CONFUCIUS
Une
pensée politique et sociale

Confucius
Source : Données encyclopédiques, 2001
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Réf: onelittleangel.com/sagesse
Si l'on peut penser que certains des textes exposant la doctrine de
Confucius ont été rédigés par le
maître, sa pensée est essentiellement connue grâce
à une compilation de ses aphorismes rassemblés par ses
disciples dans un recueil intitulé Entretiens familiers
(Lunyu).
L'ordre politique et social constituait la principale
préoccupation de Confucius, qui était conscient du
rôle complémentaire des princes – détenteurs du
pouvoir – et des intellectuels – détenteurs du savoir – dans la
société chinoise de son temps. Afin d'assurer la
légitimité et l'autorité de l'État, les
féodaux s'appuyaient, en effet, sur la classe des fonctionnaires
lettrés, qui fournissaient le gros des commis de l'État:
administrateurs, législateurs, magistrats, trésoriers,
inspecteurs, conseillers politiques, "ingénieurs".
Or, tout en constituant la cheville ouvrière de l'État,
ces intellectuels étaient exclus des privilèges
héréditaires (fiefs, honneurs) des princes. Trop
attachés aux hommes puissants qu'ils servaient, ils
étaient peu enclins aux innovations sociales et politiques. Et
pourtant, souvent méprisés, voire spoliés, par les
féodaux, beaucoup d'entre eux appelaient de leurs vœux un
système social dans lequel leurs mérites seraient
dûment reconnus.
Les intellectuels se référaient parfois à un
prétendu âge d'or où des personnages mythiques
(Shen Nong, Huangdi ou l'empereur Jaune, Zhuanxu, Yao, Yu le Grand)
avaient gouverné la Chine, dans le seul souci du bien du peuple,
avec l'aide de sages illustres. Ils spéculaient donc sur un
État idéal, conduit par un roi (wang) mandaté par
le Ciel (d'où son surnom de "Fils du Ciel": Tianzi).
Le rôle de ce souverain était de gouverner selon les "Cinq
Principes", qui garantissaient l'harmonie sociale,
les "Cinq Rites", qui assuraient les bons rapports entre
les hommes et les divinités, et les "Cinq
Châtiments", destinés à punir les
contrevenants aux grands principes moraux et politiques. Autour du roi
était réuni un conseil de sages empreints des "Neuf
Vertus", capables de conduire les hommes aux "Cinq
Bonheurs".
Conçue dans une Chine encore profondément marquée
par le sens du sacré, cette société
idéalisée était bâtie sur la morale
individuelle et les pratiques religieuses, voire magiques. En effet,
dans la pensée traditionnelle chinoise, l'art du bon
gouvernement était lié étroitement à
l'harmonie cosmique: la stricte observance des rituels saisonniers
était censée protéger les agriculteurs des
calamités naturelles, et le souverain du retrait de son mandat
céleste. Cette conception, dans laquelle le respect de la nature
et de ses cycles se confondait avec le respect de l'homme, se retrouve
dans la philosophie taoïste, à laquelle la pensée de
Confucius n'est pas totalement étrangère.
Une éthique sociale
fondée sur la vertu
Dans la société chinoise en décomposition et en
proie aux conflits armés entre princes rivaux, Confucius, qui
cherchait le secret de la société idéale, croyait
lui aussi aux splendeurs mythiques de l'Antiquité chinoise.
Respectueux des traditions, de la légitimité du pouvoir,
et de la hiérarchie sociale, il pensait que la morale
était la base de la politique, et c'est à partir de ce
concept qu'il a élaboré son système de
pensée.
Pour Confucius, le souverain est l' "étoile Polaire"
autour de laquelle tournent les autres astres; il gouverne grâce
à un décret, un mandat qu'il a reçu du Ciel. Mais
le prince est tenu de se comporter comme un homme de qualité, un
sage (junzi), en montrant sans cesse l'exemple, car c'est par sa
conduite d'homme vertueux qu'il mènera à terme la
transformation bénéfique des "hommes de peu"
(xiaoren). Ainsi, son mandat céleste l'oblige à devenir
un éducateur.
