Qui sont les juifs hassidiques?


Hassidim: une bien timide ouverture
Jean-Christophe Laurence,  La Presse, 3 fév 07

Ils ne connaissent pas Saku Koivu. Ne regardent pas Tout le monde en parle. N'ont jamais écouté Céline Dion ou Star Académie. Anachroniques et hermétiques, ils vivent à Montréal dans un monde parallèle, créé selon les préceptes de la Torah. Combien de temps résisteront-ils au monde qui les entoure? Telle est la question...

Qui sont les Juifs hassidiques? Difficile à dire. Même si on les remarque de loin sur le trottoir, avec leurs chapeaux noirs, leurs boudins et leur trâlées d'enfants, on ne connaît ni leur langue (le yiddish), ni leur culture religieuse, ni leur façon de vivre au quotidien. Leur univers est opaque, intriguant, inaccessible. Pas facile d'y pénétrer. "La meilleure chose à faire, c'est de ne pas vous occuper de nous", lance carrément Yakov, un hassidim tenant boutique dans le quartier Outremont, qui refuse d'être identifié sous son vrai nom. Bref, la loi du silence règne quand vient le temps de causer juifs orthodoxes. Et pas seulement dans la communauté. Plusieurs Québécois interrogés, qui ont côtoyé de près ou de loin les Hassidim, dans de bons ou de moins bons contextes, ont soit refusé d'être cités, soit refusé d'être nommés. Comme si l'on s'interdisait, par peur ou par pudeur, de dévoiler ce que l'on sait. Il est vrai que la tension est parfois palpable entre nos deux communautés, particulièrement dans le quartier Outremont, où résident la majorité des quelque 12,000 hassidim montréalais. Les controverses autour du YMCA et des écoles juives illégales ont accentué un malaise qui dure depuis longtemps. Des pétitions ont été signées pour s'opposer aux pratiques ou à l'achat de maisons de ces voisins "excentriques". D'un côté comme de l'autre, il y a eu des menaces, des ripostes, des représailles. Et surtout, beaucoup d'incompréhensions. Incompréhensions qui devront bien un jour être résolues puisque les Hassidim sont là pour rester. Avec un taux de natalité supérieur à 6%, les juifs ultra orthodoxes vivent dans un perpétuel baby boom. On prévoit qu'en 2030, ils seront près de 40,000 dans la grande région de Montréal, soit trois fois plus nombreux qu'aujourd'hui.

Les retombées de Lekhaim!
Cela dit, le voile semble vouloir se lever - un peu - sur cette fascinante communauté secrète. En 2006, loin des débats sur l'accommodement raisonnable, un chanteur et deux écrivaines ont révélé un autre visage de la culture hassidique: celui du plaisir et de l'intimité. Avec Youth, un improbable album de "reggae cachère", le new-yorkais Matisyahu est devenu la première vedette hassidique "crossover" de l'Histoire - preuve qu'on peut être à la fois ultra orthodoxe et fan de Bob Marley. Son succès (auprès des non Juifs, notamment) a été tel, que la compagnie Epic vient de lancer un nouvel album du chanteur (No Place to Be) à peine six mois après Youth. En librairie, la Québécoise Myriam Beaudouin a lancé le roman Hadassa, témoignage privilégié - quoique romancé - sur son expérience de prof de français dans une école pour jeunes filles juives. Avec Lekhaim! enfin, Malka Zipora raconte - de l'intérieur cette fois - la vie d'une mère de famille hassidique d'Outremont et de ses 12 enfants. D'abord publiées en yiddish dans un journal juif aux États-Unis, puis traduites en français aux Éditions du Passage, ces chroniques du quotidien ont connu un impressionnant succès en librairie (près de 5,000 ventes) confirmant l'insatiable curiosité des Québécois pour cette communauté inaccessible. Selon Julia Duchastel, directrice des éditions du Passage, aucun doute: Lekhaïm! a fait le pont entre deux cultures. "Depuis que le livre est sorti, on a beaucoup d'échos de rapprochements dans les quartiers, entre notre communauté et la leur. Et on n'a jamais reçu autant de courrier des lecteurs, toutes sortes de gens, hommes ou femmes, qui voulaient en savoir plus. Plus sur la vie avec le mari, avec les enfants ou même leur vie sexuelle. Oui, ça a définitivement ouvert le dialogue."

