Voyage

 Marre !!! Elle en avait plus qu’assez de ce voyage à cheval, à travers des contrées qu’elle ne se souvenait pas avoir jamais vus sur des cartes. Et où étaient les automobilistes ? Depuis qu’elle avait quitté Manhattan, elle n’avait plus croisé de voiture, la route s’était dégradée et sa Lancia, qui sortait de l’entretient, tomba soudainement en panne. Avec son compagnon, ils profitèrent de chevaux sellés et harnachés paissant sur le bord de la route pour reprendre le chemin. Quand elle demanda si ce n’était pas du vol que de prendre ces bêtes, son ami ri de bon cœur pour toute réponse. Vexée, Gaelle n’avait plus prononcé un mot depuis, mais là, la coupe était pleine. Son mignon postérieur la faisait souffrir depuis plus d’une heure et il fallait qu’elle explose. Liam lui servirait de défouleur.

 - "On fait une pause, rugit-elle tout en tirant sur la bride de son canasson".

 Nonchalamment, Liam ralentit l’allure et fit tourner son cheval, qu’il avait baptisé Maussade, en l’honneur de sa robe d’un gris terne.

-" On est encore loin d’arriver, dit-il d’une voix amusée".

-" Tant pis, moi j’en ai assez, j’ai mal au dos, mal aux fesses et j’ai faim".

-" Nous allons arriver dans un Restoroute, courage".

-" Un Restoroute !? Mais cela fait plus de trois heures qu’on a plus vu de voitures !".

-" Il y en a derrière la montagne là-bas".

Gaelle suivit du regard la direction pointée par l’index de son compagnon, et resta figée. La montagne en question se perdait dans le brouillard de l’horizon, un manteau blanc lui recouvrant le sommet. Jamais ils ne pourraient l’atteindre aujourd’hui, ni même demain… et ce n’est sûrement pas avec leur équipement actuel qu’ils pourront la franchir.

Liam fouette Maussade et reprend le chemin. Gaelle, comme tétanisée, le regarde s’éloigner, s’envelopper dans un nuage trouble, ses contours devenir indéfinis, puis disparaître après un arbre. Ses sens perturbé, seul son esprit tente de la raisonner.

Il est fou ! ! ! C’est ça, il n’a pas toute sa tête et il divague. Faut qu’on l’enferme, … oui, je trouve quelqu’un et on le soignera… Mais, une seconde, où je trouve un infirmier ici, moi ? Et où on est d’abord ? Mais qu’est-ce qui m’a pris de le suivre à travers champs, et sur une vieille carne en plus. Enervée, Gaelle descend de son animal de voyage.

C’est moi qui suis folle d’être ici ! Si ça tombe, je suis complètement loufdingue et on m’a déjà balancée dans un hosto pour timbrés et tout ceci n’est qu’un développement de mon imagination. Ostensiblement, elle se met à tourner autour de son cheval, le regard pointé vers le sol, comme pour retrouver une chose perdue.

Non, il doit y avoir une solution plus simple. D’abord, retrouver Liam, et retourner en ville, ensuite on avisera.

Gaelle reprend les rennes et se remet péniblement en selle. Au loin, nulle trace de Liam. Elle donne des petits coups à sa monture pour lui intimer l’ordre du départ, sans grands succès.

 -" Ah non ! Tu ne vas pas t’y mettre toi aussi, sale bête ! Tu vas me faire le plaisir d’avancer, et au trot, pour rattraper ce sagouin de voyageur débile, même pas foutu de nous attendre. Go !", crie-t-elle en donnant un violent coup de cravache sur les flancs de la bête.

Du coup, le cheval fait un bond en avant, et se met à galoper de plus en plus vite, obligeant Gaelle à saisir la crinière de l’animal ou être rejetée en arrière. Il fend l’air de plus en plus vite, traversant un sous-bois, bondissant au-dessus d’une rivière, et bien d’autres choses, qui ne resteront qu’images fugitives dans l’esprit de sa cavalière. Sa peur ne cesse de croître, son cœur bat la chamade, ses tempes semblent exploser. Un autre semble galoper à ses côtés, comme poussant son cheval toujours plus avant.

Mais ce qu’elle voit, les images qui se succèdent devant ses yeux humides ne peuvent être. Le ciel semble exploser à chaque instant, les endroits changer sans arrêt. Mer, montagne, forêt, plaine, vide, eau, broussailles, feu, désert, forêt, place, … Tout varie sans arrêt, comme si on avait placé sa tête dans un immense panier à salade à fonction kaléidoscope.

Puis, tout s’arrête. Est-ce son cœur qui l’a abandonné ou son esprit définitivement condamné à errer loin de son corps ? Elle ne saurait le dire. Mais ce répit est apprécié, comme la mort qui vient vous prendre quand on la conjure à travers sa douleur. Et la mort a le faciès de Liam, la soulevant d’entre les vivants, lui donnant l’impression de planer, avant qu’elle ne retombe dans un océan de plumes.

-"… Est tu un Dieu ou un Démon … ?" Articule-t-elle difficilement, comme les dernières paroles prononcées par un mourant.

-" Pire que ça", réplique Liam d’une voix douce," un Prince d’Ambre".

Morphée s’empare alors du corps de la jeune femme.

Extrait de: Les légendes vivent.

 

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