HIP-HOP
Aussi étonnant que cela puisse paraître, avec le rap, il se passe aussi quelque chose sur scène. Pour autant que les artistes daignent s'y produire. Car la ponctualité n'est pas leur fort. «Nous organisions un concert avec le groupe Troisième il, se souvient Joan Paolo Gallo. Nous les attendions à 10 h du matin. En fait, deux avaient raté le train, trois n'avaient pas de pièce d'identité pour entrer en Suisse et deux étaient fatigués. A l'inverse, tu attends dix personnes et ils viennent à quatorze. Il faut payer le voyage pour tous Quand tu mets sur pied un concert de rap, tu sais que la journée sera très longue.» Fri-Son attendait Ol Dirty Bastard. La date était confirmée, l'avance quelques milliers de francs avait été versée. «On n'a jamais vu l'artiste et nous n'avons jamais revu l'argent. C'est des trucs qui n'arrivent qu'avec les rappeurs», regrette Philippe Henschel.
Pas «The Killer», son cousin
Terreur des organisateurs: le Wu-Tang Clan, ou plutôt «la clique du Wu-Tang Clan» pour reprendre les termes d'un programmateur, qui groupe les plus grands noms du rap new-yorkais. Sébastien Vuignier, du Paléo et de l'agence Nouba, qui organise des tournées, relate son expérience: «Le gars du Wu-Tang Clan est censé sillonner l'Europe avec un groupe et un bus. Deux semaines avant le concert prévu en Suisse, on apprend qu'en fait de groupe, il n'y a plus qu'un DJ paraît-il "killer" et deux potes. Quelques jours plus tard, on découvre qu'ils débarquent en avion et qu'ils n'ont prévu aucun moyen de locomotion» Et le jour du concert, que reste-t-il du Wu-Tang Clan, de son groupe et de son bus? «Arrive un gars, tout seul, flanqué de sa copine qui se contente de passer une cassette DAT dans l'enregistreur. Malaise. Car le cachet, payé d'avance, n'a pas baissé.» Floué, l'organisateur peut toujours essayer de parlementer avec l'entourage, des copains de la star bombardés managers ou gardes du corps, par les hasards de la naissance et de la morphologie. «The Killer» n'a pas pu venir, mais son cousin est là et il serait malvenu de se plaindre.
Et même lorsque toutes les conditions sont réunies, que l'artiste en personne se déplace, que le public se contente d'un rôle passif, le malaise flotte dans la salle. Car les clubs suisses n'adhèrent pas à l'idéologie du rap. «Les scènes suisses viennent de la mouvance rock alternative, rappelle Sébastien Vuignier, et elles ne se sentent souvent pas concernées par le rap ou ne supportent pas les clichés banlieue-basket.» C'est précisément ce que décrit Nadya, de la Rote Fabrik zurichoise: «Même si la musique est excellente, il est certain qu'un rappeur comme Bounty Killer, homophobe et plutôt macho, ne cadre pas du tout avec la ligne politique de la Rote Fabrik. On doit dès lors y renoncer sous peine de scandale interne.»
Qui sème le vent ne récolte pas toujours le tempo.