Toutefois, pour bien former les individus, il est nécessaire
d'être éduqué soi-même. Or, pour Confucius,
c'est par l'étude et la pratique du bon gouvernement que l'on se
forme à l'image du junzi. En définitive, gouverner par la
vertu ne peut qu'apporter la vertu: "Si un homme sait se
gouverner lui-même, quelle difficulté aura-t-il à
gouverner l'État? Mais celui qui ne sait pas se gouverner
lui-même, comment pourra-t-il gouverner les autres?" Au seigneur
Ji Kang lui demandant s'il fallait punir les individus, Confucius
aurait répondu: "Pour gouverner le peuple, avez-vous
besoin de la peine de mort? Soyez vous-même vertueux et votre
peuple sera vertueux."
Ainsi, le sens du devoir et l'exemplarité sont-ils des notions
primordiales pour Confucius. Mais un prince, aussi puissant et
cultivé soit-il, n'est pas forcément un junzi, car les
seuls à cultiver la vraie vertu sont les sages (sheng), dont
l'Antiquité a donné les modèles. Chacun peut,
toutefois, s'essayer à la sagesse et devenir un homme de bien en
cultivant les vertus cardinales: l'altruisme, l'humanité (ren)
et le respect d'autrui (yi). Il convient aussi de respecter les rites
et les conventions sociales (li). C'est par de telles qualités –
bienveillance, équité, respect, droiture,
piété filiale – que l'on peut enfin accéder
à la vertu (de) et atteindre la Voie de la nature (dao).
Fondant ses principes de gouvernement sur sa théorie de la
nature humaine, Confucius est ainsi un théoricien de
l'éthique sociale: il propose une morale appliquée
à la science politique qui se confond avec la science de la
nature.
La destinée du confucianisme
À la différence de Confucius, qui enseigna une bonne
partie de son existence et tenta vainement de mettre en pratique sa
société idéale, ses disciples
accédèrent à de hautes charges administratives.
Les idées de maître Kong, en particulier sa conception
selon laquelle l'Univers, de par son essence, est un univers moral,
furent reprises plus d'un siècle plus tard par le philosopne
Mengzi, dit Mencius (vers 371 à 289), qui donna à la
pensée confucéenne une dimension mystique. Alors que,
selon lui, la nature morale de l'homme procède de principes
métaphysiques, Xunzi (vers 289-235) – un autre penseur
confucianiste qui n'adhéra pas à la description positive
de la nature de l'homme par Mencius – affirmera que l'éthique
est une notion utilitariste répondant à une
nécessité pratique et appelée à
perfectionner la nature humaine.
La philosophie officielle
Le développement du confucianisme sera ralenti par
l'avènement de Qin Shi Huangdi, le souverain qui instaura
l'Empire par l'unification des royaumes et principautés chinois
(221 av. J.-C.): la doctrine de l'État se fonde alors sur
l'école des légistes, centralisatrice et autocratique.
Mais sous la dynastie des Han (206 av. J.-C. - 220 apr. J.-C.) le
confucianisme devient la philosophie officielle de l'État,
malgré ses divergences considérables avec le taoïsme
et le bouddhisme. Les grands classiques confucianistes sont à
l'honneur et la religion impériale se trouve étroitement
associée aux préceptes de Confucius. L'empereur, qui rend
un culte officiel au Ciel et à la Terre, promulgue le calendrier
luni-solaire (donc mobile) et ouvre les travaux agricoles en
traçant solennellement le premier sillon: il devient de la sorte
le premier prêtre de l'État. Se conformant ainsi aux
prescriptions rituelles et mettant sa vie en harmonie avec l'Univers,
il accomplit les rites et les devoirs à l'égard du peuple
qu'il dirige. Il recrute des fonctionnaires lettrés, à
travers un système d'examens fondé sur l'analyse des
classiques.
