De tels "accommodements" vont carrément à l'encontre des valeurs québécoises.

Entrevue avec Jeffrey Boro, président du Congrès juif canadien pour la région du Québec

M. Boro concède que la lutte des femmes est faite, mais "ces personnes, c'est dans leur religion". Combien font de telles demandes, annuellement? Si les femmes ne se plaignent pas et que ca ne les dérange pas, donc... Objectivement, c'est clair que ça peut être quelque chose de très grave pour les femmes, et ça n'a guère de bon sens. - Les parties se sentent-elles lésées? On n'a pas à refaire la lutte pour l'égalité des femmes. Il faut trouver une autre facon de les accommoder. - 12% des Juifs  du Canada sont hassidiques. Le Congrès juif essaie de les ramener à un Québec plus moderne, du 20e s, mais ce n'est pas facile..

Entrevue avec Michèle Asselin, présidente de la Fédération des femmes du Québec

Il s'agit là d'une erreur, pas d'un accommodement raisonnable. Le service à la clientèle doit être le reflet des valeurs du Québec. Ça remet en question la légitimité du travail des femmes dans des métiers non traditionnels (policières, évaluatrices) et c'est du sexisme. Ça n'entrave pas la pratique des religions. - Il faut prendre acte de la diversité culturelle, et appuyer tout ce qui fait tomber les barrières qui créent de la discrimination. Il faut un débat.  Le "Nous" qui défend les valeurs fondamentales de notre société, dont celle de l'égalité des femmes, est composé d'une vaste majorité de gens - incluant les juifs, les musulmans, etc!


Commentaire que j'ai envoyé à Dominique Poirier

Madame Poirier, quel plaisir j'ai eu de voir ces 4 entrevues à propos d'un des multiples "accommodements" faisant problème, celui des examens de conduite. De façon très posée et intelligente, surtout (que de bêtises ont été dites, d'un côté comme de l'autre, depuis le 15 janvier dernier!), le véritable enjeu a été clairement mis sur la table. Dans ce cas précis, c'est le principe de l'égalité des femmes qui est en jeu, comme il l'est pour le port du tchador et de la burka (à distinguer du foulard), pour certains maris musulmans qui exigent que leurs femmes ne puissent être vues par nul autre qu'eux-mêmes et les membres de leurs familles (donc, pères exclus aussi des cours prénataux), pour la ségrégation sexuelle dans des endroits publics (locaux de prière à deux entrées distinctes, piscines non mixtes, exemption des cours d'éducation physique et de natation, refus de certains pères de parler à une directrice d'école), pour les vitres givrées du WMCA, et pour les femmes policières face aux juifs hassidiques. Ce sont là des us et coutumes sexistes et des pratiques discriminatoires contre lesquelles nous nous sommes élevés et devons continuer à nous élever. Comme l'a dit Mme Asselin, il faut faire tomber les barrières qui créent la discrimination, pas en rajouter!

Une distinction a été tout aussi nettement établie en ce qui concerne les communautés culturelles. Bien des demandes d'accommodements viennent, effectivement, de juifs et de musulmans. Or, les intégristes musulmans et les juifs hassidiques ne sont qu'une minorité de ces communautés (12% de la communauté juive canadienne) et, à y regarder de près, ils ne sont vraiment pas encore entrés dans le Québec moderne du 21e siècle, bien au contraire. Ce que les "pro-hérouxvillois" veulent signifier, c'est que de telles pratiques discriminatoires et sexistes, nous n'en voulons pas, et nous voulons que cela soit clairement dit et écrit dans une loi.

Enfin, une précision. J'ai remarqué une confusion générale, tant dans la population que chez les journalistes, entre ce qui est d'ordre religieux et ce qui est d'ordre culturel. On dit que toutes ces demandes font partie de "leur religion". Il y a vraiment une recherche à faire là-dessus (et je la ferai sous peu), car dans tous les cas que j'ai mentionnés, ça semble être essentiellement culturel, sans rapport avec la Bible ou le Coran.





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