1. Vous avez dit:
"société laïque"?
Cet imam, originaire du Mali, a fort bien exprimé le point de
vue d'un certain type d'immigrant qui veut vivre, dans son pays
d'adoption, exactement comme on le fait chez lui. Au premier tour de
table, où les 4 participants formulaient d'abord leur point de
vue à tour de rôle (il est passé en
troisième, après Bernard Landry (ex-premier ministre du
Québec) et Maître Julius Gray, il a dit:
"Fondamentalement, la foi fait partie
intégrante des individus. Malgré
le respect pour les positions républicaines (sic) et les positions
d'assimilation (sic) de
Maître Gray, il est important de savoir que cette
spécificité
culturelle, cette spécificité religieuse, au même
titre que la
spécificité du Québec, qui l'a demandée de
façon très forte, doit être
tenue en compte."
Dans sa troisième intervention, il est allé un peu plus
loin pour faire comprendre ce que cela voulait dire:
"Il y a un point qu'il est important de
souligner, et qui, j'ai
l'impression, n'est pas compris, un petit peu, dans cette
société
d'accueil, où la religion est un fait de la sphère
privée. Il y a, dans
les traditions orientales, une notion complètement
différente, où la
religion n'est pas une chose de la sphère privée, est un
mode de vie qui
se vit 24 heures sur 24, et qui est est une façon de participer
à la
société, selon les principes mêmes de la
religion. Donc, demander à des
gens qui ont cela dans leur culture, dans leur façon de faire,
d'en
faire table rase et de revenir en disant: "Nous, ici, on a une vision
autre"... - Laissez les gens choisir. Personne n'a forcé
la Révolution
tranquille, ce sont les Québécois eux-mêmes qui se
la sont donnée et
qui l'ont faite. Donc, laissez les gens faire le choix qu'ils veulent."
Voilà clairement établie le fait que des gens comme lui
ne veulent pas vivre dans une société laïque comme
la
nôtre, une société qui n'est pas, qui
n'est plus basée sur les
principes religieux (soit dit en passant, non pas les principes
de "la"
religion, comme il le dit, mais d'
une
religion). Non, ils veulent vivre, et instaurer, une
société religieuse, théocratique, comme celle
qu'ils ont connue et
qu'ils veulent perpétuer ailleurs. Si, comme Koné nous
l'a dit,
"en Orient, la spiritualité est intégrée dans la
vie de tous les jours", nous sommes ici en Occident, et plus
précisément en Amérique du Nord, où les
pouvoirs de l'Etat et de la religion sont séparés.
Faut-il tenir à cette séparation, ou y renoncer? Dans le
débat qui, forcément, aura lieu, il nous faudra bien
répondre à cette question.
Notez qu'il a parlé des positions "
républicaines" et
d'assimilation de Julius Gray,
l'avocat défendant des causes d'accommodements raisonnables et
pour lesquels il se montre très souple. 1) Pourquoi avoir
utilisé le mot "républicaines"? Nous ne sommes pas dans
une République, et je voudrais bien savoir, quant à moi,
ce qu'une république représente pour l'imam Koné
et son désir de vivre dans une société
théocratique. 2) En utilisant le mot "assimilation" et non
"intégration", Omar Koné a bien l'air de percevoir tout
refus, voire même toute hésitation à accepter un
accommodement, raisonnable ou pas, comme un désir d'assimilation
de la part du pays d'accueil. On peut s'imaginer, alors, que
d'intégration, il n'est point question: toute concesssion aux
valeurs, us et coutumes du pays d'accueil serait perçue et
vécue comme une assimilation, donc comme une disparition d'une
de ses composantes culturelles qui doivent rester intégralement
intactes. Dans le contexte de la laïcité, il est
impératif de tenir compte de cet énoncé, ici on ne
peut plus clairement formulé, et de déterminer si, oui ou
non, une société laïque peut accepter que la
sphère publique soit envahie par la sphère religieuse.
2. Vous avez dit: "s'intégrer
à la société québécoise"?
Après que Koné ait dit qu'en Orient, la
spiritualité
était intégrée à la vie de tous les jours,
Bernard Landry a rétorqué: "Ici, ce n'est pas ça.
Vous
avez choisi notre pays, parce que vous l'aimez,
et parce que vous nous aimez... N'auriez-vous pas, vous aussi, à
accepter
des
accommodements raisonnables pour mieux vous intégrer? - Ce sur
quoi Omar Koné a fait une curieuse et passablement
étonnante intervention, parlant des Français qui
sont arrivés sur le continent:
"Vos ancêtres ont choisi ce pays,
n'ont pas laissé ce pays aux Indiens,
aux nations autochtones, l'intégralité de ce pays. On me
dira: "Oui,
mais nous avons par la suite bâti ce pays." On entre dans
l'ère
d'émigration. Il va y avoir un foisonnement total à la
grandeur de la
planète." - Bernard Landry: "Vous ne voulez pas balayer quatre
siècles d'histoire! - Koné: "Je ne veux pas renoncer
à la mienne, non plus."
Quel est le sens de cette comparaison entre la colonisation
française et l'immigration en terre québécoise? Je
ne suis pas loin de flairer ceci: "Vos ancêtres sont venus sur
cette terre et ont pris toute la place. Pourquoi ne ferions-nous pas la
même chose, si nous arrivons à y implanter notre religion,
nos valeurs et nos coutumes à la majorité des gens de ce
pays?" - En admettant que le raisonnement se tienne, on est presque
obligé de conclure qu'il y a péril en la demeure...