Sous les Sui (586-618) et les Tang (618-907) – l'âge d'or du
taoïsme puis du bouddhisme – un culte officiel est voué
à Confucius, des temples sont édifiés en son nom
et le "mandarinat" se perfectionne avec un système
de notation qui juge les fonctionnaires d'après quatre
qualités fondamentales et une échelle de vingt-sept
perfections. Toutefois, c'est surtout avec la
dynastie Song (960-1279) que la doctrine de maître Kong
connaît un souffle nouveau, grâce, notamment, au courant le
plus important de cette époque: le néoconfucianisme de
Zhu Xi.
Gouverneur de province, Zhu Xi (1130-1200) étudia les principes
philosophiques de l'Univers, en particulier le li et le qi, deux
notions qui s'apparentent respectivement à la "forme" et
à la "matière"
forgées par les philosophes grecs. Pour le penseur chinois, dont
les idées resteront en vogue jusqu'au XXe siècle, la fin
ultime de l'homme est de s'ouvrir au Bien suprême (un concept
proche de celui de Platon), par l'étude des classiques ainsi que
par l'observation de la société et de la nature.
Les philosophes, en particulier Wang Shouren (1472-1529), dit Wang
Yangming, approfondiront encore ce néoconfucianisme
pénétré de notions taoïstes et bouddhiques,
souvent dans une perspective critique, avec Gu Yanwu (1613-1682), Huang
Zongxi (1610-1695) ou Dai Zhen (1724-1777).
Vers 1850, le confucianisme se renforcera, en réaction à
l'occidentalisation et aux tentatives de christianisation de la
société chinoise. Mais, avec l'avènement de la
République (1911), les jeunes intellectuels rejettent Confucius,
qu'ils jugent féodal et réactionnaire; l'État
restera cependant proche de la tradition confucianiste. En effet, si
Mao Zedong s'attache à éliminer le confucianisme
("J'ai haï Confucius dès l'âge de huit
ans", écrira-t-il) au même titre que toutes les
croyances et idéologies étrangères au marxisme,
les grands axes du système communiste – obéissance
absolue aux maîtres à penser, stricte
hiérarchisation de la société, subordination du
bien privé au bien public – ne sont nullement opposés aux
conceptions confucianistes, et la pensée de Confucius fut,
officiellement du moins, au cœur du dernier affrontement entre Mao et
Lin Biao. S'il n'a plus cours aujourd'hui en tant que doctrine
philosophique et religieuse dans une Chine qui cherche sa voie
politique et spirituelle, le confucianisme n'en a pas moins
laissé des traces profondes dans les mentalités et les
attitudes sociales.
Le confucianisme hors de Chine
Véhiculé par la civilisation chinoise, le confucianisme
s'est transposé dans les pays voisins – Corée, Japon,
Viêt-nam – qui se sont imprégnés de sa culture. En
Europe, le confucianisme a été découvert au XVIIe
siècle, grâce aux missionnaires jésuites. À
la fois comme philosophie morale et système de gouvernement, il
a suscité un grand intérêt auprès des
philosophes occidentaux. Alors que Voltaire et Leibniz
l'idéalisent, Diderot ou Montesquieu se montrent
réservés en raison de son étroit traditionalisme.
Mais, en règle générale, l'Occident voit en
Confucius l'inventeur d'un humanisme. Au Japon, qui officialise le
confucianisme au XVIIe siècle, diverses écoles adaptent
la doctrine: celle de Yamaga Soko retient notamment la stricte
hiérarchisation de la société et fait adopter le
bushidô, code d'honneur de la caste guerrière.
L'école de Dazai Shundai, au XVIIIe siècle, orientera le
confucianisme vers des problèmes économiques, abandonnant
son aspect religieux.