Cultiver le secret
Mais il en faudra plus pour entretenir le contact. Même si on a l'impression de les connaître un peu mieux, les Juifs hassidiques demeurent farouchement fermés à notre univers. Fuyant la Shoah au début des années 1940, les Hassidim n'ont jamais été attirés par le rêve américain. S'ils sont venus en Amérique, c'est d'abord pour vivre et pratiquer leur religion sans être persécutés. Pour survivre, ils ont créé une enclave leur permettant de prendre ce qu'ils aimaient de l'Amérique, tout en rejetant le "méchant". Les Hassidim ne vont pas à l'université, qu'ils considèrent comme une perte de temps (au détriment des études pieuses) et un haut-lieu de tentation (des gars qui jasent philo avec des filles: attention!). Résultat: on ne trouve ni avocats, ni médecins, ni profs d'université chez les Juifs hassidiques qui doivent se contenter de professions plus modestes. La plupart d'entre eux n'ont pas la télévision, qu'ils considèrent comme un "poison pour l'esprit". Pour ce qui est de la musique pop païenne, oubliez ça. Vous ne trouverez jamais un disque des Beatles ou de Céline chez les Hassidim, qui n'écoutent que des chanteurs "religieusement corrects". - "Ça commence avec les Beatles et après c'est quoi?", demande Yakov (nom fictif), un Hassid qui tient boutique dans le quartier Outremont. "Quand j'entends Céline Dion à la radio, je la ferme. Tout simplement. Je ne dis pas que c'est péché. Je dis simplement que ce qui est bon pour vous ne l'est pas nécessairement pour nous."

Plus branchés qu'on le pense
Peut-on vraiment, en 2007, être aussi imperméable au monde qui nous entoure? Contrairement aux Amish, qui ont choisi l'isolement géographique, les Hassidim sont soumis à la pub, aux magazines, aux unes de journaux. Ils voient les minijupes et des hommes qui se promènent main dans la main. Ils sont assiégés par la modernité. Jusqu'à quel point peuvent-ils ignorer notre réalité? Sont-ils aussi fermés qu'on le croit? Pas certain, répond Pierre Anctil, spécialiste de la question juive à Montréal. Pour cet anthropologue, directeur de l'Institut d'études canadiennes à l'Université d¹Ottawa, il est évident que les Hassidim "en savent plus que ce qu'ils laissent transparaître." Entre les branches, on chuchote d'ailleurs que certaines familles auraient des téléviseurs cachés dans les garde-robes. Un Hassidim nous a même avoué avoir le câble "pour écouter les nouvelles à CNN". Vrai ou faux? Chose certaine, l'informatique elle, est de plus en plus présente dans l'univers hassidique. Pour des raisons professionnelles, la communauté n'a pas eu le choix d'adopter les nouvelles technologies, même si l'ordinateur leur semble encore plus "poison" que la télévision, pour toutes sortes de raisons que l'on devine, du site porno aux blogues d'Hassidim défroqués. "Il y a 15 ans, Internet n'existait pas. Aujourd'hui, Internet leur permet un contact avec le monde extérieur", souligne William Shaffir, prof de sociologie à l'université McMaster de Hamilton. M. Shaffir dit avoir été très impressionné par l'attirail technologique aperçu dans les bureaux de la communauté Tash de Boisbriand. "Vous seriez surpris", ajoute-t-il.

Une ouverture indirecte
Prof à l'UQÀM et auteur du livre Les Juifs hassidiques, dans la collection Que sais-je?, Julien Bauer confirme: on assiste actuellement à une "ouverture indirecte" de la communauté. Mais selon lui, ce sont les femmes, plus scolarisées (dans le sens laïque du terme. Elles finissent généralement leur secondaire V), qui sont en train de faire la différence. "Leur niveau d'éducation grimpe. Elles en savent plus que leurs mères ou leurs grand-mères. Elles ont une vision d'ensemble du monde et de l'Histoire qu'elles peuvent exprimer mieux que leurs maris (qui se limitent à l'étude religieuse) et qu'elles peuvent léguer à leurs enfants." Tout le défi, maintenant, sera de préserver les traditions, tout en améliorant les rapports avec le monde extérieur. Pour Pierre Anctil, le mouvement de réconciliation serait amorcé. "Je ne dis pas que les nouvelles générations seront moins fidèles au style de vie hassidique, mais elles sont conscientes qu'elles devront un jour se préparer à travailler dans notre monde, afin de subvenir aux besoins de leurs familles. L'idée de passer leur vie entière à étudier dans une école religieuse est une option qui semble de moins en moins envisagée. "Cela dit, on ne se contera pas d'histoires: les Hassidim auront toujours une pièce à part dans la maison."


