Les "vraies affaires"
Nathalie Collard, La Presse, mercredi 31 janvier 2007
Il n’y a pas que les élus d’Hérouxville qui craignent les
abus des accommodements raisonnables. La France songe à se doter
d’une charte de la laïcité en réponse aux incidents
parfois violents qui ont lieu sur son territoire, surtout dans ses
hôpitaux. Dans l’avis du Haut Conseil à
l’intégration qui vient d’être déposé au
bureau du premier ministre de Villepin, on réitère le
principe de neutralité qui devrait, dit-on, s’appliquer autant
aux employés qu’aux usagers des services publics. On rappelle
ainsi que les employés de l’État qui manifestent leurs
convictions religieuses dans l’exercice de leurs fonctions manquent
à leurs obligations. On déclare également qu’il
est interdit aux utilisateurs de ces services de "récuser un
employé de l’État ou d’exiger l’adaptation du
fonctionnement en raison de conviction religieuse". Bref, les auteurs
de ce document estiment que la laïcité passe avant la
liberté de religion.
"C’est l’échec du vivre ensemble", a réagi le quotidien
Le Monde en éditorial. Il n’a pas tort. Ce document trahit
l’impuissance des Français à intégrer ses
minorités. Il faut dire qu’en France, contrairement à
Hérouxville, on fait face à des tensions très
fortes qui n’ont pas grand-chose à voir avec les accrochages
mineurs qui ont été recensés au Québec au
cours des dernier mois. Un homme qui s’en prend physiquement à
un médecin parce que ce dernier a administré un examen
gynécologique à sa femme, une employée
d’hôpital sérieusement agressée par des patients
musulmans mécontents, etc. La situation est à ce point
grave que les gynécologues ont senti le besoin d’émettre
un communiqué pour déclarer qu’ils ne se laisseraient pas
intimider tandis que dans certaines salles d’attente d’hôpitaux
français, on trouve désormais des affiches avertissant
que le corps médical est mixte.
Il faut souhaiter que le Québec n’en arrive pas là.
Depuis plusieurs mois, les Québécois sont engagés
dans un débat nécessaire autour de la question des
accommodements raisonnables. Ce débat va probablement se
poursuivre au cours des prochains mois. Il sera important de nuancer,
de faire la différence entre les véritables
accommodements raisonnables d’une part, et les situations tirées
par les cheveux d’autre part. Dans ce contexte, la consultation que
s’apprête à lancer la Commission des droits de la personne
est on ne peut plus pertinente. L’objectif est important: un grand
déblayage afin de savoir une fois pour toutes de quoi il est
question. Combien de demandes d’accommodements raisonnables sont faites
chaque année, et pour quelles raisons exactement? Est-il exact
qu’elles proviennent toutes des nouveaux arrivants au pays? Il est plus
que temps de brosser un portrait réaliste de la situation.
Les organisations québécoises – syndicats, organismes
publics, entreprises – seront invitées à rendre compte de
ce qui se passe entre leurs murs. Ensuite, la Commission pourra
rédiger un rapport qui lui permettra de lancer une vaste
consultation sur des questions bien précises: faut-il modifier
nos lois, revoir notre politique d’immigration ou encore, adopter un
énoncé des grands principes qui régissent la
société québécoise? Cet exercice, bien que
long et fastidieux, est nécessaire si nous voulons "parler des
vraies affaires".