Annonce de la création d'une
Commission de consultation sur
les pratiques d’accommodements
reliées aux différences culturelles
par
Jean Charest, Premier ministre du
Québec
Une commission pour définir,
consulter et recommander
Déclaration faite le jeudi 8 février 2007
J’ai d’abord une déclaration à vous faire sur un sujet
qui est beaucoup dans l’actualité. Évidemment, il y a un
débat qui a lieu actuellement au Québec depuis plusieurs
semaines, je parle évidemment de la question des accommodements
raisonnables, et j’ai eu l’occasion de commenter le débat
à quelques reprises. En fait, à chaque fois que la
question m’a été posée, j’ai eu l’occasion de le
commenter, et vous avez remarqué que je l’ai fait avec prudence
puis avec pondération, mais il est clair maintenant que le
débat s’enlise et qu’il sert la division plus que la
compréhension. Mon objectif, aujourd’hui, est de donner à
ce débat des assises qui seront celles de la raison et des
valeurs communes. Je veux d’abord vous faire trois remarques avant de
vous informer plus en détail d’une décision qui a
été prise tôt ce matin par le Conseil des ministres.
Premièrement, le Québec est une nation, notamment par son
histoire, par sa langue, par sa culture et par ses institutions. La
nation du Québec a des valeurs et des valeurs solides dont,
entre autres, l’égalité entre les femmes et les hommes,
la primauté du français, la séparation entre
l’État et la religion. Ces valeurs, elles sont fondamentales.
Elles sont à prendre avec le Québec. Elles ne peuvent
faire l’objet d’aucun accommodement. Elles ne peuvent être
subordonnées à aucun autre principe.
La deuxième remarque, c’est que le Québec est une
société d’accueil; c’est vrai depuis 400 ans. Chaque
année, plus ou moins 45 000 personnes viennent des quatre coins
du monde et choisissent de s’installer au Québec. Ces nouveaux
arrivants, comme ceux qui les ont précédés,
viennent au Québec pour partager notre réussite, vivre
librement et construire une nouvelle vie. Ils sont les bienvenus. Nous
avons besoin de leur apport. Ils viennent enrichir le Québec de
leur savoir, de leur culture et, avec nous, ils construisent le
Québec.
Devoir d’intégration
Chacun d’eux a la responsabilité de s’intégrer à
notre nation. Cela signifie qu’ils doivent adhérer à nos
valeurs fondamentales. C’est en quelque sorte un contrat entre eux et
leur nouvelle famille. En contrepartie, nous avons aussi, comme
société d’accueil, une responsabilité: nous devons
les accueillir et faciliter leur intégration. Quitter son pays
d’origine, même pour la liberté, comporte une part de
douleur, c’est celle du déracinement. Comme
société d’accueil, nous devons aider les immigrants
à prendre racine chez nous, à étudier, à
travailler, à fonder une famille et à se refaire une vie.
La troisième remarque que je voulais vous formuler est la
suivante: Je vous ai dit que j’avais observé le débat
avec beaucoup d’attention, je l’ai aussi observé avec
préoccupation et avec inquiétude parce qu’il repose sur
un malentendu d’origine. De quoi a-t-on parlé? On a parlé
d’accommodements raisonnables pour présenter aux
Québécois ce qui était tout le contraire. Ces
histoires qui ont fait les manchettes, puis je pense entre autres aux
vitres givrées du YMCA, à la note qui indiquait à
une policière qu’elle doit éviter de parler à un
Juif hassidique, à cet homme qui a dû sortir de la piscine
parce que des femmes musulmanes s’y baignaient, ce ne sont pas des
accommodements raisonnables, ce sont des arrangements qui sont
contraires aux valeurs de notre nation. Expulser un ambulancier d’une
cafétéria d’un hôpital juif, ce n’est pas
rechercher le compromis, c’est le contraire de l’accommodement
raisonnable. Et quand on dit: Voilà ce que sont les
accommodements raisonnables, comment peut-on s’étonner qu’un
sondage révèle que les Québécois soient
contre? Comment se surprendre que même certains élus en
viennent à souffler sur les braises de l’intolérance?