2e texte: Hassidim: une communauté, plusieurs branches
(ibid)

Après New York et Jérusalem, Montréal abrite une des plus importantes communautés ultra orthodoxes au monde. Fuyant l'Holocauste, les premiers hassidim sont arrivés au Canada vers 1941-1942, via Vancouver et l'Asie. Ils se sont installés à Montréal parce que c'était alors la ville la plus juive du pays, offrant un "réseau casher" déjà bien établi et la meilleure garantie d'une structure sensible à l'orthodoxie. D'après une étude du Combined Jewish Appeal, il y avait plus de 11,000 ultra orthodoxes à Montréal en 2003, soit 12 % de la population juive montréalaise. Mais pour William Shaffir, professeur à l'Université McMaster de Hamilton et spécialiste de la question, ce chiffre ne dépasserait pas 10,000 en ce qui concerne les hassidim de stricte obédience. "Les données précises sont toujours très difficiles à obtenir quand il s'agit de cette communauté. Posez une question à sept personnes différentes et vous aurez sept réponses différentes." À noter que ces chiffres devraient augmenter de façon exponentielle au cours des prochaines années, ce qui fera des hassidim la plus importante communauté juive à Montréal.

Des groupes différents
Tous les hassidim ne se ressemblent pas. Mais tous obéissent rigoureusement aux commandements de la Torah (équivalent de l'Ancien Testament). Chaque branche, ou "cour" (comme dans cour royale, le roi étant Dieu) possède ses petites particularités, que ce soit dans le code vestimentaire, le rapport au monde extérieur ou la pratique liturgique. Les communautés les plus importantes comptent quelque 250 familles chacune:

- Concentrés dans Snowdon, les Loubaavitch portent le borsalino (chapeau à la Al Capone), mais pas les boudins. Ce sont les plus "ouverts" sur la modernité. Leur mission est de parcourir le vaste monde pour ramener les juifs non pratiquants au bercail.
- Habiles businessmen, les Satmar seraient les plus riches, notamment à cause de leur participation au commerce du diamant. Tout comme les Belz et les Vishnitz, ils sont installés à Outremont et dans le Mile End. La synagogue derrière le YMCA de l'avenue du Parc leur appartient.
- Installés à Boisbriand depuuis le milieu des années 60, les Tash sont, pour leur part, spécialisés dans le service ambulancier. Avis aux intéressés: William Shaffir, de l'Université McMaster à Hamilton, leur a consacré un site Web assez complet, mais en anglais seulement (www.kiryastash.ca).
- Les Guer, eux, se distinguent par leur caasque de poil en hauteur contrairement à celui des Satmar par exemple, qui n'est pas plus haut qu'un gros gâteau. Quartier: Outremont.
- Les Breslov, enfin, sont à Côc;te-Saint-Luc. Leurs prières se font dans l'exaltation la plus totale, parfois en plein milieu d'un champ, la nuit, où ils hurlent à la lune.

Pieux depuis 200 ans
Hassidim veut dire "pieux" ou "fidèle". Ce courant judaïque né en Europe de l'Est (Pologne, principalement) à la fin du 18e siècle, préconise un rapport à Dieu axé sur le bonheur et l'exaltation. C'est une approche plus mystique qu'intellectuelle, où les lois de la Torah sont appliquées de façon extrêmement stricte. Par exemple: prier sans faute trois fois par jour ou ne pas toucher au téléphone les jours de sabbat, rester fermé au monde extérieur. Choses qu'un juif moins orthodoxe, lui, se permettra de faire. Détail: tous les hassidim sont des ultra orthodoxes, mais l'inverse n'est pas nécessairement vrai. Les hassidim ont la particularité d'être rassemblés autour d'une figure charismatique, le rebbe, équivalant à petite échelle au pape pour les catholiques. Aucune décision importante n'est prise sans la sanction du rebbe. Il est l'interface entre Dieu et ceux de sa communauté. Chaque groupe hassidique possède son rebbe. Ce dernier est généralement établi à New York ou Jérusalem. Exception digne de mention: le rebbe de la communauté Tash vit ici, à Boisbriand, depuis le début des années 50. Il s'appelle Meshulim Feish Lowy. Survivant de l'Holocauste, ce Hongrois d'origine a aujourd'hui 86 ans. Par sa seule présence, Boisbriand est devenu une destination touristique sainte pour plusieurs hassidim.



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