Jean Giraudoux, Electre, acte I, scène 11 (intégrale)
 

LE MENDIANT, ELECTRE,
ORESTE, CLYTEMNESTRE,
LES PETITES EUMENIDES
 

CLYTEMNESTRE. Ainsi c'est toi, Oreste ?
ORESTE. Oui, mère, c'est moi.
CLYTEMNESTRE. C'est doux, à vingt ans, de voir une mère ?
ORESTE. Une mère qui vous a chassé, triste et doux.
CLYTEMNESTRE. Tu la regardes de bien loin.
ORESTE. Elle est ce que j'imaginais.
CLYTEMNESTRE. Mon fils aussi. Beau. Souverain. Et pourtant je m'approche.
ORESTE. Moi non. A distance c'est une splendide mère.
CLYTEMNESTRE. Qui te dit que de près sa splendeur subsiste ?
ORESTE. Ou sa maternité ?... C'est bien pour cela que je reste immobile.
CLYTEMNESTRE. Un mirage de mère, cela te suffit ?
ORESTE. J'ai eu tellement moins jusqu'à ce jour. A ce mirage du moins je peux dire ce que je ne dirai jamais à ma vraie mère.
CLYTEMNESTRE. Si le mirage le mérite, c'est déjà cela. Que lui dis-tu ?
ORESTE. Tout ce que je ne te dirai jamais. Tout ce qui, dit à toi, serait mensonge.
CLYTEMNESTRE. Que tu l'aimes ?
ORESTE. Oui.
CLYTEMNESTRE. Que tu la respectes ?
ORESTE. Oui.
CLYTEMNESTRE. Que tu l'admires ?
ORESTE. Sur ce point seul mirage et mère peuvent partager.
CLYTEMNESTRE. Pour moi, c'est le contraire. Je n'aime pas le mirage de mon fils. Mais que mon fils soit lui-même devant moi, qu'il parle, qu'il respire, je perds mes forces.
ORESTE. Songe à lui nuire, tu les retrouveras.
CLYTEMNESTRE. Pourquoi es-tu si dur ? Tu n'as pas l'air cruel, pourtant. Ta voix est douce.
ORESTE. Oui. Je ressemble point par point au fils que j'aurais pu être. Toi aussi d'ailleurs ! A quelle mère admirable tu ressembles en ce moment. Si je n'étais pas ton fils, je m'y tromperais.
ELECTRE. Alors, pourquoi parlez-vous tous deux ? Que penses-tu gagner, mère, à cette ignoble coquetterie maternelle ? Puisque au milieu de la nuit, des haines, des menaces, s'est ouvert une minute ce guichet qui permet à la mère et au fils de s'entrevoir tels qu'ils ne sont pas, profitez-en, et refermez-le. La minute est écoulée.
CLYTEMNESTRE. Pourquoi si vite ? Qui te dit qu'une minute d'amour maternel suffise à Oreste ?
ELECTRE. Tout me dit que toi tu n'as pas droit, dans ta vie, à plus d'une minute d'amour filial. Tu l'as eue. Et comble... Quelle comédie joues-tu ? Va-t'en...
CLYTEMNESTRE. Très bien. Adieu.
UNE PETITE EUMENIDE, apparaissant derrière les colonnes. Adieu, vérité de mon fils.
ORESTE. Adieu.
SECONDE PETITE EUMENIDE. Adieu, mirage de ma mère.
ELECTRE. Vous pouvez vous dire au revoir. Vous vous reverrez.
 
 

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