Nouvelle
division du Québec: les Montréalais, et les Tarlets des
régions
3 février 07 - La semaine qui se
termine a permis d'établir, via Hérouxville, ce petit
bled "d'idiots comiques", une nouvelle division du Québec
entre les Montréalais, lucides et expérimentés, et
les Tarlets des régions, du "Québec profond",
rongés par la peur et absolument ignares des
phénomènes liés à l'immigration. Je
reproduis ici un texte de Gil Courtemanche à ce propos, que je
commente ensuite.
"L'ignorance et la fracture"
Gil Courtemanche, Le Devoir, 3 février 07
Voilà un débat de
société nécessaire qui est bien mal engagé.
Je parle bien sûr du débat sur les "accommodements
raisonnables". Tout s'y mêle et s'y recoupe: identité
nationale, droits de la personne, accommodements, privilèges,
droits reconnus par les tribunaux, foi et croyance, laïcité
et patrimoine culturel. Pour une société qui a
systématiquement évacué des écoles le recul
que fournit l'enseignement de l'histoire et de la philosophie, pour une
société qui a oublié que la formation citoyenne
commence à la petite école, ce ne sera pas un
débat facile et serein. En effet, pour en sortir et arriver
à un encadrement équitable de la diversité et des
droits, il faut comprendre ce que sont les droits, l'espace public et
l'espace privé, la laïcité et aussi le monde tel
qu'il est maintenant.
On a beaucoup parlé du code de conduite d'Hérouxville,
mais rares sont ceux qui l'ont lu au complet. Il s'en dégage une
curieuse impression de bienveillante naïveté et
d'ignorance. En fait, ce code décrit la vie paisible et
réjouissante d'un village où les gens s'entendent bien et
où les femmes ont la même "valeur" que les hommes. Le
texte annonce un village paisible et accueillant qui déclare sa
satisfaction de vivre ainsi et qui dit au futur immigrant: il faudra
devenir comme nous. Les gens d'Hérouxville défendent
ainsi l'approche française de l'intégration
républicaine. Vous avez choisi le Québec, vous devez
devenir des Québécois comme nous. C'est une thèse
qui se défend mais qui, on l'a vu en France, se solde souvent
par l'échec. Il ne faut voir aucun racisme dans cette attitude,
même si les racistes défendent souvent cette approche.
L'interdiction de lapider en public (sic) et autres injonctions que
contient ce code disent amplement et longuement que ce code s'adresse
essentiellement aux musulmans. Il trahit et illustre de manière
tragique comment le Québec "profond" perçoit le monde
arabo-musulman. C'est un monde où on lapide quotidiennement,
alors que cette pratique barbare n'est légale que dans quatre ou
cinq pays et qu'au Nigeria, un de ces pays, la Cour suprême a
empêché la lapidation de la dernière femme qui y a
été condamnée. C'est un monde où les femmes
marchent toutes le visage couvert et accompagnées d'un chaperon,
où elles n'ont pas le droit de conduire une automobile. Tout
cela relève d'une vision tragiquement caricaturale,
alimentée par le 11-Septembre, le terrorisme international, les
talibans. Il faut expliquer aux gens d'Hérouxville qu'on a le
droit d'écouter de la musique même si on est musulman, car
leur démarche naît de l'ignorance et de la peur. Et c'est
cela qui est grave, car l'ignorance et la peur sont les principales
racines de l'intolérance et du racisme.
La confusion et l'ignorance, l'incapacité de faire la
différence entre droits, privilèges et discrimination,
tout cela se retrouve aussi dans les multiples exemples
d'«accommodements raisonnables» qu'on nous
révèle en rafale depuis quelques semaines. Tous les
exemples qu'on nous a servis et qui concernent les juifs hassidims ne
relèvent ni de leur droit à la pratique de leur religion
tel que reconnu par les chartes ni de leur droit à ne pas
souffrir de discrimination. Les nonos qui ont accepté que les
hommes hassidims puissent avoir des examinateurs masculins et qui nous
présentent cela comme un service à la clientèle
alimentent la confusion entre droits et privilèges. Être
titulaire d'un permis de conduire ne constitue pas un droit, c'est un
privilège, une permission accordée à un citoyen
qui souscrit aux conditions exigées, dont celle d'un examen. On
pourrait dire la même chose du choix du sexe du médecin ou
du genre de cours prénatal qu'on veut suivre: ce sont des
privilèges qu'on réclame au nom d'un faux droit à
l'exercice de sa religion dans l'espace public. Pire encore, ces
"accommodements" qui créent de nouveaux droits constituent des
cas flagrants de violation des chartes canadienne et
québécoise sur le droit à l'égalité
des femmes. Dans tous ces exemples, ce sont des femmes qui sont
privées de leur droit à l'égalité.