Malentendu
Il y a donc un malentendu d’origine sur ce qu’est un accommodement
raisonnable. Mais ce malentendu d’origine sur le terme ne rend pas les
incidents qu’on a rapportés plus acceptables. À travers
tout ce qui a été dit, même à travers les
dérapages qui se sont produits, il en ressort quelque chose. Il
en ressort l’expression d’un questionnement qu’on ne peut pas ignorer.
Il y a un débat fondamental sur la cohabitation entre les
différentes communautés et sur l’équilibre entre
les droits de la majorité et les droits des minorités, et
ce débat doit se faire. Mais pour qu’il nous fasse progresser,
il doit se faire sur les bases de la raison, il doit se nourrir de
faits, pas uniquement de perceptions. C’est le sens de mon intervention.
J’annonce donc, aujourd’hui, la formation d’une commission
spéciale d’étude sur les accommodements raisonnables. Son
appellation exacte est la Commission de consultation sur les pratiques
d’accommodements reliées aux différences culturelles.
Pour présider une telle commission, il faut des personnes qui
sont d’une envergure exceptionnelle, des personnes dont la
pensée a une portée universelle, tout en étant
profondément enracinées dans la réalité
contemporaine du Québec. L’historien et sociologue Gérard
Bouchard, rattaché à l’Université du Québec
à Chicoutimi, ainsi que l’auteur et philosophe Charles Taylor,
professeur émérite de l’Université McGill, seront
les coprésidents de cette commission. Je veux les remercier au
nom de tous les Québécois d’avoir accepté une
mission aussi délicate.
La Commission de consultation sur les pratiques d’accommodements
reliées aux différences culturelles aura un triple
mandat: premièrement, elle devra dresser un portrait
fidèle des pratiques d’accommodements reliées aux
différences culturelles. En d’autres mots, poser la question: De
quoi parle-t-on au juste? Deuxièmement, la commission
mènera une consultation dans les régions du Québec
pour savoir ce que les Québecois en pensent, au-delà des
sondages, puis au-delà des réactions spontanées
données à chaud; troisièmement, la commission
formulera des recommandations au gouvernement afin que les pratiques
d’accommodements soient respectueuses des valeurs communes des
Québécois.
La commission Bouchard-Taylor produira des recommandations qui seront
débattues par tous les partis qui sont représentés
à l’Assemblée nationale du Québec, et j’insiste
pour placer les travaux de cette commission dans un contexte non
partisan. Le sujet dont il est question se situe loin au-dessus de la
partisanerie, il se situe dans le coeur des Québécois et
au coeur de l’avenir de la société
québécoise.
Rapport dans un an
La commission pourra commencer ses travaux dès le mois de mars
et devra remettre son rapport dans un délai d’un an. Dans
l’intervalle, j’annonce que la Commission des droits de la personne et
de la jeunesse offrira un service d’information pour aider les
décideurs à traiter les questions d’accommodements. La
Commission des droits de la personne dispose de l’information
nécessaire permettant d’éclairer les décideurs
dans leurs réflexions et dans leurs décisions.
La cohabitation entre différentes communautés et la
recherche de l’équilibre entre les droits ne sont pas, en
passant, des défis qui sont propres ou uniques au Québec,
loin de là. Ce sont des défis qui sont propres à
notre époque. Ils sont vécus dans toutes les
sociétés d’accueil, et j’estime que le Québec, en
cette matière, est une société exemplaire. Nous
avons, à travers notre histoire, associé notre nation
à des centaines de milliers de personnes venues de tous les pays
du monde et issues de toutes les traditions et religions. Nous avons su
le faire dans la paix et dans le respect et surtout en affirmant,
pendant quatre cents ans, notre langue, notre culture, sur un continent
où nous ne faisons pas 3 % de la population. Lorsque vous mettez
tout cela bout à bout, vous ne pouvez conclure qu’une chose:
l’expérience québécoise en matière
d’immigration et d’intégration est une réussite. Notre
diversité est aujourd’hui l’une de nos plus grandes richesses,
et c’est pour moi une conviction inébranlable. Mais cela ne veut
pas dire que tout est figé. Il faut d’abord se donner les
moyens, comme société, d’avoir un dialogue qui est
réfléchi et respectueux, et la commission que nous
annonçons, aujourd’hui, nous permettra de faire un pas
très important afin de mieux servir les Québécois
dans un débat qui les touche de très près.