Lettre à Gil Courtemanche
Son article
Le devoir de responsabilité, Le Devoir, 20 janv 07
On l'appelle dorénavant «convergence». Le mot semble
moins dangereux que le phénomène qu'il dissimule, celui
de la concentration exagérée de divers médias au
sein d'un empire financier dont la seule motivation est la maximisation
du rendement. L'ensemble de la profession journalistique, des
intellectuels et des démocrates ont décrit les
pièges et les dangers que recelait l'achat du réseau TVA
par Quebecor, qui jouissait déjà d'une position dominante
dans la presse écrite. Tous les arguments évoqués
pour s'opposer à cette mainmise ont été
balayés du revers de la main par les politiques et les
organismes de surveillance des médias. Le processus était
irréversible, il était souhaitable d'un point de vue
économique, et ces gens, nous disait-on, étaient des
citoyens responsables qui n'abuseraient pas de leur immense pouvoir
d'informer la population... Ou de la manipuler.
Le Journal de Montréal et TVA nous ont démontré le
contraire cette semaine. Le sens des responsabilités de ces gens
disparaît quand l'odeur du profit et du scoop apparaît. Ce
dont nous avons été témoins cette semaine
constitue une sorte de viol volontaire de la conscience collective,
l'imposition à l'ensemble de la population d'un débat
dangereux et piégé qui s'appuie sur des outils douteux,
sinon biaisés. Quebecor a fait le choix de la démagogie
et des amalgames. L'entreprise ne s'est jamais inquiétée
des conséquences de son geste. Elle ne s'est jamais
demandé si le sondage qu'elle utilisait pour nous effrayer ainsi
et pour donner un portrait absolument faux des Québécois
reposait sur des bases solides, tant dans l'échantillon que dans
la formulation des questions. Une lecture rapide des résultats
démontre de façon indiscutable que le titre du Journal de
Montréal était non seulement une exagération mais
aussi un pur mensonge, pas une erreur d'aiguillage mais bien une fausse
information conçue volontairement pour augmenter le tirage et
tirer l'auditoire vers l'exploitation souvent insouciante que devait en
faire TVA pendant une semaine. Tout directeur de l'information
sérieux et responsable aurait jeté cette enquête
d'opinion à la poubelle. Comment expliquer que 59 % des
Québécois soient racistes mais que les supposées
victimes de notre racisme ne le perçoivent pas? Ce n'est qu'une
des contradictions flagrantes que contient ce piètre exercice.
Mais il y a pire et plus grave. L'empire médiatique a
honteusement choisi d'exploiter un débat qui est bien mal
engagé, celui de l'«accommodement raisonnable». En
effet, derrière cette prétendue étude sur le
racisme, c'est ce malaise qui couve dans la société
québécoise que ces marchands de papier et de
publicité ont voulu exploiter. Mario Dumont l'a bien senti en
ajoutant sa pierre démagogique à l'édifice de
désinformation qui s'abattait sur toute la population.
Plusieurs commentateurs se sont moqués de la réaction
outrée des Québécois, disant que l'incident ne
méritait pas tout ce boucan. Quelle
légèreté! La fonction de l'information, en
particulier dans des situations tendues et incertaines, n'est pas de
jeter de l'huile sur le feu mais de fournir des outils pour que se
déroule un débat, certes nécessaire, mais un
débat qui s'appuie sur des bases solides. Ce grave manquement
éthique qui mériterait qu'on porte plainte devant le
Conseil de presse constitue aussi une démonstration
éloquente des dangereuses distorsions que peuvent provoquer dans
une société des empires médiatiques
dépourvus de conscience sociale et du sens des
responsabilités civiques. Le principal danger de la
concentration, c'est la manipulation de l'opinion publique, et c'est ce
que nous avons vécu cette semaine.
Dans un autre ordre d'idées mais dans la même veine, celle
du sens des responsabilités: toute la classe politique
canadienne se met au vert et au développement durable.
Même le premier ministre du Canada remet en place des programmes
mineurs qu'il avait éliminés sous prétexte qu'ils
étaient totalement inefficaces. Voilà qu'ils sont
maintenant nécessaires et essentiels. Mais ce n'est rien pour
rassurer cette assemblée de scientifiques qui vient de nous dire
que nous nous rapprochons dangereusement de la mort de la
planète. Tous les dirigeants politiques disposent des
mêmes informations que ces scientifiques, mais entre le constat
de ceux-ci et le discours des politiques existe un abîme qui
dénote un désolant manque de sens des
responsabilités politiques.
Nous savons tous que la situation est urgente et que le risque que nous
laissions une planète invivable à nos enfants est
considérable. Le discours politique, lui, se veut rassurant et
raisonnable. Il parle de progrès quand nous reculons, de gestion
quand il faut révolutionner, d'objectifs raisonnables et
réalisables quand il faudra, on le sait, se dépasser,
changer radicalement, voire révolutionner. Nous ne vivons plus
sur une planète raisonnable mais absolument
déraisonnable. Nous sommes de plus en plus conscients de la
menace mais pas du tout envahis par un sentiment d'urgence. En ce
domaine, les politiques ont un lourd devoir de franchise. Ils doivent
dire haut et fort que l'avenir ne sera pas facile et que nous sommes
condamnés à des changements radicaux dans le
fonctionnement de nos sociétés, de nos économies,
de nos villes, et aussi dans nos comportements. Il ne s'agit pas
d'alarmer indûment les populations, il s'agit de dire ce que nous
savons et de créer un sentiment d'urgence. Nous savons que toute
notre prospérité est le résultat de la destruction
de notre planète et nous savons qu'il nous reste peu de temps.
Le devoir de dire la vérité et de ne pas minimiser
l'urgence, voilà, en ce domaine, le devoir de
responsabilité des politiques.
Ma lettre
Je suis tout à fait d'accord avec vous à propos de ce
sondage. Pas sur le sondage comme tel (j'ai lu les
questions/énoncés et les résultats complets sur le
site web de Léger Marketing), mais sur ce qu'on en a fait,
comment on l'a utilisé en publiant à la une la manchette
"59% des Québécois se disent racistes". Dès que
j'ai vu comment se détaillait ce 59% (de fortement à pas
du tout), et l'ignorance de la signification réelle du mot
"raciste", jamais défini, j'ai pensé exactement la
même chose que vous: on devrait porter plainte, faire un recours
collectif contre le Journal de Montréal. Non seulement c'est
faux que nous soyons "racistes" dans une telle proportion, mais tout le
reste du sondage démontre que nous sommes très
tolérants, et reconnus comme tels par ceux et celles que nous
avons accueillis et continuons d'accueillir. La semaine de
"débats" qui a suivi ne nous a rien apporté, nous n'avons
entendu que des opinions formulées dans les interruptions
continuelles de l'autre et, en bout de ligne, nous ne savons
guère plus quoi penser, et la question des accommodements
raisonnables, comme celle de l'intégration des immigrants dans
leur société d'accueil, reste totale. Il nous faudra donc
poursuivre le débat, sereinement et calmement, cette fois,
à froid, et de façon beaucoup plus.... raisonnable!