Autre confusion grave: on présente parfois comme des
accommodements déraisonnables des droits
décrétés par les tribunaux. C'est le cas des
congés pour raison religieuse qu'accorde la Commission scolaire
de Montréal. Ce n'est pas un accommodement, c'est une mesure
adoptée par la CSDM pour se plier à une décision
de la Cour suprême. Trois cents congés en un an pour 17
000 employés au total, pas de quoi fouetter un chat. Mais un
quotidien a décidé de jouer cette nouvelle anodine en
une, reléguant au lendemain l'explication qui
désamorçait la bombe en page intérieure.
Plus profondément, la démarche d'Hérouxville,
celle de quelques autres villages de la région, les
gesticulations démagogiques de Mario Dumont,
révèlent une fracture profonde entre le Québec
francophone rural et le discours jovialiste sur les succès de la
tolérance à la québécoise et notre
adhésion profonde à plusieurs principes des chartes.
Cette fracture, elle s'annonçait dans la poussée
conservatrice lors des élections fédérales dans le
centre du Québec. Elle se dessine de manière plus
précise dans les deux sondages publiés cette semaine, qui
indiquent une percée significative de l'ADQ dans ces mêmes
régions.
Il faut l'avouer, 25 ans de Charte des droits ont profondément
modifié la société dans des domaines qui
relèvent des convictions, des croyances, des sentiments,
domaines souvent envahis par les préjugés et par
l'ignorance. On découvre aujourd'hui que ces bouleversements
sont peut-être ressentis comme des atteintes à une vision
de l'identité collective. Comme si on avait imposé un
monde nouveau sur un univers ancien sans se soucier de fournir
l'accompagnement pédagogique essentiel qui s'appelle
l'éducation citoyenne.
Mon commentaire à
Courtemanche
Je ne suis pas du tout d'accord avec cette idée qu'il y a une
fracture profonde entre le Québec dit rural et le Québec
urbain, particulièrement montréalais. Ni
qu'Hérouxville manifeste "une poussée conservatrice".
Vous allez ainsi dans le sens d'une division du Québec en deux
groupes: les Montréalais, lucides et connaissants, et les
Tarlets des régions, rongés par la peur et qui n'y
connaissent rien. Les normes de vie hérouxvilloises ne disent
pas: "Si vous venez chez nous, vivez et devenez comme nous." Elles
précisent simplement que certaines coutumes n'y existent pas et
n'y sont pas permises. Elles ne s'adressent pas, non plus, aux seuls
musulmans, et encore moins à tous les musulmans. Tous les sujets
d'accommodements qui font problème relèvent de groupes
religieux minoritaires (les juifs hassidiques représentent 12%
de tous les Juifs canadiens; quant aux intégristes musulmans,
eux aussi sont minoritaires.) et c'est vraiment méprisant de se
faire dire que dans le Québec "profond" (qui signifie
reculé), on pense que tous les musulmans n'écoutent
jamais de musique, lapident quotidiennement les femmes, etc.
D'autre part, vous avez bien raison de souligner que certaines
demandes, venant de ces "minorités de minorités", ne
relèvent pas toutes de la liberté de religion. Faisant
une recherche approfondie sur la question, j'ai remarqué une
confusion générale, tant dans la population que chez les
journalistes, entre ce qui est d'ordre religieux et ce qui est d'ordre
culturel. On invoque toujours "leur religion", mais dans bien des cas,
ça semble être essentiellement culturel, sans rapport avec
la Bible ou le Coran. Or, comme vous le dites, dans certaines pratiques
culturelles, il y a "des cas flagrants de violation des chartes
canadienne et québécoise sur le droit à
l'égalité des femmes". J'ajoute que certains cas sont de
nouvelles barrières discriminatoires. Bravo, alors, au
"Québec profond" qui a été le premier à
dire clairement que de ces violations et de ces barrières, nous
ne voulons pas. Thérèse-Isabelle Saulnier, Victoriaville