Ni registre, ni directive au gouvernement
Christine Fréchette, féministe, Najda Pollaert,
immigrante, Le Devoir, 7 fév 07
Nous avons récemment contacté cinq ministères
importants afin de connaître le nombre et la nature des demandes
d’accommodements raisonnables qu’ils avaient reçues à ce
jour, soit les ministères des Affaires municipales et des
Régions; de l’Éducation, du Loisir et du Sport; de
l’Emploi et de la Solidarité sociale; de la Famille, des
Aînés et de la Condition féminine; de l’Immigration
et des Communautés culturelles. Cette petite enquête nous
a révélé qu’aucun des ministères
interpellés n’a tenu de registre sur le traitement des demandes
d’accommodements raisonnables. Surpris, ils ne pouvaient pas nous
répondre.
Nous souhaitions en effet en connaître davantage sur la question
des accommodements que ce que les journaux nous offraient. Or force est
de constater que les médias détiennent à ce jour
le seul "registre" auquel nous puissions nous référer. Il
nous est donc impossible de connaître l’ampleur de ce
phénomène, la nature des demandes d’accommodements
raisonnables ainsi que le traitement qui en a été fait
par nos institutions. Une première mesure à prendre
consisterait à s’assurer que nos institutions publiques tiennent
un registre sur les demandes d’accommodements raisonnables et le
traitement qui en a été fait.
Aucune directive
Un second constat inquiétant réfère au fait que
les fonctionnaires ne disposent pas de directives quant aux
réponses à offrir aux demandes d’accommodements
raisonnables. Par définition, les fonctionnaires ne
créent pas les règles, ils les appliquent. À
l’heure actuelle, l’absence de directive les mène à
devoir définir, au meilleur de leur connaissance, les
réponses à donner aux diverses requêtes. Il importe
de souligner que, ce faisant, ils se prononcent en notre nom. Certains
souligneront que ces directives sont inscrites dans les chartes des
droits et libertés québécoise et canadienne. Mais
celles-ci comportent des limites. Les chartes établissent la
liste des droits protégés au Québec et au Canada
mais ne permettent pas de trancher lorsque certains de ces droits
entrent en conflit les uns avec les autres. Les chartes n’indiquent pas
ce qui doit primer entre le droit à l’égalité
entre les femmes et les hommes et le droit à la liberté
de religion. C’est là que des choix doivent être faits. Et
ce n’est pas aux sous-ministres de faire ces choix, cela relève
des représentants politiques.
D’autres diront que la Commission des droits de la personne existe
précisément pour traiter de telles demandes. D’une part,
seule une portion des demandes d’accommodements se rend jusqu’à
la Commission des droits, c’est-à-dire celles pour lesquelles la
médiation a échoué. D’autre part, la Commission
juge un conflit à partir d’une grille d’analyse strictement
juridique. Or le temps est venu de porter également un regard
politique sur notre façon de gérer les demandes
d’accommodements raisonnables. Nous constatons qu’il nous faut
établir une hiérarchie entre les divers droits inscrits
dans la charte, laquelle reflétera notre échelle de
valeurs comme société. Ce n’est pas une mince
tâche, mais c’est celle à laquelle nous faisons face. Nous
avons la responsabilité de définir qui nous sommes,
Québécois de toutes origines confondues, et ce qui, pour
nous, relève du non-négociable.
Pour y parvenir, la création d’une commission itinérante
regroupant des députés, des dirigeants d’organismes
publics et parapublics et des élus municipaux constituerait une
première étape. Cette commission aurait comme mandat de
définir l’échelle des valeurs qui nous caractérise
et à partir de laquelle les demandes d’accommodements devront
être traitées au sein des institutions publiques. Cette
commission se chargerait de recevoir les propositions et les
suggestions des organismes et des individus interpellés par
cette question. Les conclusions de cette commission serviront à
définir les balises qui assureront la cohérence d’action
dans l’ensemble des institutions publiques, laquelle fait grandement
défaut.
En somme, nous interpellons les élus, tous ordres de
gouvernement confondus, afin qu’ils s’engagent dans ce débat
avant qu’il ne dégénère davantage.