«Le mercredi et le jeudi, nous attaquâmes fortement la ville de tous les côtés, mais avant que nous ne la prissions d'assaut, les évêques et les prêtres firent décider par leurs prédications et leurs exhortations que l'on ferait en l'honneur de Dieu une procession autour des remparts de Jérusalern et qu'elle serait accompagnée de priéres, d'aumônes et de jeûnes.
«Le vendredi, de grand matin, nous donnâmes un assaut général à la ville sans pouvoir lui nuire; et nous étions dans la stupéfaction et dans une grande crainte. Puis, à l'approche de l'heure à laquelle Notre-Seigneur Jésus-Christ consentit à souffrir pour nous le supplice de la croix, nos chevaliers postés sur le château se battaient avec ardeur, entre autres le duc Godefroi et le comte Eustache, son frére. A ce moment, l'un de nos chevaliers, du nom de Liétaud, escalada le mur de la ville. Bientôt, dès qu'il fut monté, tous les défenseurs de la ville s'enfuirent des murs à travers la cité et les nôtres les suivirent et les pourchassèrent en les tuant et les sabrant jusqu'au temple de Salomon, où il y eut un tel carnage que les nôtres marchaient dans leur sang jusqu'aux chevilles.
«De son côté, le comte Raymond, placé au midi, conduisit son armée et le château de bois jusqu'auprès du mur. Mais, entre le château et le mur, s'étendait un fossé, et l'on fit crier que quiconque porterait trois pierres dans le fossé aurait un denier. Il fallut pour le combler trois jours et trois nuits. Enfin, le fossé rempli, on amena le château contre la muraille. A l'intérieur, les défenseurs se battaient avec vigueur contre les nôtres en usant du feu grégeois et des pierres. Le comte, apprenant que les Francs étaient dans la ville, dit à ses hommes "Que tardez-vous? Voici que tous les Francs sont déjà dans la ville."
«L'amiral qui commandait la Tour de David se rendit au comte et lui ouvrit la porte à laquelle les pèlerins avaient couturne de payer tribut. Entrés dans la ville, nos pèlerins poursuivaient et massacraient les Sarrasins jusqu'au temple de Salomon, où ils s'étaient rassemblés et où ils livrèrent aux nôtres le plus furieux combat pendant toute la journée, au point que le temple tout entier ruisselait de leur sang. Enfin, après avoir enfoncé les païens, les nôtres saisirent dans le temple un grand nombre d'hommes et de femmes, et ils tuèrent ou laissèrent vivant qui bon leur semblait. Au-dessus du temple de Salomon s'était réfugié un groupe nombreux de païens des deux sexes, auxquels Tancrède et Gaston de Béarn avaient donné leurs bannières. Les croisés çoururent bientôt par toute la ville, raflant l'or, l'argent, les chevaux, les mulets et pillant les maisons, qui regorgeaient de richesses.
«Puis, tout heureux et pleurant de joie, les nôtres allèrent adorer le Sépulcre de notre Sauveur Jésus et s'acquittèrent de leur dette envers lui. Le matin suivant, les nôtres escaladèrent le toit du temple, attaquèrent les Sarrasins, hommes et femmes, et, ayant tiré l'épée, les décapitèrent. Quelques-uns se jetèrent du haut du temple. A cette vue, Tancrède fut rempli d'indignation.
«Alors, les prêtres décidèrent en conseil que chacun ferait des aumônes et des prières, afin que Dieu élût celui qu'il voudrait pour régner sur les autres et gouverner la cité. On ordonna aussi de jeter hors de la ville tous les Sarrasins morts, à cause de l'extrême puanteur, car toute la ville était presque entièrement remplie de leurs cadavres. Les Sarrasins vivants traînaient les morts hors de la ville, devant les portes et en faisaient des monceaux aussi hauts que des maisons. Nul n'a jamais ouï, nul n'a jamais vu un pareil carnage de la gent païenne : des bûchers étaient disposés comme des bornes et nul, si ce n'est Dieu, ne sait leur nombre.»