Parménide

  1. En philosophie, le premier raisonnement déductif soutenu (le premier de toute la littérature européenne) est antérieur à Hippocrate de quelques décennies. Il s’agit du poème philosophique de Parménide qui, pense-t-on généralement, date des alentours de 480 av. J.-C. Ce que Parménide appelle la " Voie de la vérité " prend comme point de départ la proposition " il est ". Une manière de comprendre ceci consiste à penser qu’il affirme qu’une enquête, pour aboutir doit être une enquête sur quelque chose : elle doit avoir un objet. Cependant, Parménide s’attache ensuite à montrer toute une série de conclusions hautement absurdes, par exemple que le venir-à-l’être et le changement sont tous deux impossibles. Le venir-à-l’être doit être exclu parce que la seule chose dont " il "pourrait venir est ce qui n’est pas, et rien ne peut venir à l’être à partir du non-existant absolu. Appliquons cela au monde en général et nous pouvons voir la force de l’argument : il est difficile de comprendre ce que cela signifierait de dire qu’il est venu de rien. En outre, Parménide rend les choses bien claires en demandant pourquoi il devrait en être ainsi à un moment plutôt qu’à n’importe quel autre ; et s’il s’agit là aussi d’une bonne question pour la théorie du big bang ou toute autre théorie cosmogonique. Mais Parménide ne s’intéresse pas seulement à un venir-à-l’être indifférencié, pour ainsi dire, mais à toute sorte ; en effet, il poursuit son exposé en réfutant aussi le changement, justement parce qu’il implique un venir-à-l’être (c’est-à-dire du nouvel état de choses créé par le changement supposé) et le venir-à-l’être vient d’être exclu.

L’interprétation de la philosophie de Parménide est fort discutée, mais ce n’est pas le contenu de son argumentation qui nous intéresse ici : c’est la forme, et il n’y a pas de doute sérieux. A l’évidence, il essaye de parvenir à un ensemble de conclusions irréfutables par des raisonnements déductifs à partir d’un point de départ qu’il faut accepter. Même ainsi la terminologie qu’il emplie pour décrire lui-même ce qu’il fait est très limitée. Ce n’est pas seulement qu’il ne dispose pas de termes pour décrire les différents schémas d’argumentation qu’il emploie, tels que reductio ou modus tollens. Il n’a pas de mots pour déduction, ni pour prémisses. Ce que l’on appelle généralement la " prémisse " de la " Voie de la vérité ", l’énoncé " il est ", est simplement la " voie " que Parménide dit qu’il suivra. Certes, il propose ce qu’il appelle un elenchos (fr. 7, 5 sqq.) très disputé, et on a parfois pensé que le mot pouvait être traduit par " preuve ". Toutefois, il semble plus vraisemblable que le sens premier soit ici celui de réfutation –comme l’elenchos des dialogues de Platon où Socrate expose les incohérences dans les croyances de ses interlocuteurs. Quant à la série de conclusions exposées dans la suite de la " Voie de la vérité ", elles sont simplement introduites par la remarque qu’il y a beaucoup de repères ou marques, sêmata, en ce qui concerne cette voie, par exemple qu’elle est inengendrée, indestructible et ainsi de suite. (p. 130-131)

…Parménide en vint à nier entièrement le changement…Il part d’un énoncé tout simple, " il est ", puis il nie la possibilité que quelque chose vienne à l’être (sous prétexte que cela ne peut pas venir de ce qui n’est pas, compris ici, semble-t-il comme le non-existant absolu), et il conclut que le changement doit être lui aussi exclu, puisqu’il présuppose un venir-à-l’être (à savoir le nouvel état de choses produit par le changement postulé), et le venir-à-l’être vient justement d’être écarté….volonté évidente d’exprimer une opinion qui va à l’encontre de toute expérience physique.(180)

- Lloyd, Geoffrey E.R., Pour en finir avec les mentalités, La Découverte, 1993.

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