Le point de vue de l'imam Omar Koné
(Le téléjournal, Radio-Canada, 17 janvier 2007)


1. Vous avez dit: "société laïque"?

Cet imam, originaire du Mali, a fort bien exprimé le point de vue d'un certain type d'immigrant qui veut vivre, dans son pays d'adoption, exactement comme on le fait chez lui. Au premier tour de table, où les 4 participants formulaient d'abord leur point de vue à tour de rôle (il est passé en troisième, après Bernard Landry (ex-premier ministre du Québec) et Maître Julius Gray, il a dit:

"Fondamentalement, la foi fait partie intégrante des individus. Malgré le respect pour les positions républicaines (sic) et les positions d'assimilation (sic) de Maître Gray, il est important de savoir que cette spécificité culturelle, cette spécificité religieuse, au même titre que la spécificité du Québec, qui l'a demandée de façon très forte, doit être tenue en compte."

Dans sa troisième intervention, il est allé un peu plus loin pour faire comprendre ce que cela voulait dire:

"Il y a un point qu'il est important de souligner, et qui, j'ai l'impression, n'est pas compris, un petit peu, dans cette société d'accueil, où la religion est un fait de la sphère privée. Il y a, dans les traditions orientales, une notion complètement différente, où la religion n'est pas une chose de la sphère privée, est un mode de vie qui se vit 24 heures sur 24, et qui est est une façon de participer à la société, selon  les principes mêmes de la religion. Donc, demander à des gens qui ont cela dans leur culture, dans leur façon de faire, d'en faire table rase et de revenir en disant: "Nous, ici, on a une vision autre"...  - Laissez les gens choisir. Personne n'a forcé la Révolution tranquille, ce sont les Québécois eux-mêmes qui se la sont donnée et qui l'ont faite. Donc, laissez les gens faire le choix qu'ils veulent."

Voilà clairement établie le fait que des gens comme lui ne veulent pas vivre dans une société laïque comme la nôtre, une société qui n'est pas, qui n'est plus basée sur les principes religieux  (soit dit en passant, non pas les principes de "la" religion, comme il le dit, mais d'une religion). Non, ils veulent vivre, et instaurer, une société religieuse, théocratique, comme celle qu'ils ont connue et qu'ils veulent perpétuer ailleurs. Si, comme Koné nous l'a dit, "en Orient, la spiritualité est intégrée dans la vie de tous les jours", nous sommes ici en Occident, et plus précisément en Amérique du Nord, où les pouvoirs de l'Etat et de la religion sont séparés. Faut-il tenir à cette séparation, ou y renoncer? Dans le débat qui, forcément, aura lieu, il nous faudra bien répondre à cette question.

Notez qu'il a parlé des positions "républicaines" et  d'assimilation de Julius Gray, l'avocat défendant des causes d'accommodements raisonnables et pour lesquels il se montre très souple. 1) Pourquoi avoir utilisé le mot "républicaines"? Nous ne sommes pas dans une République, et je voudrais bien savoir, quant à moi, ce qu'une république représente pour l'imam Koné et son désir de vivre dans une société théocratique. 2) En utilisant le mot "assimilation" et non "intégration", Omar Koné a bien l'air de percevoir tout refus, voire même toute hésitation à accepter un accommodement, raisonnable ou pas, comme un désir d'assimilation de la part du pays d'accueil. On peut s'imaginer, alors, que d'intégration, il n'est point question: toute concesssion aux valeurs, us et coutumes du pays d'accueil serait perçue et vécue comme une assimilation, donc comme une disparition d'une de ses composantes culturelles qui doivent rester intégralement intactes. Dans le contexte de la laïcité, il est impératif de tenir compte de cet énoncé, ici on ne peut plus clairement formulé, et de déterminer si, oui ou non, une société laïque peut accepter que la sphère publique soit envahie par la sphère religieuse.

2. Vous avez dit: "s'intégrer à la société québécoise"?

Après que Koné ait dit qu'en Orient, la spiritualité était intégrée à la vie de tous les jours, Bernard Landry a rétorqué: "Ici, ce n'est pas ça. Vous avez choisi notre pays, parce que vous l'aimez, et parce que vous nous aimez... N'auriez-vous pas, vous aussi, à accepter des accommodements raisonnables pour mieux vous intégrer? - Ce sur quoi Omar Koné a fait une curieuse et passablement étonnante  intervention, parlant des Français qui sont arrivés sur le continent:

"Vos ancêtres ont choisi ce pays, n'ont pas laissé ce pays aux Indiens, aux nations autochtones, l'intégralité de ce pays. On me dira: "Oui, mais nous avons par la suite bâti ce pays." On entre dans l'ère d'émigration. Il va y avoir un foisonnement total à la grandeur de la planète." - Bernard Landry: "Vous ne voulez pas balayer quatre siècles d'histoire! - Koné: "Je ne veux pas renoncer à la mienne, non plus."

Quel est le sens de cette comparaison entre la colonisation française et l'immigration en terre québécoise? Je ne suis pas loin de flairer ceci: "Vos ancêtres sont venus sur cette terre et ont pris toute la place. Pourquoi ne ferions-nous pas la même chose, si nous arrivons à y implanter notre religion, nos valeurs et nos coutumes à la majorité des gens de ce pays?" - En admettant que le raisonnement se tienne, on est presque obligé de conclure qu'il y a péril en la demeure...



1